X.3. Révélations et insultes sur rocher solitaire.

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Elle pointe du doigt quelque chose derrière nous. Je me retourne, et remarque que sur les immenses balcons, qui font tout le tour du Temple sont apparues les familles, qui viennent assister à la cérémonie. Et là-bas, près de l'entrée, on peut apercevoir les six Mages de Liniorath qui avancent en procession vers le chœur, vers le chaudron. Le silence total se fait, vite remplacé par une douce musique. C'est ce genre de musique que j'écoute pour me calmer, ces musiques lentes aux notes longues et harmonieuses. Ces musiques qui me donnent le frisson et qui donnent l'impression de raconter une histoire.

Je ferme les yeux un instant, savourant la mélodie, et si je le voulais, je pourrais aller m'imaginer un monde irréel et m'y perdre. Vous savez, ces moments d'évasion où vous ne pensez plus à rien, enfermés dans votre tête, enfermés dans ce monde qui vous fait vous sentir tellement libre... C'est ainsi que je peux sortir de cet Enfer. En rêvassant, en écrivant. En m'enfermant.

Je rouvre les yeux, et me rends compte que la procession a atteint le chaudron blanc. La lumière du soleil passe au travers des fenêtres du Temple, et ses rayons frappent tour à tour le sol, les murs, les visages des jeunes et des familles. Toujours avec cette douceur que semble posséder ce lieu.

Luzenn, qui s'est assise juste derrière moi, se penche et me murmure à l'oreille :

- On parie combien que le grizzli n'aura pas de carte ?

À côté, Oria et Meven s'esclaffent sans bruit. Comment peuvent-elles être aussi méchantes en un pareil moment ? Pour elles aussi, cette cérémonie est importante !

Merenda pose sa main sur la mienne, et m'adresse un regard de réconfort. Non, je ne dois pas me laisser aller à la colère, ni à la peur, ni à la haine. Pas maintenant, ou cette cérémonie se transformera en cauchemar.

- Le soleil est présent en ce jour si important pour vous tous. Mes chers amis, je vous souhaite la bienvenue au Temple d'Estherell, lance le Mage qui nous a accueillis. Aujourd'hui, votre vie va prendre un nouveau tournant. Vous allez découvrir qui vous êtes vraiment. Votre identité vous sera enfin dévoilée. C'est un jour très important pour vous, les jeunes de notre continent, mais également pour vos familles, qui auront la fierté de voir leurs enfants grandir et devenir adultes. Bien entendu, vous continuerez de vous rendre à vos Académies respectives... Finit-il sur un ton moqueur.

Quelques rires retentissent dans le Temple, remplissant celui-ci d'échos joyeux. Les murs sont heureux.

- À présent, je vais vous demander de faire le silence le plus total. Les Mages de Liniorath, ici présents, ont besoin d'une intense concentration pour que la magie opère. Vous allez vous sentir transportés, comme dans un rêve. La réalité, le vrai, le faux, la magie, tout cela va se mélanger en un tourbillon de couleurs que tout le monde ici a déjà vu, sauf vous, les jeunes. Bonne chance à tous...

Le Mage se retire dans le fond du chœur du Temple, disparaissant dans l'ombre. Enfin, la cérémonie va commencer.

Les six Mages se positionnent en cercle autour du chaudron fumant, et je les vois fermer les yeux. Leurs visages se crispent tous, d'un seul mouvement, et toujours à l'unisson leurs bras se lèvent, déchaînant aussitôt un flot de lumière qui nous aveugle. Le blanc se perd dans nos yeux, et je ne vois plus Merenda, ni même mes mains. Je finis par clore les paupières, agressée par tant de lumière, et j'écoute. Les Mages chantent. Ils psalmodient leurs formules et leurs rituels, emplissant l'immense hall d'un vacarme assourdissant. Je ne pensais pas que ce serait aussi... effrayant. Leurs voix m'emplissent la tête, me font perdre la conscience de la réalité, et j'ai la sensation de flotter.

Puis, au travers de mes yeux fermés, je sens un changement d'atmosphère. J'ouvre les yeux, et constate que la lumière est beaucoup plus faible, à présent. Les contours des piliers et des élèves devant moi sont flous, mais je vois néanmoins où je me trouve. Merenda, elle, a l'air tout aussi surprise que moi. Je n'avais jamais entendu parler de cette cérémonie sous cet angle.

Les Mages ont toujours les bras brandis dans les airs, sous la voûte du Temple, décorée de mille peintures, de centaines de fresques. De leurs mains jaillissent cette étrange lumière blanche, qui se déverse dans le chaudron, qu'on ne voit d'ailleurs plus, englouti dans la magie.

Puis, c'est une explosion de couleurs qui survient : nous nous retrouvons à nouveau aveuglés, mais pas de la même manière que toute à l'heure : j'ai l'impression de voler, de voyager, au travers de tunnels aux mille couleurs. C'est comme si je faisais un rêve éveillée, en ayant conscience de cette dimension irréelle.

Mais peu à peu, tout se mélange : le Temple et la cérémonie me paraissent à des lieux d'ici, et je me laisse emporter par la douceur de ces teintes multiples, qui me font rêve et imaginer une vie meilleure. Une vie normale, dans laquelle je maîtriserais la magie. Mon père est toujours vivant, je le vois, il me voit, nous nous voyons, on se regarde droit dans les yeux, sans un mot, sans une parole. Le soleil est au rendez-vous, les couleurs m'entourent et me baignent dans un océan de songes et d'imagination. Je suis enfin heureuse.

Puis mon père s'éloigne. Son sourire également. Le soleil se transforme en pluie, l'orage se déchaîne. Des feuilles venant de nulle part volent autour de moi, s'accrochent dans mes cheveux, me fouettent le visage. Je ne sens plus rien, et je hurle, à la recherche de mon père. Où est-il ? Pourquoi tout est noir et bleu autour de moi ? La douleur vient, me foudroie sur place, et finalement me relâche, me laissant hagarde et sans sentiments.

Puis la connexion avec la réalité s'établit, brusquement. Je chute, et atterris brutalement sur quelque chose de dur.

Mon banc. Le Temple. Les Mages. Le chaudron, les cartes. Je me souviens. Je me rappelle.

Mon père est toujours mort, mes mains ne dégagent pas de magie, j'ai mal partout. Le rêve n'était qu'un rêve. Un songe illuminé, bercé d'espoirs inutiles. Papa ne reviendra jamais. Mais je sais qu'il me regarde...

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