XII. Êtres méchants au goût sang.

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- Je suis contente de t'avoir rencontrée, Sahenann, me dit Alena au bout d'un moment.

Tout à coup, un terrible hurlement se fait entendre à notre droite, dans le fouillis de la canopée teintée de rouge. Alena se lève brusquement, pose sa main sur mon épaule et scrute l'endroit d'où provient le hurlement, sans un mot.

On dirait que le temps s'est figé. Plus aucun oiseau ne pousse ses cris de chasse. Les feuilles ne bruissent plus, l'air ne bouge plus. Alena se tient immobile. La seule chose qui me rappelle que le Temps défile toujours est la main de mon amie sur mon épaule, qu'elle serre chaque instant un peu plus.

Puis un deuxième hurlement se fait entendre, venant d'un peu plus loin. D'un seul coup, tous les arbres et plantes qui s'étaient illuminés s'éteignent, nous laissant pratiquement dans le noir complet. Le petit serpent brille toujours, sans pour autant émettre une lumière assez forte pour nous éclairer...

Alena me murmure de ne pas bouger, et disparaît dans les branchages, pour descendre. C'est de la folie d'y aller seule. Je la suis donc, en dépit de sa recommandation.

- Alena, attends...

Elle me coupe en me faisant signe de me taire. J'obtempère et la suis en silence, dans la forêt plongée dans le noir, avec le petit serpent toujours sur mes épaules.

J'entends mon cour battre à toute allure. Ma respiration s'accélère au fur et à mesure qu'on approche de l'endroit. On progresse lentement, pour éviter de faire du bruit en marchant sur les brindilles et les feuilles qui commencent à peine à tomber. Mes pieds nus s'enfoncent dans la terre molle, encore humide après l'orage de ce matin.

Soudain, se dévoile à ma vision les corps de deux jeunes filles étendus par terre, au milieu des plantes sauvages. Oubliant toute prudence, je me précipite vers elles, suivie d'Alena.

La première respire encore. Elle a du sang partout sur le visage, griffé sauvagement. Je commence à avoir la nausée. Mais je n'ai pas de temps à perdre : deux vies sont en danger, il faut les ramener au village.

Je cherche l'origine de la blessure, et je finis par poser mes doigts sur des entailles dans le cou et la nuque de l'Elfe.

Exactement comme mon père.

- Elle est morte... murmure Alena en parlant de l'autre victime.

- Celle-ci est encore vivante, je lui réponds. Il faut vite l'amener au village.

À deux, Alena et moi portons la pauvre fille, pour sortir de la forêt que je connais comme ma poche. Mais à l'orée du bois, nous remarquons quelque chose d'étrange : le silence ne semble pas se limiter à la forêt, car le village et les maisons sont également plongés dans un calme et un noir stupéfiants, ce qui donne le frisson. Seuls les Lunes et le serpent sont lumineux dans le décor.

- Alena... Tu as une idée de ce qu'il se passe ?

- Sah... Inawan, je t'en prie, ne fais pas de bruit... On va chez toi, tout de suite.

Elle a les traits crispés et une lueur de peur dans les yeux. Elle me regarde, jette un coup d'œil sur la jeune fille évanouie, et me dit très doucement :

- Pose-la... Elle n'est plus avec nous.

On la dépose sur le sol au pied d'un arbre. Je ne la connaissais pas, et apparemment Alena non plus. Néanmoins, je sens que des larmes viennent humidifier mes yeux, invitées surprise d'un soir plus qu'effrayant.

- S... Inawan, il... Il y a un problème.

- Quoi ? Je lui lance, inquiète.

- Je ne perçois absolument aucune pensée de la part des habitants... balbutie Alena.

À ces mots, je me fige net, en proie à un déchirement indescriptible. Plus de pensées ? Plus rien du tout ?

- Merenda... Je lui murmure en oubliant son nouveau prénom. Ma mère...

Sans attendre sa réponse, je fonce à toute allure vers ma maison, me fichant totalement du bruit que je pourrais faire ou des éventuels ennemis que je pourrais alerter. Il n'y a plus qu'une chose qui compte, et c'est maman. Quelque chose a tué mon père, et ce quelque chose a tué deux innocentes, peut-être tout le... Non, je refuse de l'imaginer.

Je pousse la porte, le cœur cognant à folle allure contre mes côtes. Rien ne semble avoir bougé dans le petit couloir, ni dans la cuisine. Le salon est lui aussi vierge de toute trace suspecte.

- Maman ?

Seul un silence mortel me répond. Un vent froid s'engouffre par une fenêtre ouverte, me faisant frissonner. Il ne faisait pas si froid, toute à l'heure, bien au contraire. Alors pourquoi ce changement subit de température ?

- Maman, réponds-moi, je t'en prie, il se passe des choses étranges...

Rongée par l'inquiétude, je finis par monter les escaliers qui mènent à nos chambres. La mienne est sans dessus dessous. Tout a été retourné, démoli, jeté à terre sans la moindre considération. Mes carnets emplis de mots sont arrachés, mes vêtements sont tous sur le sol. Tout est inutilisable. Mon lit est défait, les draps à terre semblent avoir été griffés sauvagement, comme le visage des deux jeunes filles.

La personne qui a fait ça devait chercher quelque chose. Ou quelqu'un.

Je sors de la pièce encore plus inquiète. J'ai l'impression que tout se déroule au ralenti. Je pose ma main sur la poignée de la porte de chambre de ma mère. J'hésite à l'ouvrir. J'ai peur de ce que je pourrais trouver à l'intérieur...

Je finis tout de même par ouvrir cette fichue porte, et par entrer. Mais ce que je découvre brise définitivement tous mes espoirs.

Elle est là. Effondrée à terre, les bras levés à côté de sa tête, les jambes pliées. Du sang partout sur le visage et coulant des plaies qui ornent son cou et sa nuque.

Elle est là, figée dans sa douleur, une expression de souffrance inscrite sur son visage défiguré.

Elle est là. Elle est morte. C'est fini.

Je reste là, les bras se crispant peu à peu, la tête emplie d'images de mort et de sang. Et de colère. Trop de colère, de rage.

- Inaw...

Et j'explose, en hurlant. Ma peau bleuit instantanément, et une folle énergie se dégage de tout mon être, détruisant tout sur son passage. Et ça recommence, par vagues de plus en plus puissantes, dans un bruit assourdissant. L'énergie destructrice me ravage et me submerge, alimentant une colère et une douleur qui n'en finissent plus de croître.

Puis tout s'arrête. Je m'effondre sur ce qu'on pourrait appeler un reste de plancher, et ferme les yeux, incapable de faire le moindre geste.

Je sens de la chaleur effleurer mes mains. Puis mon visage. Puis une brûlure cuisante. J'ouvre les yeux : d'immenses flammes m'entourent et sont entrain de lécher ma tunique, et de roussir mes cheveux.

Autour de mon poignet s'est enroulé un petit serpent, je crois que c'est le même que toute à l'heure. Il ne semble pas avoir de blessures. Il brille d'une faible lueur, et me considère de ses yeux verts si expressifs. On dirait un petit enfant apeuré.

C'est ce qui me pousse et me force à me relever.

Ma peau me brûle de partout. Je sens que du sang coule le long de mon visage, et malgré tout je serre le petit corps tremblant de peur contre moi, comme s'il ne me restait plus que ça. Il ne me reste plus que ça.

Sahenann ! Inawan ! Où es-tu ? Je t'en supplie, réponds-moi ! Crie une voix, au loin.

Alena. C'est Alena qui m'appelle. Qui veut m'aider. Qui veut peut-être me sauver. J'essaie de crier, mais ma voix se brise avant même que le premier mot ne franchisse mes lèvres. Incapable de prononcer la moindre parole, je me fraye un chemin parmi les décombres et les flammes, qui n'ont pas encore envahi toutes les ruines. Je trébuche et tombe, perdant un peu plus de forces à cause de la fumée qui me brûle les poumons.

Trop de brûlures.

Je finis par repérer une sortie, un carré d'air frais dans tous ces gaz toxiques. Je m'effondre dans l'herbe noircie, vidée. Je sens que deux mains m'attrapent par les bras et me traînent plus loin, je ne sais pas, mes yeux se sont fermés et refusent de s'ouvrir. Je sens que des larmes coulent sur mes joues. J'ai l'impression de n'être plus que feu. Les yeux, les poumons, la peau, les lèvres, les membres, tout me brûle et m'élance comme si les flammes étaient encore là, comme si tout en moi était entrain de se consumer.

Soudain, une fraîcheur intense me recouvre, me procurant un bien fou. Je me laisse bercer par cette fraîcheur, dans l'incapacité de la reconnaître. Ce n'est que lorsque j'ouvre les yeux que je me rends compte que je suis dans l'eau.

Une eau bienfaitrice qui calme mes douleurs et mes blessures, qui me détend enfin. Le petit serpent est toujours autour de mon poignet, et j'ai l'impression que l'eau le calme, lui aussi.

- Inawan...

- Alena... Merci...

- Ina, le village entier est en proie au flammes à cause de ta magie... Tout a explosé. Il faut aller à Liniorath pour demander de l'aide. Tu en seras capable ?

- Je veux rester un peu dans l'eau... Ça me fait du bien, je lui murmure, la voix cassée.

Et je me laisse aller, fermant les yeux, retenue par les bras d'Alena et les roches qui viennent de je ne sais où.

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