23 – Orah : Intégration mortelle
Dans la chambre de l’hôtel, Orah poursuit ses recherches. La société Iliade Sensitive est principale reconnue comme l’un des leaders dans la conception d’intelligence artificielle. C’est elle qui fournit la majorité des IA de recherche de Suan. La société propose aussi la création de systèmes informatiques spécialisés, que ce soit des contrôleurs de constructeur universel ou des logiciels de maintenance. Mais ce que remarque la decker, c’est que ces dernières années, un effort de promotion a été fait pour mettre en avant leur nouvelle spécialité : l’intégration logicielle à bord des agents hyper-hybride. En reconstruisant brièvement la chronologie des annonces, la conception et l’intégration de l’intelligence des nevians est très probablement leur premier projet dans ce domaine.
En continuant son enquête, Orah découvre qu’Iliade Sensitive possède un agrément militaire : la nature des projets liés n’est pas public. Effectuant une très rapide analyse de surface des serveurs frontaux de la société, la decker constate que l’ensemble du site est protégé par des contre-mesures très récentes. Sans être hors de sa portée, s’introduire représente un risque excessif comparé à l’intérêt des données à récolter. Et envoyer Steeve dans un site classé militaire sera bien plus compliqué, surtout qu’il n’a pas son injecteur d’émissaire.
« Et est-ce qu’Elmetech Philorganics n’aurait pas les sources ? lui suggère son collègue.
– Ce ne serait pas bête, confirme Orah. Je ne vois pas Elmetech envoyer chaque nevian physiquement pour effectuer l’intégration de son logiciel.
– Et Elmetech n’a pas d’agrément militaire de ce qu’on avait vu, continue Steeve. Donc y rentrer sera plus simple.
– À vérifier, mais c’est probable. On pourrait aussi récupérer les schématiques de leur enveloppe ?
– Tu veux te lancer sur le juteux commerce des nevians ? plaisante l’émissaire.
– Non, mais j’ai le sentiment qu’avoir les deux permettra d’y voir plus clair.
– « Ceci n’est pas une enveloppe », plaisante Steeve avec un fort accent français.
– Exact : il doit y avoir un truc qui rende l’immersion plus compliquée, et je soupçonne que ça ait un rapport avec la façon dont ils sont câblés.
– Le hackeur qui a essayé de s’y introduire a décrit quelque chose que je n’ai encore jamais rencontré, détaille Steeve. S’ils ont vraiment procédé à des inversions sensorielles, le pauvre gars doit avoir sacrément morflé.
– On le saura cette nuit. En attendant, il faut qu’on trouve du matériel : on est un peu à poil.
– Je vais prendre contact, fais-moi une liste de ce qu’il te faudrait, indique l’émissaire.
– Tu vas passer par qui ? s’intéresse Orah.
– Neo Control : il n’y a pas plus fiable à l’étranger.
– Je t’envoie ça. », confirme la decker.
Le Neo Control, l’un des plus grands groupes de mercenaires, rivalisant presque avec les, trop intègres, Soleils. Le marché noir n’est pas leur spécialité, mais ils restent un réseau très fourni. Steeve ne pourra pas leur demander un injecteur, ce serait se griller bêtement. Voyons : une console de décryptage, un bon brise-glace, des relais réseau, un kit d’intrusion, une arme et, si possible, un camouflage. La préparation pourrait demander d’autres éléments.
Avant d’opter pour l’entrevue, les deux agents avaient envisagé une opération clandestine, de fait, Orah a déjà pu estimer les défenses et la sécurité des locaux d’Elmetech Philorganics. Les défenses des serveurs frontaux lui ont semblé standards et Steeve n’a pas noté de système de défense particulier lors de leur visite.
Utilisant les plans publics de la cité, Orah commence à planifier leur approche, la tour possède un cœur creux dans lequel circulent les canalisations principales, les monte-charges et le système d’équilibrage atmosphérique principal. Accéder à cette partie ne sera pas compliqué, la sécurité reste typique des sections de maintenance bien que le danger que représentent les monte-charge ne doive pas être ignoré. Il sera plus simple pour Steeve d’accéder à la section avec un certificat de la sécurité. En pirater un sera la première chose à faire avec le matériel.
Une fois dans la colonne, Steeve devra naviguer jusqu’au niveau tente-cinq, à plus de cent mètres du plancher de la colonne. Des gants gecko lui seront indispensables, elle le rajoute sur la liste. Impossible en revanche d’estimer l’encombrement réel de la section : le plan public ne montre pas les éléments techniques comme les canalisations, les câbles et les circuits d’aérations, en dehors des ouvertures dans la structure pour les laisser passer. Si des grilles venaient à bloquer le passage, il lui faudra une torche à plasma miniature.
« J’ai le contact, envoie-moi ta liste de course. », lui transmet Steeve. Orah s’exécute et passe sa commande. Quelques minutes plus tard, l’émissaire lui répond : « Parfait ! Ils nous auront ça dans deux heures. Je vais faire un tour, on se retrouve à la chambre quand j’aurais récupéré les courses. »
Les deux heures passent rapidement : Orah parcourant les plans et analysant l’agencement des salles des locaux d’Elmetech. La société occupe un quartier de la tour sur deux étages. Le rez-de-chaussée est globalement occupé par la zone pour les clients, quelques bureaux et deux laboratoires. L’étage en revanche est la véritable zone de production et d’intégration. C’est aussi là que se trouvent les serveurs de la société, leur cible principale. Évidemment, en dehors des informations pour la Sûreté et les services de lutte contre les incidents, rien de plus ne figure sur ces plans.
Steeve revient enfin. En entrant dans la chambre, Orah l’accueil : « Comment se sont passé les courses ?
– Plutôt bien, annonce l’émissaire. On a tout, sauf la combinaison de camouflage.
– Tu t’en sortiras sans ? s’inquiète Orah.
– Oui, ne t’en fais pas, rassure Steeve.
– Alors, on devrait se mettre au travail. », commande la decker.
D’un hochement de tête, Steeve confirme la demande et commence à s’équiper. Il enfile les gants et chaussures gecko, qui s’avèrent particulièrement discrets. Le reste du matériel, l’arme shock, les relais, le kit d’intrusion et une paire de lunette infrarouge, sont camouflées sous la veste de l’androïde tout en restant rapidement accessible. L’émissaire s’entraîne brièvement à les sortir et les rangers de gestes rapides.
De son côté, Orah a chargé sa console et, après avoir établi son fil d’Ariane, elle commence à rechercher un agent automatique de la maintenance. Elle en découvre un, accessible sur le réseau. Lançant l’analyse de son brise-glace, elle détourne les connexions qui entourent sa cible pour l’isoler et l’empêcher de prévenir le réseau. Une fois assurée de son fonctionnement, elle lance son attaque. Quelques fractions de seconde plus tard, son brise-glace a ouvert une brèche et le micro-virus qui porte le code de l’attaque s’est injecté. Quelques instants plus tard, le micro-virus lui renvoie le certificat privé avant d’effacer l’intégralité de la mémoire du robot.
« Merde ! s’exclame-t-elle.
– Qu’est-ce qui se passe ? demande Steeve inquiet.
– J’ai le certificat, mais l’agent que j’ai attaqué n’était pas un vrai, explique Orah.
– Un pot de miel ? interroge l’émissaire.
– Non, un autre usurpateur… explique la decker.
– Ça ne nous arrange pas ça ? Si on se fait chopper, ce sera lui qui prendra, non ?
– C’est pas faux. Mais je ne m’attendais vraiment pas à ça. Il est passé en autistique et j’ai relocalisé tout mon fil d’Ariane. Il ne devrait pas pouvoir remonter sur nous.
– Bon, ne perdons pas de temps, je vais aller sur place. », lance Steeve.
L’émissaire quitte la chambre et se dirige vers l’accès de maintenance désigné par sa collègue. L’entrée est une imposante porte sas qui sert normalement à faire passer le matériel lourd pour l’entretien de la structure de la tour. L’agent envoie le certificat volé et l’accès s’ouvre. Sans se hâter plus que nécessaire, Steeve franchit le seuil.
De l’autre côté, l’accès mène au centre de la tour et Steeve se retrouve face à un formidable gouffre large d’une dizaine de mètres et haut de centaines. Chaque étage semble posséder sont accès et de formidables canalisations montent et descendent. Vers l’extérieur de la zone, quatre grands espaces s’élèvent aux quatre points cardinaux : ce sont les conduits des monte-charges. Leurs rails sombres et crantés s’élèvent dans les ténèbres.
Steeve s’équipe des lunettes infrarouges et après avoir vérifié la bonne tenue de ses gants, commence son ascension le long de l’une des conduites. De nombreux spiderbots circulent autour de lui, ignorant l’intrus camouflé par son certificat. L’ascension ne demande pas vraiment d’effort et l’émissaire atteint rapidement le niveau du second étage d’Elmetech Philorganics. Faisant le tour de la passerelle, Steeve découvre l’accès que lui proposait Orah.
« Je ne passe pas Orah. Avec l’une épaisseur d’isolation autour de la gaine de l’accès, seul un monkeybots pourrait passer.
– Je te trouve un autre accès. Essaie d’aller par là. », lui indique la decker.
L’autre accès est un panneau de maintenance qui suit une canalisation de liquide de refroidissement. Il est assez grand pour passer à quatre pattes. Alors que Steeve essaie d’ouvrir cet accès, son certificat est rejeté. L’émissaire dégaine son kit d’intrusion et Orah, par l’intermédiaire de sa connexion avec lui, le voit injecter les micro-robots qui vont détourner le fonctionnement du verrou.
L’accès s’ouvre et l’espion s’engage dedans. La canalisation encombre le passage mais Steeve arrive à se contorsionner suffisamment pour passer. Commandant la fermeture du panneau par lequel il est arrivé, il ouvre ensuite le suivant et débouche sous le faux plancher de la salle informatique. Une toile de câbles et de tubes rempli de liquide circulatoire rendent sa progression très difficile. Heureusement, le faux plancher est conçu pour pouvoir être enlevé, notamment pour pouvoir changer un câble ou ajouter une colonne d’unité de calcul.
Soulevant délicatement l’un des panneaux comme une trappe, Steeve ne perçoit personne dans la salle. Toutefois, le centre de calcul, encombré d’une douzaine de colonnes de racks chargés de matériel informatique. L’émissaire sort de sa cachette et referme silencieusement l’accès. Il avance alors doucement, guidé par Orah qui lui indique où brancher son relais. Le point de connexion établi, Steeve attend que sa collègue extrait les données.
Soudain, il entend un son métallique depuis l’un des autres racks. Quelqu’un d’autres est ici et vient de refermer la porte de protection d’une des colonnes informatiques. Steeve dégaine son arme shock et part investiguer. L’autre personne semble bien trop silencieuse pour un agent légitime de la société.
Alors qu’il contourne l’unité en question, quelque chose vient de lui saisir la main. Les logiciels de combats de Steeve prennent le relais, mais ce qu’il affronte possède des performances physiques bien plus grandes que celles de son enveloppe temporaire. Il parvient enfin à identifier son adversaire…
« Un nevian ? s’alarme-t-il sur le réseau.
– Quoi ? », panique Orah.
L’émissaire vient d’être désarmé et l’arme shock vole de l’autre côté du rack. Le nevian tente une prise mais profitant de sa taille, l’émissaire le soulève du sol emportant la tuile du sol encore accrochée aux pattes adhésives de son adversaire. D’une contorsion très rapide, le nevian lui envoie la dalle en travers de la figure, déstabilisant le l’androïde. D’une force surhumaine, le nevian lui fait perdre sa prise et prenant appuis sur son bras, il bondit sur la face d’un autre rack. Steeve tente de le poursuivre et saute à son tour. La très faible gravité de Titan rend l’opération plus périlleuse que prévu et le synthétique rebondi involontairement au plafond tandis que le nevian traverse la pièce en saut de colonne en colonne, beaucoup plus gracieusement.
Finalement, le nevian saut dans le conduit d’aération que Steeve n’avait pas pu prendre en venant. Mais alors que la créature va pour disparaître dans l’ombre de l’accès, la main de l’émissaire se ressert sur sa queue. Steeve tire avec force dessus et à sa grande surprise le nevian ne résiste pas. Accompagnant le mouvement, son adversaire lui revient dessus et lui décoche un impressionnant coup avec la grille de l’accès. De nouveau libre, le nevian disparaît dans le trou.
De son côté Orah qui a suivi la scène à travers les sens projetés de son collègue est parvenue à extraire les données qu’ils souhaitaient. Mais une nouvelle alerte lui parvient : quelqu’un vient d’abattre une partie de son fil d’ariane.
« On m’attaque, je te ramène ! », envoie Orah avant de mettre en pause Steeve sans lui laisser le temps de réagir. Elle copie rapidement sa mémoire avant d’effacer complètement l’androïde. Enfin, elle se déconnecte en envoyant le signal d’auto-destruction de son fil d’ariane.
Il est temps pour eux de rentrer avant que l’attaque ne soit rendue public et que les forces de sécurité n’identifient le robot. Orah aurait vraiment aimé pouvoir identifier leur assaillant, mais elle devra se contenter de l’objectif principal. La decker les transfère immédiatement au centre de téléchargement du spatioport et commande un envoi pour Mars.
Il y a une autre faction qui s’intéresse aux nevians. Le Cerveau risque d’être très intéressé.
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