I. Une ville bleue et des découvertes étranges.
Une semaine. C'est le temps que nous avons passé, cachées sous les arbres, sans que personne ne vienne ni que personne ne passe. Un désert de brume incessante, de silence écrasant, brisé seulement par les prises de paroles d'Alena. Ma voix n'est toujours pas revenue, et je me contente de hocher la tête pour répondre, car ma gorge est douloureuse.
Mes blessures se sont refermées, grâce aux soins et à la magie de mon amie. Mooni ne m'a pas quittée une seule fois, et n'a quasiment rien avalé. Je me demande si un serpent tel que lui a besoin de se nourrir.
Aujourd'hui, Alena et moi avons décidé de repartir. Il est temps de rejoindre Menaran, d'autant plus qu'il n'y a plus une seule baie dans le coin. Tout est mort, et toutes les feuilles sont tombées. Nous avons déjà perdu beaucoup trop de temps, il faut se dépêcher d'avertir tout le monde de la catastrophe qui s'est déroulée à Liniorath. En fait, je pense que tout Enpodran est déjà au courant. Mais qui racontera ? Qui pourra dire avec précision ce qu'il s'est passé ? Nous. Et pour éviter qu'une nouvelle fois la chose tue, il faut se dépêcher.
* * *
- Regarde, Inawan, on voit l'océan là-bas.
- Enfin ! Nous sommes bientôt arrivées, Alena.
Elle acquiesce d'un hochement de tête, le sourire aux lèvres. Je ne sais pas comment elle fait pour sourire, car j'en suis incapable. Ma voix revient petit à petit, mais ce n'est pas pour autant que j'en use, et que je me sens heureuse. J'ai l'impression que la mort me poursuit, et c'est ma fuite éternelle qui guide mes pas. Alena respecte mon silence, et elle me répète souvent que ça va aller.
Nous sortons enfin de la forêt dans laquelle nous étions, et peu à peu sous nos pieds nus, la terre se transforme en sable fin. Je vois des pierres, des minéraux parsemer ce sol. Au loin, l'océan qui gronde.
Le ciel est bleu, aujourd'hui. Le soleil éclaire les branches nues des arbres. Le décor paraît triste, la Nature s'est endormie. Et il fait très froid.
Mooni est toujours avec moi. Tantôt il s'enroule autour de mon bras, tantôt il s'étend au travers de mes épaules. Souvent, il me regarde avec ses yeux turquoises, semblant dire qu'il ne m'abandonnera jamais. Et bizarrement, je le crois. Je sais qu'il n'est pas comme les autres.
Alena s'arrête brusquement, et me pointe quelque chose du doigt, droit devant nous. C'est alors que je remarque la ville. Des tours bleues, faites de cristal, d'après ce que je vois. Des toits faits d'or, des bâtiments faits de piliers scintillant d'une lumière turquoise. Un dôme semble dominer l'ensemble de la cité, au toit arrondi en verre.
Un petit sourire aux lèvres, je m'avance en compagnie d'Alena, vers l'entrée de la ville. Celle-ci est marquée par deux statues de ce qu'il me semble être du lapis-lazuli. Elles représentent deux dragons, semblant être sur le point de s'envoler. Leurs écailles sont finement taillées, resplendissantes. Leurs yeux sont des cailloux d'or, et leurs queues percluses d'épines sont figées dans un mouvement gracieux.
Leurs pattes avant se rejoignent haut dans le ciel, formant une arche. Je lève la tête, et aperçois quelques oiseaux blancs, perchés de part et d'autre sur les dragons. Ils semblent nous souhaiter la bienvenue.
Je prends la main d'Alena et entre dans la ville, en ayant une pensée pour mon père qui avait toujours rêvé de voyager, de découvrir de nouveaux paysages et de nouvelles villes.
- Regarde Inawan, ces maisons... Et cette tour !
Mes yeux virevoltent de partout. Cette ville est fantastique. L'architecture est très travaillée, les motifs taillés sur les piliers des différents bâtiments sont très beaux à voir, et semblent même signifier quelque chose. Des oiseaux volent de partout, se perchant sur les toits, les tours, et ils ne semblent pas effarouchés quand on les approche. Des arbres géants projettent de l'ombre dans les rues. Ça doit être magnifique, au soleil.
On débouche sur une place au sol blanc. Se tient devant nous le fameux bâtiment avec le dôme. Ses formes sont assez étranges, arrondies et concaves, semblant défier les lois de la gravité. Le bleu clair des murs ondulés me rappelle le ciel, quand il fait beau. Les fenêtres sont rondes elles-aussi, rappelant la forme du toit.
Mais le plus étrange, ici, ce ne sont pas les infrastructures. Ce sont les gens.
Aujourd'hui a l'air d'être un jour de marché, car il y a beaucoup de bruit. Les petites échoppes sont toutes ouvertes, et des installations rapides en bois et recouvertes de tentures sont pleines à craquer de fruits, de légumes, de baies et d'autres saveurs. Des Elfes, la plupart en famille, déambulent au travers des rues avec des paniers faits de feuilles séchées. Et parmi tous ces Elfes, il y en a quelques uns qui sont plus petits, avec de grandes oreilles disproportionnées. Comme moi.
Intriguée, surprise, étonnée, je montre ce fait discrètement à Alena, qui me sourit.
- Nous sommes dans la ville de ton Clan, Sah... Inawan. Je sens que tu vas faire des découvertes...
- J'aurais tellement aimé que mes parents apprennent tout ça, voient tout ça, je murmure, en baissant la tête.
Alena ne me répond pas, mais elle passe un bras autour de mes épaules, geste réconfortant. Mooni s'enroule autour de mon bras, me rappelant son existence. Au moins, deux personnes sont là pour me soutenir, pour m'aider.
Un enfant sort de l'une des maisons et nous dévisage. Il a les cheveux roux, comme moi, et ils sont longs. Je fais un pas, il recule d'un. J'en refais un, et lui recule encore.
- Nous ne te voulons pas de mal, petit. Moi et mon amie sommes juste ici car elle appartient au Clan des Eaux Turquoises. Nous sommes bien au bon endroit ? Demande Alena.
Le petit garçon ne lui répond pas. Au contraire, il s'enfuit derrière une maison, et nous voilà bien embarrassées. Je me mords la lèvre inférieure, inquiète à cause du comportement de l'enfant. Les gens qui fuient devant moi, qui n'osent pas m'approcher, je les connais trop pour pouvoir le supporter encore. Mais soudain, Alena se met en face de moi, et pose un doigt sur mes lèvres, en disant :
- Ne t'inquiète pas, Ina. Tout va bien se passer. Et ne te blesse pas les lèvres ainsi, elles méritent bien mieux que le sang.
J'arrête immédiatement, surprise par ses mots.
- Tu n'as pas à t'inquiéter, Inawan. Tout va bien. Viens, on va entrer dans cet étrange bâtiment, quelque chose me dit qu'on est tout de même au bon endroit.
- D'accord, je lui réponds.
Mon enthousiasme s'est brusquement refroidi. Et cette phrase, cette phrase si étrange qu'elle vient de prononcer... Je sens que les aventures ne font que commencer.
Nous commençons à monter les marches du dôme, face aux portes de marbre blanc veiné de bleu, quand d'un coup, les portes s'ouvrent, et laissent apparaître un Elfe aux longs cheveux blancs. Il s'approche de nous d'un pas vif, et s'arrête devant moi.
- Bienvenue, jeune Ewari.
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