Chapitre 30 - Maël
Elle dort.
Je sens son souffle régulier contre ma clavicule, son visage à moitié enfoui dans le tissu de mon t-shirt. Une main abandonnée sur mon ventre, ses jambes repliées contre les miennes. Elle est si calme, là, contre moi, qu’on dirait presque qu’elle a toujours dormi ici. Comme si son corps reconnaissait cet espace comme sûr.
Et moi, je reste éveillé. Incapable de fermer l’œil.
Je ne veux pas gâcher cette parenthèse. Je veux la retenir dans ma mémoire, détail par détail. Son parfum. La chaleur de son corps. Sa confiance. Parce que c’est ça, au fond, qui me bouleverse le plus : elle me fait confiance.
Je sais ce que ça lui coûte. Je sais ce que ça signifie pour elle de s’endormir dans les bras d’un homme, après tout ce qu’elle a vécu. Et moi… j’ai toujours été ce mec qui prend, qui consomme, qui fuit. Et là, je suis en train de devenir quelqu’un d’autre. Pour elle.
Je regarde son visage détendu. Les cils qui reposent sur sa joue. Ce petit froncement de sourcils, comme si même en rêve, elle ne lâchait jamais tout à fait prise. Elle est belle. Pas juste physiquement. Elle est belle dans sa manière de tenir debout. De continuer. De ne jamais demander, mais de toujours donner.
J’ai peur.
Pas d’elle. Pas de nous. Mais de tout ce que ça implique. De la responsabilité de la tenir dans mes bras sans la briser. De ce qu’il faudra que je devienne si je veux la mériter.
Je ne sais pas ce qu’on est censé ressentir quand on est amoureux. Je ne l’ai jamais été. Pas vraiment. Je crois que je m’en suis toujours protégé. Mais là, allongé dans ce lit, avec ce petit bout de femme endormi contre moi, je sais que si elle me demandait de tout plaquer demain pour elle… j’hésiterais à peine.
Et ça, c’est flippant.
Je passe un doigt dans ses cheveux, tout doucement, pour ne pas la réveiller. Elle soupire à peine, se blottit un peu plus. Comme si elle savait. Comme si, même endormie, elle me disait : reste.
Et je reste.
Parce que ce soir, être cet homme-là… c’est tout ce que je veux être.
_________________________________________________________________________
Le soleil filtre à travers les volets entrouverts, projetant des raies dorées sur le mur en face. Le silence est encore dense, juste percé par le chant lointain d’un oiseau ou le souffle léger d’un vent d’été.
Elle bouge doucement contre moi.
Un froissement de draps. Sa main glisse de mon ventre à ma taille, puis remonte, hésitante. Je sens son souffle s’accélérer un peu, comme si elle réalisait seulement maintenant qu’elle s’est endormie contre moi.
Je n’ouvre pas les yeux tout de suite. J’attends. J’écoute son corps avant ses mots. Elle ne fuit pas. Elle ne se tend pas. Elle est juste là, dans cette hésitation du matin où tout semble plus fragile, plus vrai.
— Tu dors ? me souffle-t-elle, sa voix encore rauque, pleine de sommeil.
Je souris sans bouger.
— Non. J’essaie juste de graver ça dans ma mémoire.
Elle relève légèrement la tête, cherche mon regard.
— Quoi, exactement ?
— Toi. Comme ça. Calme. Contre moi. C’est rare, tu sais.
Elle esquisse un sourire, encore timide, encore vulnérable. Mais il y a une lumière nouvelle dans ses yeux. Une forme de reconnaissance silencieuse. De paix, peut-être.
Je tends la main, dégage une mèche de cheveux de son front.
— Tu as bien dormi ?
— Je crois que oui, murmure-t-elle. Mieux que depuis longtemps. Et toi ?
— J’ai pas dormi. Mais j’ai pas eu envie. J’ai juste… veillé sur toi. Et je t’assure que ça valait toutes les nuits blanches du monde.
Elle détourne les yeux, un peu bouleversée.
— Tu n’es pas obligé de dire ce genre de choses, tu sais.
— Je ne les dis pas par obligation, Isis. Je les pense. C’est nouveau pour moi aussi. Mais j’essaie de le faire bien.
Elle inspire lentement, puis vient poser sa joue sur mon torse à nouveau, sans un mot. Comme une réponse.
Je pose ma main sur sa nuque, la caresse doucement. Et on reste là, encore un instant, dans ce matin fragile, où rien d’autre n’existe que le battement lent de nos cœurs et la chaleur de nos peaux entrelacées.
Elle est encore lovée contre moi, son souffle chaud sur ma clavicule. Son corps s’est doucement tourné vers le mien. Elle me regarde avec une intensité qui me brûle de l’intérieur.
Ses doigts glissent le long de ma poitrine, frôlant ma peau du bout des ongles. Lentement. Comme si elle dessinait une ligne invisible entre nous. Je retiens mon souffle. Mon corps entier est en alerte.
Elle se hisse légèrement sur un coude, ses cheveux effleurant mon épaule. Puis elle s’approche. Dépose un baiser sur ma clavicule. Léger, comme une promesse.
Un autre, plus bas. Juste sous le creux de mon pectoral.
Je ferme les yeux. Putain, elle sait ce qu’elle fait. Ou peut-être qu’elle ne sait pas. Peut-être qu’elle agit par instinct. Par besoin. Et c’est encore pire.
Ses lèvres remontent jusqu’à ma mâchoire. Son nez glisse contre ma joue. Je sens son souffle sur ma peau. Mes mains se crispent contre les draps. Mon cœur cogne comme s’il voulait s’échapper de ma cage thoracique.
Elle murmure, contre ma peau :
— Je me sens bien avec toi…
Je tourne la tête. Mon regard accroche le sien. Il y a du désir, oui, mais aussi quelque chose d’autre. De plus profond. De plus fragile. Et c’est ça qui me renverse.
Ses doigts s’égarent sous la couverture. Sa jambe vient s’enrouler autour de la mienne. Mon corps lui répond. J’ai envie d’elle. Là. Maintenant. Tellement que ça en devient douloureux.
Maël, tu vas craquer. Tu vas tout foutre en l’air.
Elle se redresse encore un peu, vient chercher ma bouche. Un baiser doux d’abord, presque timide. Puis plus appuyé. Plus insistant. Sa main glisse dans mes cheveux, m’attire à elle. Elle bascule légèrement son bassin contre le mien.
Et je perds pied.
Mes mains glissent le long de ses hanches, la rapprochent de moi. Un grognement m’échappe. Elle gémit tout bas, contre mes lèvres.
Encore un baiser, profond, dévorant.
Et puis…
Non.
Je me fige.
Mes mains se retirent, doucement, mais fermement. Je reprends une longue inspiration, lutte contre l’envie de céder encore une seconde.
— Isis, attends.
Elle reste immobile, contre moi, le souffle court.
Je prends son visage entre mes mains. Elle me regarde, confuse. Blessée, peut-être.
— Je veux toi. Tellement que j’en ai mal. Mais… pas maintenant. Pas comme ça.
— Pourquoi ? souffle-t-elle, presque sur la défensive. Tu crois que je sais pas ce que je veux ?
— Je crois que tu veux oublier, là, tout de suite. Et que ton corps cherche une réponse rapide à quelque chose qui te fait mal. Mais je refuse d’être ça pour toi.
— Et si j’ai envie de toi ? Pour de vrai ?
— Alors attends demain.
Elle fronce les sourcils, reste suspendue à mes mots.
Je lisse une mèche de ses cheveux derrière son oreille, mon pouce caresse doucement sa pommette.
— Demain. Quand tu te sentiras forte. Quand ce sera un choix et pas un refuge. Et ce jour-là, je te promets de pas te faire attendre une seconde de plus.
Elle déglutit. Hoche à peine la tête. Elle comprend. Même si c’est frustrant. Même si c’est violent pour nous deux.
Elle se recale contre moi. Ses doigts serrent mon t-shirt. Juste un peu. Juste assez pour me faire comprendre qu’elle ne part pas.
Et moi, je serre les dents. Parce que bordel, ça aurait été si facile de plonger.
Mais pour elle, je veux choisir la bonne façon. La bonne première fois.
Annotations