Le lendemain, je retourne à l'école et m'assieds aussitôt sur l'un des bancs de la cour, en attendant la sonnerie. Mes paupières se ferment malgré moi. Il faut dire que je n'ai pas beaucoup dormi et la fatigue s'en ressent. Mes yeux se rouvrent en sentant une main se poser sur mon épaule. Je constate qu'il s'agit de Lisa, qui me salue en langue des signes, toute souriante comme à son habitude :

- Bonjour. Comment vas-tu ?

- Ça va, la rassuré-je.

Elle touche les cernes qui marquent mon visage et me demande :

- Tu n'as pas dormi ?

- Si, un peu.

- Où ça ?

- Je me suis trouvé un bon petit coin pour passer la nuit. Je te le montrerai lorsque j'aurai fini de l'aménager.

Elle hoche la tête. La sonnerie retentit peu de temps après. Je me lève et lui fais signe qu'on doit aller en classe. Elle me suit.

La vérité, c'est que j'ai passé la nuit sous un abri de bus. Je me suis assis sur le petit banc au métal froid, mais je n'ai pas pu dormir sur mes deux oreilles. Je sais que les rues sont dangereuses, surtout la nuit et plus encore quand on est seul. Je suis donc resté attentif au moindre mouvement et à chaque son que j'entendais. Résultat : je n'ai presque pas fermé l'oeil de la nuit et je suis à présent exténué.

Je profite donc des heures de cours pour rattraper mon temps de sommeil. Certains profs m'ont grondé à cause de ça mais je m'en fiche pas mal. Je n'en jamais rien eu à faire de leurs remarques et ce n'est pas maintenant que ça va changer.

En revanche, pendant la récréation et la pause déjeuner, je reste bien éveillé pour aider Lisa à apprendre un nouveau mot. Le second mot qu'elle souhaite savoir dire est "merci". Allez savoir pourquoi c'est lui qu'elle a choisi parmi tant d'autres mots, mais bon, ce n'est pas important. Ce qui compte, c'est qu'elle parvienne à le prononcer de façon intelligible.

Évidemment, les premières fois où elle le prononce, c'est complètement incompréhensible. Certains élèves qui passent près de nous entendent et se moquent de la mauvaise prononciation de Lisa, mais il me suffit de leur lancer un regard meurtrier pour leur faire ravaler leurs sourires mesquins.

La jeune blonde, quant à elle, est si concentrée sur ce qu'elle fait qu'elle ne se rend même pas compte des moqueries des autres adolescents. Tant mieux. Elle n'en sera pas blessée, ainsi.

Il faut attendre la récréation de l'après-midi pour qu'elle prononce correctement le mot "merci". Je l'en félicite et elle l'utilise aussitôt pour m'exprimer sa gratitude.

Après encore deux heures interminables de cours, nous quittons l'école ensemble, comme à notre habitude. Alors que nous venons à peine de franchir la grille qui délimite le lycée, une voix féminine, qui m'est familière, m'interpelle :

- Alex ?

Je me tourne vers l'origine du son et vois alors une femme de taille moyenne, à la longue chevelure noire et aux yeux verts. Elle me sourit et semble au comble de l'émotion. Mes yeux s'écarquillent lorsque je la reconnais . . .