Je regarde Alex s'éloigner en courant après avoir interagi avec cette femme. Je ne comprends pas ce qui se passe, mais je n'ai pas le temps de me poser de questions. L'étrangère s'approche de moi et bouge ses lèvres. Je lui fais signe que je suis incapable d'entendre ce qu'elle dit. Elle fouille alors dans son sac à main pour en sortir un petit carnet et un stylo. Elle écrit quelque chose sur l'une des pages du carnet bleu avant de l'arracher et de me la tendre.

Je la prends et lis ce qui est écrit dessus :

"Voici mon numéro. Tu veux bien le donner à Alex quand tu le reverras ? Je veux qu'il ait un moyen de me contacter si jamais il en a besoin."

Une suite de chiffres est notée en-dessous.

Je hoche la tête et elle me sourit, avant de s'éloigner. Je plie soigneusement le papier pour le glisser dans ma poche, puis je rentre à la maison.

En voyant la pluie ruisseler sur la fenêtre de ma chambre, je repense à Alex, espérant qu'il ait trouvé un endroit où se réfugier du mauvais du temps.

Je ne le retrouve que le lendemain matin à l'école. Il est assis sur un banc, dans un coin de la cour de récréation. Ses vêtements sont trempés. Il a donc passé la nuit à l'extérieur.

Je m'installe près de lui et le salue en langue des signes :

- Bonjour.

- Bonjour.

- Comment vas-tu ?

- Ça va.

- Qui était cette dame qui t'a serré dans ses bras hier ?

Il fronce les sourcils et ne répond rien. Je fouille dans ma poche pour en sortir la petite feuille que m'a confiée la femme et la tend à Alex en lui expliquant :

- C'est pour toi. Elle me l'a donné hier, peu de temps après que tu étais parti.

Il prend le papier et lit ce qui est inscrit dessus, puis me le rend en détournant la tête. Je ne le récupère pas. J'ai promis à cette femme qu'il lui parviendrait alors il doit le garder.

Constatant que je ne prends pas la feuille de sa main, le jeune homme me regarde à nouveau. J'en profite pour réitérer ma question :

- Qui est-elle ?

Après quelques secondes, il me répond enfin :

- C'est ma mère.

- Je suis vraiment heureuse que tu aies pu la retrouver, déclaré-je en souriant. C'est une très belle femme. Vous avez les mêmes cheveux.

Ses sourcils se froncent davantage et il rétorque :

- Je ne suis pas heureux de l'avoir retrouvée alors tu n'as pas de raison de l'être.

Étonnée par sa réaction, je lui demande :

- Pourquoi ?

- Elle m'a abandonné. Je ne peux pas le lui pardonner.

- Si elle est revenue, c'est qu'elle ne t'a pas vraiment abandonné . . . Est-ce que tu sais pourquoi elle est revenue, d'ailleurs ?

- Non. Je ne le lui ai pas demandé.

- Tu devrais. Je pense que vous devriez avoir une conversation tous les deux pour parler à coeur ouvert de ce qui s'est passé. C'est peut-être ta dernière chance de la revoir, ne laisse pas passer cette opportunité. Tu as un tas de questions à lui poser, pas vrai ?

Il ne répond rien. J'ajoute :

- Moi, je ne reverrai plus jamais ma mère. Je ne pourrai jamais parler avec elle, ni lui poser toutes les questions que je voudrais. Mais toi, tu as encore cette chance alors ne la gâche pas. Sinon, tu risques de le regretter et je ne veux pas que ça arrive.

- Qu'est-ce que ça peut bien te faire que j'aie des regrets ? Pourquoi est-ce que tu te soucies autant de moi ?

Je réponds à sa question par une autre :

- Est-ce que tu sais pourquoi le premier mot que j'ai choisi d'apprendre est merci ?

Il secoue la tête. Je lui explique donc :

- Je tiens tout simplement à pouvoir te remercier dans ta langue pour tout ce que tu as fait pour moi. Tu es le premier à t'être réellement intéressé à moi. Tu me protèges contre toute personne qui s'en prend à moi. Tu es toujours là lorsque j'ai besoin de toi, sans rien demander en retour. Tu es le premier, en dehors de mon père, qui a souhaité apprendre la langue des signes pour pouvoir communiquer librement avec moi. Grâce à toi, je ne me sens plus jamais seule et je t'en suis infiniment reconnaissante !

Je lui dis ensuite, en langue orale :

- Merci.