17 – Snack : Conséquences imprévues

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La nuit s’était bien passée pour Émy qui avait fini par trouver le sommeil, confortablement installée dans son lit. Les deux nevians avaient veillée sur elle et Milly était repartie chez elle pour mettre son mentor dans la confidence. Après ce qui s’était produit, ils auraient besoin de renforts et d’aide.

Ni Snack, ni Zoy n’a la moindre idée de qui est Ekaïdos, mais la façon dont en parle Milly lui donne une aura de sagesse et de pouvoir. Si c’est lui qui a appris à Milly à s’infiltrer dans le réseau comme ça, ce doit être un « decker » d’exception. Le terme en lui-même semble provenir de la science-fiction du siècle passé, à une époque où le concept devait être bien différent de ce qu’il est devenu. Mais à une époque où le virtuel déborde très largement sur la réalité, beaucoup de choses ne fonctionnent plus de la même façon. Surtout dans les colonies.

Ce matin, Émy fait la grasse matinée. Ce n’est pas surprenant constate le nevian : sa nouvelle enveloppe prend son rythme pour la première fois et la charge émotionnelle de la veille n’y a pas aidé.

« Toujours aucune nouvelle de Milly, se plaint Zoy.

– Ne t’en fais pas, elle va revenir. », le rassure Snack.

Son ami nevian ne s’est pas non plus remis de son changement de vie. Après tout, ça ne fait que deux jours qu’ils l’ont extrait de sa prison et ramené à la surface. Snack lui-même a encore des phases de nostalgie de son époque avec Bill, quand il était « un bon nevian » et qu’il faisait rugir les spectateurs de l’arène dans ces combats odieux. Que sont devenus Bill et Mathew ? La dernière fois qu’il les avait aperçus, son ancien propriétaire et le maître de l’arène s’enfuyaient par les sous-sols de la ville alors que les forces de sécurité avaient investi les lieux et emportaient tous les spectateurs de ces combats illégaux.

Dans l’appartement, avec Émy, et maintenant Zoy, il se considérait à nouveau chez-lui. Une impression familière et rassurante : comme une constante à laquelle se raccrocher. Émy y a sa routine et Snack l’a vite intégré. Quelque part, c’est le genre de vie pour laquelle il a été conçu : vivre avec des êtres communs et prendre soin d’eux. Mais Snack pressent que les choses ne resteront pas calmes.

Pour commencer, il n’y a aucune raison d’abattre quelqu’un comme Émy. La mort n’est qu’un état transitoire pour le pattern et une instance sera presque toujours remplacée par une autre. De fait, Snack ne voit que trois raisons pour lesquelles commettre un meurtre dans les colonies : gagner du temps en retardant les actions de la victime, supprimer des souvenirs ou faire passer un message de façon violente. Pour le meurtre d’Émy, ça ne fait pas sens : elle ne représente aucun danger et l’opération a dû être affreusement coûteuses, surtout que Snack a emporté quelques éléments de l’assassin lors de sa lutte contre lui.

Non, le message était pour quelqu’un d’autre. Les nevians ? Et si c’était pour l’atteindre lui ? Ou Zoy ? Des représailles pour avoir emporté leur ami loin du sous-sol ? Après coup, Milly leur avait reproché d’avoir été s’exposer et si ce « Prof’ » est allé les vendre à d’autres… Sauf que ça ne colle pas : Bill et Mathew parlait d’un assassinat avant qu’ils ne puissent savoir pour la disparition de Zoy… Ces deux-là doivent en savoir plus.

Snack, envoie un message à Milly : « Coucou Milly. Est-ce que tout va bien de ton côté ? Je sais que tu n’as pas trop envie d’aller chercher des noises. Moi non plus. Mais je n’arrive pas à me résoudre à ne rien faire. Je me dis qu’on ne sait pas pourquoi ils ont fait ça et j’ai peur qu’ils recommencent. Je pense que Bill et Mathew doivent en savoir plus sur l’assassin d’Émy. Ton ami, Snack ».

À sa surprise, le message est à peine parti qu’une réponse lui parvient : « Coucou Snack ! Tu ne me connais pas encore assez, mais avec Ekaïdos on adore chercher des noises à ceux qui le méritent. On ne va pas leur laisser l’occasion de recommencer et on a une piste sérieuse. Comme tu l’as deviné, elle implique Bill et Mathew. Ce qu’ils ont dit pendant qu’on sauvait Zoy les places tout en haut de la liste des suspects. Je sais que Bill a été ton premier propriétaire et que tu ne lui as pas tenu rigueur de ce qu’il t’a fait faire, mais s’il est impliqué, il devra répondre de ses crimes. Pour le moment, on cherche encore où ils pourraient être, mais dès qu’on le sait, on te recontacte. D’ici là, prenez-soin d’Émy. ».

Elle a raison le concernant, la revanche n’est pas dans le désir des nevians : bien que leur logiciel de sociabilité les rende extrêmement expressifs et qu’ils aient développé des formes de sentiments en devenant sentients, ils restent majoritairement contraints par le fonctionnement de leur noyau et la rancune n’y a aucune valeur. Pas une valeur positive en tout cas : se venger représente un coût pour l’intelligence artificielle et sans rien pour contrebalancer ce coût, cette option est simplement rejetée.

« Ceux qui le méritent ». La soif de justice de Milly est similaire mais ne repose pas sur ce sentiment inutile : son travail et celui de son mentor visent une forme de justice. Jusqu’où va cette guerre invisible que ces factions sans nom se livre et qui parfois atteint quelques personnes à la surface ?

Émy vient de se lever. Et Zoy est déjà en train de commander le synthétiseur. Snack vient la voir et lui souhaite : « Bonjour Émy. Comment vas-tu ?

– Un peu mieux qu’hier. Oh, Zoy, ce n’est pas nécessaire… », explique-t-elle alors que le nevian lui apporte un nouveau plateau déjeuner.

Il répond, débordant d’enthousiasme : « Il y a des œufs, un peu bacon et un bon thé pour commencer la journée. Il te faut de l’énergie !

– Vous êtes vraiment adorables ! », s’amuse-t-elle en attrapant le plateau avant de s’installer à la table du salon accompagnée de son escorte en fourrures noires et rousses.

La grande baie vitrée qui donne sur la cité laisse entrer la lumière du soleil de midi qui rebondit sur la moquette verte, teignant le plafond d’une teinte forestière. Alors qu’elle mange son repas, Émy se perd dans l’horizon saumon de la vue. Elle a toujours le rêve de devenir astronaute : sa mésaventure ne lui aura pas retiré ça et Snack sera plus qu’heureux de l’aider à atteindre son objectif. Zoy l’observe, exprimant beaucoup de joie et d’intérêt. Il semble bien plus résilient que ce que Snack imaginait lors de leur première rencontre. Plus le temps passe et plus Snack réalise que ses heuristiques pour analyser les sentiments et pensées des humains fonctionnent très mal sur les nevians. C’est une surprise agréable pour son noyau curieux.

Milly lui envoie une demande de téléchargement : la voici de retour. Snack ouvre le canal, vérifie sa clé et l’accepte sur son unité de calcul. De là, elle projet son avatar sur la couche de réalité augmentée dans leur petit réseau privé et leur annonce : « Coucou mes amis ! On a trouvé quelque chose avec Ekaïdos.

– Coucou Milly, s’exclament les deux nevians de concert.

– Quoi de neuf, demande Snack ?

– Pour commencer, cet appartement n’est pas sûr : Ekaïdos a repéré le signal d’une douzaine de mouchards cachés un peu partout.

– Hein ? s’indigne les deux nevians.

– Les retirer risque de nous exposer à une nouvelle riposte, il faut qu’on s’éloigne de là pour la suite.

– Je m’en occupe. », indique Snack.

Inconsciente de la discussion que viennent d’avoir les nevians, Émy termine son assiette tranquillement. Snack attire son attention et lui demande : « Tu es déjà allé au musé de la colonisation de Mars ?

– Non, pourquoi ?

– Je me demandais, vu qu’il a toute une section sur les activités extravéhiculaires, si ça ne t’intéresserait pas.

– Pourquoi pas. C’est gentil de vouloir me changer les idées. On pourrait y aller aujourd’hui.

– Snack m’a dit que tu aimerais vraiment devenir astronaute, rapporte Zoy.

– Ah ? s’étonne Émy. Oui, j’aimerais bien, mais la route est plus longue que je pensais…

– On t’aidera, propose le nevian roux.

– C’est gentil. », le remercie leur amie.

Un peu avant de partir, Orah débarque sous le regard des robots de sécurité postés dans le couloir à l’entrée de l’appartement. Elle leur propose d’aller se changer les idées dans « leur » parc. Alors que Snack s’apprête à composer une excuse pour refuser, c’est Émy elle-même qui insiste pour passer cet après midi avec ses nevians. Alors qu’Orah, légèrement décontenancée est repartie, l’amie des nevians leur explique : « Ils sont gentils, mais je les trouve un peu étouffants. J’ai vraiment envie de passer la journée tranquille. »

Et les voici partis. Le musée en lui-même n’est pas très loin : il se trouve dans une grappe de dômes adjacente, à côté du principal centre de loisir de Lunae, l’endroit où la plupart des habitants utilisent leur temps dans cette société où le travail a pratiquement disparu. La cité de Lunae possède des dômes très variés, surtout par rapport à d’autres colonies de Mars. « L’or et le saphir de Mars », comme le décrivent certains architectes, reste très majoritaire, mais plusieurs dômes possèdent des design plus atypiques ce qui en fait une cité moins aseptisée que peuvent l’être Elysium ou Marineris.

Accompagnée de ses deux nevians, l’astronaute en devenir se tient devant le seuil du bâtiment. Sa façade est recouverte d’hexagones dans lesquels sont notés les noms des nombreuses missions pour l’édification de la cité avec leurs équipages. Lunae est la onzième cité établie à la surface de l’astre rouge comme le rappelle un bandeau de tissus d’ocres sombres portant une écriture d’un gris très clair et auquel le contraste donne une teinte légèrement verte.

À l’intérieur, quelques curieux, et visiblement des habitués, circulent dans un espace rempli de modules, de machines, de rovers, de combinaisons et d’outils exposés. L’espace virtuel est rempli d’annotations accompagnant chaque élément et même chaque partie de ces artefacts. Rapidement, les nevians peuvent presque palper l’excitation qui envahie leur amie.

Loin des traqueurs des ennemis de l’ombre, les nevians discutent de leur plan sur leur réseau privé. La visite en elle-même n’est pas pour autant désagréable et voir leur amie s’épanouir au milieu de ces reliques et merveilles de la technologie de la colonisation spatiale leur offre une grande satisfaction.

« Il y a toute zone de la maintenance qui est presque silencieuse », explique Milly qui envoie un plan des sous-sols du dôme en question à ses deux compagnons. Snack reconnaît rapidement une partie du plan : c’était là-bas qu’il était entreposé entre les combats. L’idée de revenir à sa première maison l’avait beaucoup travaillé au début, mais elle avait, pour ainsi dire, disparu ces derniers jours. Mais la zone qui intéresse plus particulièrement Milly se trouve un niveau plus haut et surtout sur le côté opposé du quartier de Trizac.

Au fil des explications techniques de Milly, Zoy réalise : « Il faut qu’on trouve un moyen de s’absenter. Je n’ai pas envie d’impliquer plus Émy.

– Je suis d’accord, appuie Snack.

– Vous lui avez demandé ? Elle a le droit d’avoir son avis sur la question. », fait remarquer Milly.

Leur aînée a bien raison. Ils ne peuvent pas continuer d’agir à la barbe de leur amie, même si c’est pour son bien. C’est Snack qui brise le tabou implicite : « Émy, on aimerait te demander quelque chose.

– Quoi donc ?

– Je t’envoie une invitation sur notre réseau. », lui indique le nevian avant de le faire.

Lorsqu’elle accepte le lien, la femme réalise qu’ils sont accompagnés de Milly et laisse échapper son étonnement sur le réseau.

Les nevians l’invitent à s’installer dans un des simulateurs d’approche où ils seront plus tranquilles pour discuter. L’engin est la fidèle reproduction de la cabine de pilotage et de contrôle d’un atterrisseur martien utilisé plus de vingt ans auparavant. À peine installée, Émy regarde avec émerveillement chaque contrôle, chaque interrupteur, comme s’ils revenaient à sa mémoire. Elle leur explique que durant ses premières années d’études Sol6 utilisait de pareils simulateurs pour les entraîner aux opérations spatiales. Sa voix remplie de nostalgie et de mélancolie l’ancre de plus en plus dans ses souvenirs et ses convictions. Quelque part, Snack à l’impression que cette sortie aurait dû être faite depuis bien longtemps.

Elle reprend rapidement ses esprits et leur demande : « Alors, de quoi vous voulez parler ?

– On aimerait tirer au clair ce qui s’est passé hier et être sûr que ça ne recommencera pas.

– Comment ? s’interroge la femme.

– Milly est très douée pour trouver des pistes, et on en a une. Mais on va devoir visiter un endroit interdit, explique Snack.

– Vous allez prendre des risques pour moi ? s’étonne-t-elle.

– Pour nous tous, complète le nevian. On n’est même pas sûrs que tu étais la seule visée. En plus, il n’y a aucune raison logique pour que quelqu’un envoie un assassin : tu n’as pas menacé de gens et tu n’as pas de pouvoirs politiques ou autre.

– Je pense que c’était une vengeance pour ce que j’ai fait sur Mercure, évalue Émy.

– Ce n’est pas une raison logique, conteste Zoy. Ça coûte cher, ça ajoute des risques et ça ne rapporte absolument rien à ceux qui voudraient faire ça.

– La vengeance est un truc d’humain… C’est pas logique, explique-t-elle.

– Qui te voudraient du mal alors ? demande Snack.

– Hmm… J’ai contribué à faire tomber un tas de déserteurs de l’ONU et aussi une partie des Dragons de Neutrons.

– Et il n’y a que des humains dans le premier groupe, note Milly. Ça pourrait être les commanditaires.

– Où vous comptez aller ? s’intéresse la femme.

– Dans une zone de maintenance du dôme Trizac, explique Milly projetant le plan.

– Je vous propose un truc. Je vais encore rester trois heures ici je pense. Pendant ce temps-là, faites votre visite. Si vous n’êtes pas revenus quand je dois repartir, j’enverrais les forces de sécurité. », avance Émy.

Les trois nevians la regardent avec détermination et lui promettent : « On reviendra et on t’expliquera tout. ». Elle leur souhaite une « bonne aventure » et enclenche la simulation. Alors qu’ils sont sortis, l’appareil fictif se secoue alors que les vérins de contrôle s’actionnent et que le scénario de la simulation commence à de dérouler.

Ils ont trois heures avant l’arrivée de la cavalerie.

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