16 – Steve : Contre-attaque
Orah avait vérifié les informations. Sur le réseau de distribution de l’énergie, il y avait bien une anomalie dans le secteur dix-sept du dôme Trizac et toutes les stations de contrôle des robots de la maintenance avaient été piratés.
Le QG leur avait fourni un certificat valide des services techniques de la cité et Steeve l’a installé dans l’un des synthétiques et est en train de l’équiper. Alors qu’Orah perfectionne ses outils pour cette opération, Steeve examine les siens. Un pistolet shock facilement dissimulable avec une vingtaine de charge, un émetteur de liaison pour permettre à Orah de le suivre et de le guider, et bien sûr son injecteur, l’élément emblématique des émissaires. Le tout soigneusement camouflé en dessous de la combinaison de technicien pour la couverture.
« Tu es prêt ?, lui demande sa collègue.
– Oh que oui, confirme-t-il. Je m’immerge.
– J’ai une backdoor dans leur système de surveillance, explique-t-elle. Ils ne sont pas aussi nombreux que ça : vingt-deux personnes. Par contre, ils ont une sorte de cloisonnement, les petites frappes de l’extérieur n’ont pas accès à l’intérieur. Seuls quelques types de confiance ont le droit d’entrer dans leur zone VIP.
– Tu as repéré les cyber ? demande Steeve avec intérêt.
– Quelques-uns, je te les marque, confirme la decker.
– Je me mets en route. », annonce-t-il depuis l’enveloppe cybernétique.
Il ressort de leur section de maintenance au pied d’une autre tour et se dirige vers la station de métro. Arrivant sur le quai, il précise sa destination la grappe du dôme Trizac. Quelques dizaines de secondes plus tard, une rame s’arrête pour le transporter. Alors qu’il monte à bord, il note que les douze sièges sont vides : rien d’étonnant, c’est un dôme d’habitation et à cette heure matinale, la plupart des gens dorment ou se dirigent vers les autres dômes pour suivre leur routine quotidienne.
Glissant sur ses rails magnétiques à une vitesse vertigineuse, le véhicule met moins de deux minutes pour atteindre sa destination. À l’arrivée, la station est à peine plus encombrée : deux robots de la sécurité observent une maigre foule de quatre personnes qui attendaient leur rame. L’IA qui gère le trafic leur a certainement affecté celle avec laquelle il est arrivé. L’agent sous couverture ne s’attarde pas pour vérifier son hypothèse et traverse le tunnel d’accès au dôme.
Les six grandes tours du dôme convergent vers le centre et se rejoignent presque au sommet, comme des monolithes écrasant l’espace de leur masse. La résidence semble avoir déjà commencé à s’éveiller : quelques habitants effectuent leur sport du matin et deux coureurs rasent le technicien qui se dirige d’un pas assuré vers, l’un des accès à la section de maintenance.
Plutôt discrète, l’écoutille d’accès est enchâssée entre deux buissons. Steeve, envoie le certificat et la déverrouille avant d’y descendre. L’accès se referme derrière lui et il évolue désormais dans ces coursives invisibles à la plupart des colons. Principalement empruntées par le personnel technique, les occasions de s’y rendre sont rares et la plupart ne sont pas vraiment légalement justifiables.
Pour atteindre le niveau d’en dessous, Steeve emprunte une nouvelle échelle et atterrit dans une zone beaucoup plus fréquentée : des milliers de spider-bots et autres robots d’entretien circulent avec un zèle remarquable. Les agents robotiques s’écartent toutefois au passage du faux technicien.
Orah reprend contact : « Tu approches de la zone sous leur contrôle. Je vais t’identifier le plus isolé. »
Presque immédiatement, la silhouette d’un des hommes des Phobos’ Heights apparaît à travers les murs. Au gré de sa patrouille, il semble s’éloigner du centre de la zone. Se déplaçant rapidement, l’agent des renseignements se place sur sa route supposée et feint d’être en train d’opérer sur une machine qu’Orah lui marque comme un système de filtration atmosphérique. La proie arrive à portée de vue et l’interpelle : « Hé, qu’est-ce qui se passe ?
– Je vérifie la cause d’une alerte sur ce système de filtration, répond l’émissaire avec naturel.
– D’accord, accepte l’homme visiblement un peu surpris, vous en aurez pour combien de temps ?
– Difficile à dire, je viens à peine d’arriver. Je lance à peine le diagnostique. Pourquoi ?
– Rien. Bonne journée. », répond le guetteur tiraillé entre le désir d’exercer son autorité illégitime et celui ne pas alerter le reste de la cité. Il décide finalement de reprendre sa patrouille.
À peine a-t-il tourné le dos à l’agent, Steeve lui assène un tir shock dans le dos et le patrouilleur s’effondre. Seul avec sa proie dans la coursive, il branche son injecteur sur le port de connexion à travers la peau synthétique. Il y installe son logiciel d’immersion et écrasant complètement le personna de l’hôte infortuné, l’émissaire se téléverse dans ce nouveau corps.
Récupérant rapidement de la décharge shock, il se relève péniblement. Son intelligence artificielle de supervision écrase plusieurs effets de l’embodiement tandis que ses logiciels de compatibilité se calibrent. Sans perdre de temps, il récupère son équipement clandestin et le cache sur son nouveau lui. Il range ensuite l’enveloppe de technicien synthétique hors de la vue des personnes qui traverseraient la coursive et reprend son chemin.
Il approche du périmètre d’opération adverse et croise un autre patrouilleur. Sans s’arrêter, il lui adresse un hochement de tête auquel l’autre répond d’un signe amical de la main. Le voici définitivement en territoire ennemi et Orah lui planifie son itinéraire pour lui faire éviter un maximum de monde. Avec cette enveloppe, il ne pourra pas entrer dans la zone VIP, mais Orah pense avoir localisé l’un de ceux qui le peuvent et compatible qui plus est : une contrebandière avec un casier étonnamment vierge.
Seul souci, l’individu est en train de discuter avec deux autres agents des Phobos’ Heights, un homme et une autre femme. À un contre trois, Steeve a ses chances, mais le risque reste trop grand. Orah marque les trois personnes sur son interface. Pour le moment, l’émissaire reste à distance et joue la carte du temps : ils finiront bien par bouger.
La decker lui envoie : « Leur discussion est intéressante, je te la transmets. »
Une nouvelle fenêtre s’ouvre dans son espace virtuel et expose les trois, visiblement capturés par un robot de la maintenance.
« Mais il est où maintenant ? demande l’une des deux acolytes.
– On sait pas. C’est le principe, répond l’autre affalé contre le mur.
– Et c’est pas le seul… déplore la cible.
– Il y a des gens qui ont suivi Prof’ ? demande la première femme.
– Suivi, c’est vite dit, rétorque l’autre femme. Ce type est complètement fracassé. »
Des défections chez les Phobos’ Heights, note Steeve. Il semble que tout le monde ne cautionne pas le travail récent de l’organisation. Personne ne rejoint la mafia martienne par nécessité : avec le haut niveau de vie dans les colonies et l’allocation de base, le terreau n’est pas du tout similaire à celui des organisations criminelles habituelles. Ici, beaucoup viennent pour l’adrénaline, l’excitation de la subversion, et l’attrait d’un pouvoir imaginaire. Pas étonnant que certains rats quittent le navire dès que les choses deviennent trop sérieuses pour eux.
« Je crois que Ophta, Jay’Nee et Neelson Junior se sont tirés aussi, continue l’homme.
– Ben merde.
– Bah, ils étaient pas assez engagés, c’est tout. », fait remarquer la contrebandière, confirmant les suppositions de l’agent.
Un quatrième homme arrive dans la coursive et entre dans la conversation qui rebondit de plus belle.
Alors que Steeve s’apprête à demander une autre cible à Orah, la femme se désengage et s’éloigne, prétextant qu’elle est attendue. Prudemment, Steeve la suit en longeant une coursive parallèle. Une fois hors de portée, l’émissaire attaque et l’abat d’un tir shock. Là, il réitère son opération : injectant sa conscience dans ce corps, supprimant la précédente hôte au passage. Alors qu’il se relève, Orah l’averti qu’un des hommes approches. Il n’a pas le temps de cacher son corps précédent.
L’acolyte arrive, mais alors qu’il remarque l’anomalie, un tir shock l’atteint en pleine tête. Steeve vient le ramasser et le traîne vers la minuscule zone de stockage qu’il avait prévu pour l’autre corps. Après avoir déposé les deux corps, il utilise l’arme de la contrebandière et abat l’organique d’une balle dans la tête. Il ressort ensuite du dépôt et referme la porte sur ses deux victimes.
L’émissaire revient et franchi le groupe qui discutent encore des récents évènements. Il s’approche de la zone dite « VIP » et franchis le seuil sous le regard du garde qui le laisse passer. De l’autre côté de la porte, un ancien stockage a été converti en véritable appartement. Attablés, la cible, son garde du corps et deux autres hommes, probablement des clients.
Orah récupère rapidement ce qu’elle a sur eux et les marques en transmettant ses informations : « Lui, c’est Mathew, le chef de la cellule de Lunae. Notre cible. À sa droite, c’est Bill Tagarne, son garde du corps. Les deux autres sont dans des enveloppes temporaires, impossible de savoir qui c’est.
– C’est le moment du grand ménage. », annonce Steeve sur leur réseau.
Alors que le garde du corps prend conscience de sa présence, une balle traverse sa veste et s’écroule. Les deux autres hommes tentent de se mettre à couverte, mais la rafale initiale les fauche dans le mouvement. De l’autre main, l’émissaire neutralise la cible avec son arme shock et Mathew s’effondre sur son garde du corps.
« Personne n’a réagi de l’autre côté de la porte. C’est le moment de faire les prélèvements, s’enthousiasme Orah.
– Voyons avec qui monsieur traitait. », annonce l’émissaire.
Un par un, il connecte le cerveau numérique des deux synthétiques et en quelques dizaines de secondes, Orah a téléchargé l’intégralité de ce qui s’y trouvait avant d’effacer le support originel. Pendant ce temps, il vérifie l’état du garde du corps.
« Bill Tagarne, hein ?, demande-t-il a sa collègue.
– Yep, pourquoi ?
– Il a de la chance.
– Tu vas l’épargner ?
– Oui. Mais pas sans installer ceci ! », explique-t-il en injectant le micro émetteur de liaison sous la peau de l’homme inconscient.
« Tu es conscient qu’il va probablement mourir de sa blessure ?
– Non, j’ai tiré au bon endroit, conteste Steeve. Sans assistance, il lui faudra plusieurs semaines pour récupérer par contre.
– Parce que tu fais ce que ce fixeur te dit maintenant ?
– Non, parce qu’il devra un jour confronter Snack. », s’amuse l’homme.
Vient le tour de Mathew. Pour lui, les deux agents lui ont prévu quelque chose de bien plus définitif. Une fois sa mémoire téléchargée, la decker « empoisonne » son schéma et déclenche la procédure de sauvegarde. À son retour à la vie, sa prochaine instance n’aura simplement plus les capacités de nuire et ce définitivement.
Leur affaire terminée, Steeve vérifie qu’il n’a pas tâché son enveloppe avec le sang de Tagarne. Il considère la scène et se dit que les forces de sécurité vont bien s’amuser avec ça.
Avant avant de sortir, Orah l’interrompt : « Changement de plan : ces enfoirés traitent avec les Dragons de Neutrons. Le cerveau veut qu’ils soient tous abattus pour faire passer le message.
– Je laisse Bill de côté, insiste l’émissaire.
– Comme tu veux : avec l’émetteur, il est sous contrôle et quand les forces de sécurité le chopperont, il ne risque pas de faire le malin. », accepte la decker.
Dans son corps de contrebandière, l’agent se prépare. Orah lui a marqué la totalité des cibles. Les silhouettes colorées évoluent devant lui, encore inconsciente du châtiment qui va s’abattre sur eux. À peine sorti, de la salle, le garde tombe et Steeve s’empare de son arme, bien plus adaptée pour le ménage à venir. Le groupe qui discutait avec la contrebandière tombe sous une rafale. Cinq autres hommes et femmes des Phobos’ Heights sont tués avant que l’opposition ne réagisse. Mais, coupés du réseau et isolés par la decker, ils ne parviennent pas à contacter le moindre renfort et l’émissaire, impitoyable, les traques et les supprime un-à-un.
Le carnage libérateur ne dure qu’à peine sept minutes. Les morts confirmés, Steeve se téléverse à nouveau dans son enveloppe originelle, reprends ses affaires sur la contrebandière au regard vide et repart comme il est venu.
Dans cette affaire, les renseignements martiens ne toléreront plus aucuns revers. Que ce message serve aux suivants.
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