XI. Ciel de rêve et pensées au goût de sève.
Nous sommes toutes les deux adossées sur le tronc d'un arbre, dans la forêt. Il fait nuit depuis longtemps, mais maman m'a permis de rester dehors, tant que je suis avec Alena.
Alena. C'est étrange d'appeler quelqu'un avec un autre prénom que celui qu'on a l'habitude d'utiliser. Mais maintenant, c'est son vrai prénom. C'est celui avec lequel elle se présentera, avec lequel elle vivra, parce que c'est le sien et qu'il lui correspond.
Et au-delà de ça, avoir un prénom différent est en soi assez étrange. Étrange de se dire que je ne m'appelle plus Sahenann, mais Inawan. Les deux me vont.
- Il fait bon, cette nuit, dit doucement Alena, perçant le silence qui s'était installé entre nous.
Je hoche la tête, mais ne dis rien de plus. J'observe. Je me concentre. Essaie de percevoir l'énergie qui se meut autour de moi, en vain. Je suis toujours anesthésiée. Pas le moindre grain de magie n'entre, et encore moins ne sort. Sauf lorsque je suis en colère.
Les arbres sont immenses ; ils nous surplombent, mais ce n'est pas malsain, comme avec les tours de Liniorath. J'aime penser qu'ils nous protègent. Que leurs cimes nous abritent de tous les malheurs. Que rien ne peut nous atteindre lorsque nous sommes dans les bras de la forêt.
Après l'orage, le soleil est revenu et a séché les feuilles. Ces feuilles qui se colorent enfin de rouge, qui vont enfin tomber. La saison froide va nous foudroyer, j'en suis certaine. Les arbres n'auront plus rien d'attirant. Je serai juste fascinée par ces troncs et ces branches vides de toute vie, bien debout dans la neige future.
La Nature s'endormira, mais seulement en apparence.
Je n'aime pas la saison hivernale. Il fait froid, plus rien n'est beau, sauf quand c'est recouvert d'un manteau blanc. Et encore, je garde un assez mauvais souvenir du dernier hiver, quand les élèves de l'Académie m'ont agressée avec des boules de neige... C'était, selon leurs propos, « pour rigoler ». Mais moi, je ne rigole plus. Je n'ai plus d'humour face à leurs blagues, face à leurs moqueries, qu'ils appellent taquineries, parfois. Pour se donner une contenance, pour se sentir supérieur.
D'après eux, je suis la fautive de l'histoire. Et c'est peut-être vrai, parce que personne n'a sur sa carte d'Enchanteur écrit « Ewari ». Je ne sais même pas à quoi ça correspond, ce que cela signifie.
- Le Clan des Télépathes... Jamais je n'aurais imaginé une chose pareille, dit Alena.
- Moi, je n'imaginais même pas avoir un Clan tout court, je réplique. On va devoir se séparer, alors ? Toi dans ton Clan, moi dans le mien...
- Hein ? Tu plaisantes ? Bien sûr que non ! Je reste avec toi !
- Mais, chaque personne se doit d'aller dans son propre Clan, et tu ne vas pas pouvoir faire ton apprentissage si tu me suis, je lui lance doucement.
- Depuis quand je respecte les règles ? Si j'appartenais au Clan de la Lumière, ce serait la même chose, je serais partie quand même. Je ne change rien à mes plans, je reste avec toi, un point c'est tout. Tu es ma seule amie, je n'ai pas envie d'être catapultée dans une autre ville, où je ne connais personne.
- Donc, tu veux me suivre à Menaran ? D'après ma carte, mon âme vient de cette ville, le Clan des Eaux Turquoises doit s'y trouver...
- Oui, c'est exactement ça, je viens avec toi, acquiesce mon amie.
- Mais... Tu crois que tu pourras vivre là-bas ? Je veux dire, puisque tu n'es pas du même Clan, ils vont peut-être te jeter dehors, ou pire, prévenir ton Clan que tu n'es pas au bon endroit, ou je ne sais quoi d'autre... Je n'ai pas envie qu'il t'arrive des ennuis, d'autant plus que c'est juste pour moi que tu fais ça.
- Détrompe-toi, c'est aussi pour moi que je le fais. Je serais partie ailleurs si je ne t'avais jamais rencontrée, tu sais. C'est juste que je me suis attachée à toi, et que je ne veux plus te lâcher.
Joignant le geste à la parole, Alena me prend la main et la serre fort dans la sienne, comme pour me montrer qu'effectivement, elle ne me lâchera pas.
- Oh regarde, Inawan...
Les arbres géants s'illuminent d'un seul coup. Des signes lumineux apparaissent sur leurs troncs. Ils brillent d'une lueur douce, soit bleue, soit violette, soit rouge. Certaines fleurs se mettent également à briller. C'est un érange phénomène, je n'avais jamais assisté à ça auparavant. Je me lève pour contempler la forêt qui se teint de mille couleurs. Alena se lève aussi, et je murmure :
- C'est magnifique...
- Attention !
Je me retourne, et une sorte de serpent brillant me tombe sur l'épaule. Fascinée, j'en lâche la main d'Alena. Le serpent s'enroule autour de mon cou, sans me serrer pour autant. En me concentrant, j'aperçois sur sa tête deux petits yeux verts. L'animal brille faiblement d'une lueur blanche.
- Ooohh... Mais ce que tu peux être mignon, toi...
Il s'enroule autour de mon bras, puis finalement se pose en travers de mes deux épaules. Il me jette un regard, et je vois ses petits yeux se fermer.
Je jette un œil en l'air, et aperçois mille et une créatures volantes tournoyer en un ballet fantastique. Elles ressemblent à des lucioles... Mais c'est bien plus joli.
- J'ai envie de monter à un arbre. Je sais que j'en suis capable, je lance d'un coup à Alena.
- Tu es sûre ?
- Oui.
J'enlève les sandales que j'ai aux pieds. Ma tunique ne me gène pas, elle est tellement légère que je ne la sens même pas. J'agrippe l'arbre que j'ai devant moi, et je me mets à monter comme un singe. Cet arbre est... immense. Géant, à l'image de tous les arbres de la forêt. Je me sens tellement bien, là, à marcher entre les branchages... Sous mes pieds, les branches s'illuminent brièvement. Et enfin, j'arrive au sommet.
Alena finit par me rejoindre, et nous nous asseyons sur une très grosse branche, qui nous donne une vue magnifique sur le ciel constellé d'étoiles.
À notre gauche sont suspendues deux des trois Lunes. Elles sont de tailles différentes, et de couleurs différentes, aussi. La Lune Bleue, petite, est appelée Lune Ewera, du nom de la Déesse qui s'y cache. L'autre Lune, la blanche et plus grosse, est tout simplement appelée la Lune Blanche.
Devant nous se tient une planète entourée d'anneaux. Des millions de points lumineux parcourent sa surface.
Je vois des étoiles, beaucoup d'étoiles. Le ciel est magnifique. Le serpent dort toujours sur mes épaules, et je ne fais rien pour l'en déloger. C'est... tout simplement merveilleux. Je vois des ombres noires passer devant la planète. Des dragons ! De somptueux dragons, si j'en crois mes pensées et mon imagination. Je n'en vois que l'ombre, mais j'en perçois toute la beauté.
Rien ne peut être plus magnifique. Je souhaite rester ici jusqu'à la fin des temps, jusqu'à ce que l'Univers lui-même s'écroule, ayant été témoin de toutes les guerres meurtrières, passé de toutes les planètes existant en lui-même... Les étoiles regarderont avec un dernier éclat les quelques êtres vivants tentant d'échapper en vain à la mort de l'Univers.
Et qu'il y aura-t-il après l'Univers ? Sans lui, rien n'existe. Aucune couleur, aucune parole, aucun son ni même une chanson ne retentiront dans ce vide qu'aura laissé l'espace infini une fois sa mort produite... Mais se produira-t-elle un jour ? Mille et une questions se faufilent dans mon labyrinthe, et atteignent mon esprit. Ce qu'elles ne savent pas, en arrivant ici, c'est qu'elles n'auront probablement pas de réponses...
- Il faut que tu arrêtes de penser à voix haute.
- Je fais ce que je veux, d'abord, je rétorque en rigolant. Alors, que penses-tu de ce ciel si magique ?
- J'en pense que c'est... un coup de cœur inter-galactique.
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