Je n'arrive pas à en croire mes yeux. Cela fait des années que je ne l'ai pas revue, mais elle n'a pas changé malgré le temps. Je lâche, d'une voix tremblante où se lisent la surprise et l'incrédulité :

- Maman ?

Elle avance vers moi et me serre dans ses bras en s'exclamant :

- Oh ! Je suis si heureuse de te revoir mon chéri ! Cela faisait si longtemps ! Et comme tu as grandi ! Tu es devenu un véritable homme !

Je me laisse faire, trop surpris pour réagir. Elle finit par s'écarter de moi pour me regarder dans les yeux et me demander :

- Comment vas-tu ?

- Non, mais t'es sérieuse ?

Son sourire disparait pour laisser place à l'étonnement. Je la repousse brutalement en lui hurlant :

- Tu pars sans rien dire en me laissant seul avec papa pour revenir des années plus tard comme une fleur ? !

- Je suis vraiment désolée, mon chéri . . .

- Arrête de m'appeler comme ça ! Je ne suis plus ton chéri ! Plus depuis que tu m'as abandonné comme si de rien n'était !

- Alex . . . dit-elle en tendant son bras vers moi.

Mais je ne lui laisse pas le temps de me toucher : je tourne les talons et m'éloigne au pas de course, laissant derrière moi une Lisa complètement perplexe.

Je cours de toutes mes forces, aussi loin que possible, sans même savoir où je vais. Je sens une goutte de pluie s'écraser sur mon nez, bientôt suivie par des dizaines, des centaines, puis des milliers d'autres. Le vent fouette mon visage trempé, mais je n'en ai que faire. Je continue de courir aussi vite possible. Je ne m'arrête que lorsque je trébuche contre un pavé cassé. Je tombe au sol, achevant de mouiller mes vêtements. Je suis à bout de souffle. Mon corps tremble, mais ce n'est pas de froid.

Je reste immobile, allongé sur le trottoir mouillé, pendant plusieurs secondes, le temps de calmer ma respiration. Ensuite, je me redresse doucement, me retrouvant ainsi à genoux sur le sol. Je suis sur le point de me relever, lorsque mon regard croise une grande flaque d'eau, gisant là. Elle reflète mon visage, mais j'y vois autre chose : je revisionne le jour de son abandon.

Ironiquement, c'était un jour de pluie, comme celui-ci. J'étais resté à la maison toute la journée car à cette époque, ma mère m'interdisait de sortir lorsque le temps était mauvais. Lorsque je lui demandais pourquoi, elle me répondait toujours qu'elle ne voulait pas voir son petit trésor attraper froid et tomber malade. Mon oeil . . . Mais à cette époque, je la croyais. Elle était la seule qui se montrait douce et compréhensive à mon égard. Elle était tout ce que j'avais, alors je lui vouais un amour et une obéissance sans failles. J'étais loin de me douter de la tournure qu'allaient prendre les évènements.

À force de rester des heures à la maison, j'ai fini par m'ennuyer. J'avais très peu de jouets et je m'étais déjà amusé avec chacun d'entre eux. Je me suis donc retrouvé à tourner en rond dans notre petit appartement, à chercher une nouvelle façon de passer le temps.

En passant devant le salon où dormait mon père, après s'être bien bourré comme à son habitude, j'ai aperçu la fenêtre sur laquelle ruisselaient les gouttes de pluie. Une idée m'est venue en tête. En y repensant, c'était vraiment une idée stupide et puérile, mais je n'étais qu'un gosse à l'époque. Je suis donc entré dans le salon, monté sur une chaise et ai ouvert la fenêtre. Je voulais juste boire l'eau de la pluie pour savoir quel goût ça avait. J'ai donc tendu ma tête à l'extérieur et ai sorti la langue. En sentant une goutte s'y déposer, j'ai été pris d'un joyeux rire. J'ignorais encore que ce serait le dernier.

Le froid s'engouffrant dans la pièce et mon rire ont réveillé mon père. En comprenant que j'étais celui qui l'avait sorti de son sommeil, il s'est levé et m'a flanqué une gifle qui m'a fait tombé de ma chaise. Je me suis mis à pleurer, il a continué à me battre en me hurlant dessus. Ma mère s'est précipitée dans le salon et a crié à mon père d'arrêter, mais il ne l'a pas écoutée. Alors elle s'est interposée physiquement, en attrapant mon géniteur par le bras pour essayer de l'éloigner de moi. Vexé par son comportement, il s'est tourné vers elle pour la frapper à son tour, en lui criant dessus. Je n'ai pas écouté ce qu'il lui disait. J'étais terrifié par la situation alors je me suis juste blotti dans un coin en sanglotant.

Mon père n'a cessé de frapper ma mère que lorsque ses bras sont devenus fatigués. Il nous a alors ordonné de déguerpir de sa vue. Maman s'est relevée avec difficulté, en refoulant tant bien que mal ses larmes, et m'a pris dans ses bras pour m'emmener dans ma chambre. Là, elle m'a allongé dans mon lit, recouvert de ma couette et s'est assise près de moi pour me border. Elle caressait mes cheveux en silence, d'un air triste. Je me souviens qu'elle m'a murmuré, juste avant que je ne sombre dans le sommeil :

- Je suis désolée . . .

Le lendemain, mon père m'a annoncé qu'elle était partie pendant la nuit. Et depuis, je lui en veux chaque jour de ne pas m'avoir emmené avec elle.