Lucinda était assise devant la coiffeuse, cela faisait des heures qu’elle brossait sa longue chevelure écarlate bien que cette dernière n’en eût pas besoin. Son regard émeraude perdu dans son reflet, elle s’interrogeait. Pourquoi avait-elle accepté la proposition d’Andromède ? Sans doute parce qu’elle l’aimait de tout son cœur et qu’il venait de lui demander de devenir officiellement sa compagne ; ou peut-être tout simplement, car cela apporterait un petit peu de joie dans le royaume d’Efendil en perpétuelle guerre. Elle ne put retenir un soupir, tout avait été tellement rapide… mais tout l’était depuis qu’elle avait quitté son modeste village et sa forge. Il était fou de voir comment en quelques mois, elle était passée de simple forgeronne à future épouse d’un prince elfique. Les événements de sa vie s’étaient bousculés le jour où elle avait rencontré Elminster. Le vieil érudit, ancien mage de la Tour Blanche, l’avait entrainée dans une aventure épique avec son frère Virgile.

Un sourire amusé se peignit sur son visage quand on frappa à la porte de sa chambre. Il n’y avait aucun doute que ce fût lui. À peine eut-elle invité ce visiteur qu’une tornade entra dans la pièce.

• Luce, dis-moi que c’est une farce ? Tu ne vas pas épouser l’autre abruti avec ses grandes oreilles ?

Lucinda ne put refréner un rire enjoué, son frère n’avait jamais apprécié Andromède et ne s’en cachait pas.

• Il n’a pas de si grandes oreilles que ça ! pouffa-t-elle.
• Tu rigoles, je suis certain qu’il doit capter ce que racontent ses potes de la forêt enchantée. Peut-être qu’il nous épie en ce moment même.

Lucinda prit un air faussement en colère et demanda :

• Et que penser d’Anna ?
• Oh ! Ce n’est pas pareil, rétorqua Virgile avec une mauvaise foi palpable.

Il est vrai qu’il ne pourrait jamais dire du mal de la belle Anna, capitaine des archers elfiques, avec laquelle il entretenait une relation plus qu’amicale depuis quelques semaines. Lucinda délaissa sa coiffeuse pour saisir les mains de son frère.

• Virgile, je vais épouser l’homme que j’aime ; celui qui me rend heureuse, celui qui…
• Celui qui a bien failli te tuer, rétorqua-t-il. Et deux fois.

La sœur ne se départit pas de son sourire, elle replaça délicatement l’une des longues mèches châtain qui barraient le visage de son frère et se perdit un instant dans ses yeux d’un marron si clair qu’il tirait sur le jaune. Virgile avait raison, la rencontre entre elle et l’elfe qu’elle s’apprêtait à épouser avait été explosive, mais elle avait découvert un cœur d’or enfoui sous une couche d’arrogance et en était devenue follement éprise.

• Je suis assez grande pour que tu n’aies plus besoin de me protéger.

Un long silence s’instaura entre eux, ils repensèrent à leur enfance, ballotté d’orphelinats en maison d’accueil. Ils n’avaient pu compter que sur l’autre pour survivre. Virgile préservait Lucinda de ceux qui voulaient l’importuner, elle veillait sur lui les jours de pleine lune. Son frère avait été mordu par un déviant il y a quelques années et était devenu l’un des leurs : une créature lycanthrope qui représente un danger pour ses proches quelques nuits par mois.

Leur plongée dans la nostalgie fut rompue par un invité qui frappa délicatement à la porte avant d’entrer. Lucinda ne put cacher sa joie quand apparut son ami Dorian : le ténébreux mage au passé chaotique. Il apportait un superbe bouquet de roses blanches et rouges mais son visage se ferma lorsqu’il vit la jeune femme et il secoua la tête faisant voler sa longue chevelure sombre à chaque non.

• Ça ne va pas être possible, déclara-t-il froidement.
• C’est exactement ce que je venais de lui dire, renchérit Virgile. Elle ne peut pas épouser cet abruti.

Dorian fit comme s’il n’avait pas entendu l’intervention du lycan et s’approcha de Lucinda.

• Tu ne peux pas épouser cet abruti dans cette tenue.

Lucinda se fendit d’un sourire amusé :

• Ce n’est pas un abruti, s’indigna-t-elle.

Dorian leva les mains en signe d’apaisement et répliqua :

• Je n’ai fait que répéter ce que Virgile avait dit.

La mariée ne put s’empêcher de rire et les deux hommes l’accompagnèrent de bon cœur jusqu’à ce que Dorian redevienne brutalement sérieux. Il la détailla des pieds à la tête en déclarant :

• Regarde-toi, ce n’est pas une tenue décente pour une future princesse elfique.

Lucinda portait, en effet, les seuls habits qu’elle avait : un pantalon défraichi par le voyage et les combats et une chemise qui avait été blanche à une époque aujourd’hui révolue. Elle baissa les yeux, un peu honteuse, et n’osa pas murmurer qu’elle n’avait rien d’autre. Dorian se fendit d’un sourire sincère et demanda au lycan :

• Virgile, tu peux aller chercher Firiel ?

Ce dernier s’insurgea immédiatement :

• Pourquoi tu ne le fais pas ? C’est ta copine après tout !

Lucinda capta soudain le regard gêné de Dorian. Il parvint à convaincre Virgile en lui expliquant que la cérémonie devrait déjà commencer et qu’il y a beaucoup de choses à faire avant que la mariée ne soit parfaite. Le frère marqua son désaccord par un bruyant soupir, mais disparut quand même.

Une fois qu’ils furent seuls, la jeune femme demanda :

• Tu t’es encore disputé avec elle ?

Dorian acquiesça pathétiquement ; sa relation avec Firiel, la sœur de la reine elfique était des plus compliquées en ce moment. Il s’empressa donc d’user de sa magie afin de relever la crinière flamboyante de la mariée dans un chignon sophistiqué et d’y ajouter roses et perles pour agrémenter le tout. Il venait de terminer quand Firiel apparut. L’elfe avait revêtu une robe richement travaillée qui mettait en valeur ses longs cheveux bleutés et ses yeux turquoise. Elle aurait été la plus belle des femmes si son visage n’exprimait pas une franche colère à la vue de Dorian. Elle s’apprêtait à rebrousser chemin lorsque le mage la retint lui expliquant que Lucinda n’avait rien de décent à porter pour ce jour si important pour elle. Ayant fait sa part du travail, il s’éclipsa sans rien ajouter.