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Je l'entends, à travers la mince cloison. Elle a dû les manger crus, c'est ce qu'elles font, non ? Les peaux en paillassons, les os pour la soupe.
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À onze heures, je m'envoie deux Tylénol et un grand verre d'eau, m'habille et sors dans la rue. Le soleil me fait cligner des yeux. La pluie finit de sécher sur l'asphalte, laissant de larges mares remplies de feuilles mortes à la bordure du trottoir. Tout est normal. Seule une vague odeur subsiste des carnages de la nuit, semblable à celle que dégagent les bacs à compost qu'on a oubliés à la chaleur de l'été, ou que transportent les vents de l'ouest, de l'ancien dépotoir jusqu'aux maisons. Certains jours, des effluves douceâtres et légèrement nauséabondes envahissent un large territoire du nord de la ville. La décharge a été recouverte et transformée depuis peu en parc. Des coyotes en ont fait leur terrain de chasse. Il paraît que les renards qu'on y a introduits pour éradiquer les colonies de souris font des ravages auprès des animaux de compagnie. Combien de prédateurs partagent notre vie de citadins ? Combien de charognards se jettent sur les restes de leurs festins ?
Simone s'amène, un cabas à la main. J'essaie de l'éviter, elle me rattrape, un sourire mauvais au bec. Elle aussi s'est affublée d'un cache-poussière noir. Sa crinière s'échappe en mèches folles d'un béret de laine. Elle fonce sur moi.
« Eh ! Oscar ! Houlà, tu fais une sale tête. Ne me dis pas que tu vas travailler...
- Je n'ai pas le temps, Simone...
- Je ne comprends toujours pas comment les chats ont pu s'évader. Il faut rester optimiste, qu'est-ce que tu en dis ? Tu ne m'écoutes pas, Oscar.
- Je n'ai pas le temps.
- Écoute, suis mon conseil, rentre chez toi, et mets-toi au lit. Si tu veux, j'irai te porter de la soupe. J'ai fait des courses, j'ai tout ce qu'il faut. »
La vieille folle et sa soupe aux chats. Pas pour moi, Simone. Tu ne m'auras pas.
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