La sonnerie du téléphone est interrompue par une voix féminine que je reconnais bien :

- Allo ?

- C'est Alex.

- Oh, tu as besoin de quelque chose, mon coeur ?

- Je t'ai déjà demandé de ne plus m'appeler comme ça !

- Oh, désolée . . .

- Laisse tomber. Je veux juste te parler.

- Bien sûr. Retrouvons-nous au café qui se trouve près de ton école. Je m'y rends de suite.

- D'accord.

Je raccroche, puis me rends au lieu de rendez-vous. Évidemment, j'y arrive en premier. Je m'installe sur la table la plus isolée des autres, comme l'autre fois, et attends ma mère. Elle arrive quelques minutes plus tard, vêtue d'un long manteau et de bottes, et s'installe juste en face de moi en m'adressant un :

- Bonsoir.

- Salut.

- Comment vas-tu ?

- Ce n'est pas la question. Je ne suis pas venu ici pour parler de la pluie et du beau temps. Je veux des explications, c'est tout.

- Je comprends . . .

- Alors commence par m'expliquer pourquoi es-tu partie sans moi.

- J'avais pensé à t'emmener avec moi, je te le jure ! Seulement, j'ai quitté notre domicile sans rien. Je devais tout reprendre à zéro et je savais que reconstruire une vie stable me demanderait beaucoup de temps. Je ne voulais pas t'emmener avec moi alors que je ne savais même pas quand je pourrais me procurer une nourriture décente et vivre sous un toit convenable. Je ne voulais pas que tu souffres de cette vie là ! C'est pourquoi j'ai préféré te laisser avec ton père. J'avais au moins l'assurance que tu aurais un toit sous lequel te réfugier et de la nourriture à tous les repas. Cependant, je me suis promis de revenir te chercher dès que j'aurais construit une vie stable et ce moment est enfin arrivé !

- Tu veux me dire que tu viens tout juste de trouver un boulot pour payer ton loyer et tes repas ? Après toutes ces années ?

- Au début, j'enchainais les petits travaux, mais ça me donnait juste de quoi manger . . . Heureusement, grâce à une rencontre, j'ai pu trouver un emploi au salaire convenable qui me permet désormais de m'occuper de nos dépenses à tous les deux.

- Une rencontre ? Quelle rencontre ?

- C'est un homme bien, tu verras. J'ai déjà envoyé une demande de divorce contre ton père. Je demanderai d'avoir ta garde exclusive. Nous serons bien, ensemble, tous les trois, déclare-t-elle en caressant mes cheveux. Tu auras enfin la famille aimante dont tu as tant besoin . . .

- Tu es au courant que tu dis ça à un type qui va bientôt avoir sa majorité . . .

- Justement. Je veux que tu finisses ton enfance dans une famille heureuse. Je suis désolée de ne pas avoir pu t'apporter cela plus tôt . . .

Je soupire, puis demande :

- Il est comment ?

- C'est un homme très gentil et attentionné. Je lui ai déjà parlé de toi et il m'a dit qu'il a hâte de te rencontrer.

On ne peut pas en dire autant de moi. J'appréhende de rencontrer ce type, mais d'un autre côté, je me dis que s'il a aidé ma mère à s'en sortir, c'est que ce doit être quelqu'un de bien. Je finis donc par répondre :

- D'accord, je veux bien le rencontrer, mais uniquement lorsque la procédure de divorce sera terminée.

- Ce ne devrait pas être très long. Je ne réclamerai aucun bien immobilier à ton père. Je veux juste avoir ta garde exclusive.

Après quelques secondes de silence, elle ajoute :

- Tu peux venir à la maison quand tu veux. Ma porte sera toujours ouverte pour toi.

- Alors on rentrera ensemble ce soir. De toute façon, je n'ai pas d'autre endroit où aller.

Elle me regarde avec étonnement. Je lui explique donc :

- Ça fait un bon bout de temps que j'ai quitté l'appartement de l'autre ivrogne, moi aussi.

- Tu es le bienvenu à la maison, me dit-elle avec un sourire.

- Et n'oublie pas : tu ne ramènes pas ton fiancé à la maison avant la fin de la procédure de divorce.

- C'est bon, j'ai compris.

Son regard tombe sur la carte des boissons de l'établissement. Elle me demande :

- Est-ce que tu aimes toujours autant les milkshakes ?

- Carrément, mais ça fait longtemps que je n'en ai pas bu.

- Laisse-moi changer ça, dit-elle en interpellant un serveur.

Elle passe commande. L'homme la note sur son calepin et s'éloigne. Il revient quelques minutes plus tard avec les boissons demandées. Je prends mon verre et aspire une gorgée du liquide mousseux. La saveur du lait aux fruits rouges envahit mon palais. Je ferme les yeux pour la savourer. Cela faisait si longtemps que je n'en avais pas bu !

J'entends maman rire :

- Ça t'avait manqué, n'est-ce pas ? Ha ha !

Je ne réponds rien. Elle ajoute :

- Si tu savais combien j'ai rêvé de cet instant depuis le moment où j'ai franchi la seuil de la porte de notre ancien appartement, il y a des années de cela ! Je suis heureuse de t'avoir enfin retrouvé !

- Moi aussi maman, dis-je en plongeant mon regard dans ses yeux verts.

Elle me sourit tendrement, puis déclare :

- Quand tu auras fini ton verre, nous rentrerons à la maison. Tu as besoin d'une bonne douche !

- Oui, ça me fera du bien, dis-je avant de reposer mes lèvres sur la paille pour aspirer le liquide fruité.