Avec ses deux compagnons, dont un virtuel, Zoy redescend dans les entrailles de la cité. Il n’était pas très pressé d’y retourner, mais curieusement son appréhension reste à un niveau très acceptable. Leur descente les conduit à traverser ces coursives dont les murs portent d’innombrables canalisations et câbles. Le système de distribution électrique et d’eau de la cité est impressionnant et forme un réseau tout aussi complexe que la matrice de Milly. Et vivant : en dessous, la ville grouille de robots, en particulier de spiderbots.

Ils traversent une salle qui occupe deux niveaux, remplie des énormes aérateurs, de filtres atmosphériques, et de pompes à chaleur. Plusieurs tuyaux montent et descendent, certains gagnent la surface et les bâtiments, d’autres viennent puiser le peu de chaleur disponible dans le sol pourtant à des températures glaciales.

Snack l’arrête : « Il y a eu de la bagarre ici… ». Il pointe un corps, une femme dont la plaie à l’arrière de la tête ne laisse que peu de doute sur son destin.

À son tour Milly s’exclame : « C’est une exécution.

– Porter une arme ne protège pas des balles, constate Zoy déstabilisé par la vision.

– Milly, il nous faudra des yeux, demande Snack.

– Tu veux lui prendre ses yeux ? s’étonne le nevian roux écarquillant les siens.

– Hein ? Non Zoy ! se défend Snack.

– Trouvez-moi une station de contrôle, demande Milly.

– D’accord. », répondent les deux nevians.

Zoy sait ce que c’est : les stations de contrôle sont des serveurs informatiques reliés à l’intégralité des robots de maintenance d’une section. Et de là, il est possible de mettre à jour ou de commander toute son armée robotique, notamment pour déployer une mise à jour ou rappeler d’anciennes unités obsolètes.

Est-ce qu’un jour, il sera lui aussi obsolète ? Probablement. Mais ça veut dire qu’il y aura de meilleurs nevians encore.

Ils arrivent devant la fameuse installation : une tour étanche de racks informatique d’où sortent d’innombrables câbles : une alimentation, des centaines de câbles pour le réseau de proximité. Une unique canalisation passe au travers : relié au réseau de thermique, c’est là que la chaleur du matériel informatique surcadencé est évacuée.

Snack connecte Milly qui, après quelques minutes annonce qu’elle est en possession de la section. Leur plan virtuel se met à jour en temps réel et Milly marque une vingtaine de points dessus.

« Qu’est-ce ? Des gardes ? demande Snack.

– Des corps, explique la decker. Si la section n’était pas obscurcie informatiquement, les forces de sécurité seraient déjà là.

– Mais qui a bien pu tuer autant de monde ? s’inquiète Zoy.

– Je ne sais pas, mais il reste peut-être chose pour nous renseigner.

– Mais on ne risque pas de se faire attaquer ? s’alarme Zoy.

– Il n’y a plus rien qui bouge qui ne soit pas un robot de la maintenance, indique Milly. C’est un vrai carnage.

– Aucun de survivant ?

– Voyons… recherche Milly. Peut-être un. Mais il est tout au fond.

– En route. », lance Snack.

Sur leur chemin, ils croisent de nombreux autres corps. Seul un groupe de trois semble avoir eu le temps sortir leurs armes avant d’être tués. Un autre avait tenté de fuir. Les munitions supersoniques n’avaient pas fait de cadeau et laissent ces blessures typiques à la sortie. Curieusement, toutes les victimes ou presque, portent une arme.

« Les armes pulseurs ne sont pas interdites sur le sol martien ? demande Snack.

– Elles le sont, confirme Milly.

– Ça fait beaucoup d’arme interdite, non ? constate le nevian.

– J’en ai fabriqué plein pour Prof’. Je suppose qu’il doit y en avoir une ou deux à moi dans le tas. Elles ne leur ont pas été très utiles. », s’attriste Zoy.

Ils arrivent à la fameuse salle : l’intérieur a été complètement réaménagée : des cloisons mobiles séparent l’espace qui devait accueillir un système de traitement des eaux, vu les nombreux emplacements pour les canalisations au plafond. Ce devait être un système de redondance vu que son absence ne s’est pas plus fait remarqué que ça. Maintenant, la salle est un véritable appartement, plutôt luxueux même avec un revêtement au sol qui ressemble à un plancher et une sorte de papier peint vert aux murs. Et les quatre corps qui traînent au sol dénotent avec le reste…

« Bill ! », s’exclame Snack qui se précipite vers l’un des hommes inanimés. Zoy s’approche aussi et constate qu’il s’agit du survivant dont Milly a parlé. Alors que son ami l’ausculte, le nevian roux entre dans ce qui ressemble à la salle des soins et s’empare de la sacoche de premier secours. Toutes les habitations en ont dans les colonies, même les clandestines semble-t-il.

Revenu auprès de Snack, Zoy extrait le matériel du medikit. Il y a même un scanner wolfa à champ proche, le nevian se demande s’il pourra le garder. Passant l’appareil sur l’unique blessure recensée, il constate que le projectile responsable est encore en place.

« Soit, il a eu beaucoup de chance, soit ceux qui ont fait ce carnage voulaient l’épargner, expose Zoy.

– Comment tu en es sûr ? demande Snack.

– Pour se mettre ici, la balle a dû traverser toute cette région et elle pourtant, elle a évité cette artère. Un trou dedans aurait été immédiatement fatal.

– Pourquoi il a perdu conscience alors ?

– En passant ici, l’onde de choc a comprimé cette partie ce qui a provoqué une syncope et le traumatisme de la blessure et la douleur ont fait le reste, explique méticuleusement Zoy.

– Ça n’est pas dans notre base de connaissance tout ça, fait remarquer Milly. Comment tu sais autant de chose ?

– Prof’ réparait aussi des gens. Il m’a appris. », explique le nevian avec désinvolture.

S’emparant d’une pince à épiler, il plonge ses doigts dans la plaie et en ressort une petite bille de cinq millimètres de diamètre : toute cabossée, elle affiche les dégâts d’un voyage à la vitesse du son et de l’impact sur la côte qu’elle a traversée. La menace extraite, Zoy s’empare du medigel et en injecte une généreuse quantité dans la blessure. Activant le contrôleur, il organise alors les micro-robots qui composent une partie du gel et restructure les tissus déchirés. En se solidifiant, le gel imite le réseau sanguin endommagé et restaure la vascularité de la région.

« Il survivra, annonce Zoy. Par contre, il lui faudra encore une petite heure avant de reprendre conscience et quelques semaines de convalescence s’il se contente de la récupération naturelle de son enveloppe.

– Merci Zoy, lui adresse Snack.

– Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demande le nevian médecin.

– Il nous reste deux heures avant qu’Émy nous envoie les « renforts », indique Milly.

– Je n’ai pas trop envie de le laisser là, précise l’ancien gladiateur.

– Émy ne voudra jamais qu’on le garde chez nous, déplore Zoy.

– Il n’a pas des amis ? Qui ne sont pas morts ? demande Milly.

– À part Jumper ? Je ne sais pas, répond Snack.

– Jumper hein ? Tu connais son adresse ? demande la decker.

– Non. Mais je sais où on peut déposer Bill pour qu’il le retrouve.

– Ou ? demande Zoy.

– À mon ancienne maison, explique le nevian noir. Il suffira d’envoyer un message anonyme à Jumper pour le prévenir.

– « Ancienne maison », « Anonyme » ? Je ne suis pas convaincue, objecte Milly.

– D’accord, pas anonyme pour lui, mais si on veut pouvoir lui poser des questions, il ne faut pas qu’il fasse ramasser par les forces de sécurité.

– On peut lui faire confiance ? demande la decker prudente.

– Je ne sais pas, avoue Snack.

– Si on doit le ramener quelque part et que personne n’y voit d’inconvénient, je vais le scanner : c’est curieux qu’on l’ait laissé spécifiquement en vie, indique Zoy.

– D’accord. », accepte l’ancien gladiateur.

Zoy empoigne le scanner wolfa de ses deux petites mains et passe son embout sur tout le corps du blessé. Au bout de quelques minutes, il s’exclame : « Ah ! Ils lui ont injecté un traceur. Et la plaie date du carnage.

– Un appât, réalise Milly.

– Tu peux le retirer ? demande Snack inquiet.

– Bien sûr ! », confirme le nevian médecin qui s’y emploie immédiatement.

Procédant à une petite incision, il plante une petite lame équipé d’un micro-manipulateur. Après quelques gestes presque imperceptibles, il remonte la pointe accrochée à une petite plaquette d’à peine un millimètre de côté.

Alors que les trois contemplent le mouchard, Milly propose : « J’aurais bien envie de le coller sur un spider bot et de l’envoyer dans le centre des Forces de sécurités.

– L’idée serait amusante, confirme Snack.

– Tu nous en attrapes un ? », demande Zoy tout aussi convaincu.

Milly détourne un robot de la maintenance, tandis que Zoy désinfecte le mouchard. Le nevian bricoleur colle ensuite le minuscule appareil sur la coque du spiderbot avec une goutte de medigel. La decker l’envoie enfin, après avoir préparé son itinéraire.

« Et maintenant ? s’interroge Snack.

– Je n’ai pas de meilleure idée que la tienne, explique Milly. Il faut qu’on garde Bill à l’écart en sachant qu’il faut que quelqu’un veille sur lui vu son état.

– Comment on contacte Jumper alors ? demande Zoy.

– Je peux trouver facilement son contact, lui assure Milly.

– Bien, il faut qu’on le porte, je vais regarder dans la réserve là-bas s’il y a pas de quoi faire un brancard. », préviens Zoy.

Le nevian roux rejoint le fameux débarras. Dedans, du matériel de réparation dont quelques conduites de deux centimètres de diamètre constituée d’un matériau composite noir. Avec quelques tiges pour renforcer la structure et une bâche doublée, Zoy fabrique un véritable brancard à bras. La tâche terminée, il revient près de ses deux amis avec et pose sa création devant eux. Quitte à se servir dans le matériel des colonies, il a gardé le multitool qu’il vient d’utiliser et le porte en bandoulière.

Durant ce temps, Milly et Snack ont examiné les autres victimes de l’appartement clandestin. Milly explique : « C’est très étrange : les deux cybernétiques ont entièrement été effacés. Ce sont des corps fournis par le spatioport, donc ils ne sont très probablement pas de Lunae.

– Et Mathew ? demande Snack.

– Son cerveau électronique a aussi été complètement nettoyé. Je ne sais pas si l’attaquant a pris la peine de télécharger leur mémoire ou s’il a simplement décidé d’effacer tout le monde…

– Mince… pousse le nevian noir.

– Quoi ? demande la decker.

– Je viens de réaliser qu’ils ont peut-être fait ça à Bill, explique Snack.

– Non, aucune chance : ton ami a un cerveau majoritairement organique. Et il est en bon état. », le rassure Zoy qui est revenu avec le produit de son bricolage.

Avec l’aide de Snack, ils déposent le blessé sur le brancard et profitant de leur force surhumaine et de la faible gravité martienne, les deux nevians emportent Bill dans les tréfonds de l’installation. Juste avant de partir, Milly insiste pour qu’ils effectuent une rapide inspection, histoire de ne pas laisser des traces de leur passage qui puisse les incriminer. Après avoir effacé une empreinte de patte de nevian dans le sang de Bill, ramassé une dizaine de poils perdu et rangé la sacoche médicale, que Zoy décide aussi d’emporter, ils s’en vont enfin.

À nouveau les coursives impersonnelles et techniques se suivent et Zoy fait un plan mental de tout ceci : l’architecture technique de la colonie le fascine et il aurait aimé avoir plus temps pour ouvrir plusieurs de ces machines.

Après une demi-heure de galopade dans les couloirs, l’équipe arrive à la première « maison » de Snack. C’est un petit dépôt de matériel détourné où quelques brides de mobilier ont été installées. Quelques traces de l’ancienne vie de Snack y sont encore visibles, notamment à travers deux biberons de nutrigel vidés et un torchon qui porte encore un peu de sang du nevian.

Zoy se rend rapidement compte que l’endroit est chargé d’histoire pour son ami qui contemple les lieux d’une nostalgie mélancolique. Alors que Bill, confortablement installé, respire lentement, Snack s’assied à ses côtés et lui murmure quelques mots gentils. Il a visiblement encore un peu d’affection pour son ancien propriétaire.

Une fois assuré que le cyborg était bien installé et en relativement bonne santé, Milly leur annonce qu’elle a envoyé le message à Jumper. Snack fait quelques adieux solennels, promettant de revenir plus tard avant de sortir du débarras.

Il est temps de décamper, Émy envoie la cavalerie dans moins de quarante minutes.