Je jette un regard à Alena. Elle me regarde aussi. Elle ne parle pas mais un léger sourire parcourt ses lèvres. Je lui prends sa main, et l'homme nous fait signe de le suivre. Nous avançons donc derrière lui à l'intérieur de l'édifice.

J'observe la longue chevelure de notre guide, qui se déplace avec aisance. Je me demande bien quel âge il a. Sûrement plusieurs centaines d'années. En sachant qu'un Elfe peut vivre 1000 ans environ... Il a déjà bien consommé sa vie. Son sourire bienveillant, toute à l'heure, m'a tout de suite mise en confiance. C'est un sage, quelqu'un qui a vu beaucoup de choses dans le monde et qui en a tiré des leçons sur la vie. On doit le respect à tout le monde, mais les sages sont vraiment des gens que nous aimons, car ils peuvent nous apprendre plein de choses.

Quand j'étais petite, un sage vivait au village. Chaque soir, on se rassemblait sur la toute petite place autour d'un feu, et il nous racontait des histoires. Souvent, c'était pour nous expliquer quelque chose, nous donner une leçon, ou seulement pour faire rêver nos têtes d'enfants. À cette époque je n'étais pas encore à l'Académie, j'apprenais l'écriture et la lecture dans la petite école du village. J'avais des amis, mes deux parents...

Non. Je ne dois pas repenser à cela. Pas maintenant, alors que je vais enfin comprendre ce que je cherche à comprendre depuis des années. Pas maintenant, alors que je vais avoir des réponses à mes questions éternelles.

Mais ma fausse détermination n'empêche pas une larme de s'échapper de mes yeux et de couler le long de ma joue, sous l'œil scrutateur d'Alena. J'essuie le sillon rapidement et reporte mon attention sur les environs.

Nous sommes dans une longue allée, que je n'avais pourtant pas repérée de l'extérieur. Peut-être que cette structure est magique ? Je n'en ai aucune idée.

Les voûtes sont soutenues par des arcs en plein cintre, qui se terminent en piliers, presque collés au mur. Des filaments de magie les parcourent et les entourent en serpentins fins et gracieux. Tout ici respire la beauté et le luxe, mais ce n'est pas un défaut. Je ne sais comment dire... À Liniorath, j'avais l'impression que toute la richesse était exposée afin de la montrer, de s'en vanter. Alors qu'ici, tout semble fait pour nous subjuguer, pour nous faire rêver, pour que l'on se sente bien, également. Je me sens accueillie, en sécurité entre ses hauts murs. La richesse est là, est présente, mais elle est en quelque sorte utilisée à bon escient. L'or n'est pas en excès, alors que le quartz était étalé en abondance à Liniorath.

Liniorath...

Enfin, nous débouchons sur une immense salle, au dessus de laquelle s'étend le toit en dôme. Une table ronde se tient, pile au milieu de la salle. Des piliers, encore, font le tour du mur arrondi et sont eux aussi animés par ces serpentins de magie. Au fond, en face, se tient un espèce d'autel en lapis-lazuli, une pierre peu précieuse sur Enpodran, car il y a des centaines de mines disséminées un peu partout sous la terre de notre continent.

- Je vous en prie, asseyez-vous, dit d'une voix douce le sage, en nous montrant les chaises disposées autour de la table en bois.

Sans hésiter, je m'installe, et Alena fait de même. Le vieil homme s'assied en face de nous, et croise ses doigts entre eux.

- Voilà, c'est ici que se réunit le Clan des Eaux Turquoises. La ville que nous venons de traverser n'est juste autre que la célèbre ville de Menaran. C'est une ville qui regroupe beaucoup de sociétés. Elle est assez petite, mais il faut dire que les Ewari sont peu nombreux...

- J'ai énormément de questions... je lui dis, presque en chuchotant.

- Et tu en as tellement que tu ne sais pas par quoi commencer, je suppose, dit le sage avec un sourire.

- C'est exactement ça, je bredouille, surprise par la facilité avec laquelle l'homme m'a cernée.

 -Je suis le chef de Menaran. Je m'appelle Maartak, et tu peux m'appeler par mon prénom. Comment vous appelez-vous, les filles ?

- Moi c'est Inawan, et...

- Alena, me coupe mon amie avec un sourire.

Maartak ramène ses cheveux derrière ses épaules. Il pose ses coudes sur la table, et commence à parler.

- Être Ewari n'est pas un mal, loin de là. Cela signifie que tu n'es pas vraiment une Elfe. Tu es plus petite, tu as des oreilles différentes, et tu as aussi la capacité de respirer sous l'eau.

J'étouffe une exclamation de surprise. Moi, respirer sous l'eau ? La bonne blague !

- Tu as de pouvoirs extraordinaires, très puissants, qui te permettent de faire des choses bien différentes des autres Elfes, et tu tires ton énergie de la Lune Ewera, comme tous les Ewari. Ainsi, tu possèdes l'immense privilège d'avoir une source d'énergie inépuisable.

- Mais... Je...

- Tu ne sais pas pratiquer la magie pour le moment car elle n'a jamais été libérée de sa cage. Tous les Elfes, à leur naissance, voient leur énergie et leur magie libérée, mais pas les Ewari. Par un phénomène qu'on explique mal, il arrive que certains Ewari non libérés, sous le coup d'une émotion forte comme la colère, délivrent une grande quantité d'énergie qui se manifeste comme un souffle incroyable, qui balaie tout sur son passage. Tu es de ceux là ?

Je hoche la tête lentement, interloquée.

- Les Ewari sont les maîtres de l'eau, de l'air et de la terre. Le feu les atteint beaucoup plus que n'importe quel Elfe, à cause de leur constitution qui est différente. Leurs cheveux ont tendance à pousser très vite. Et ils ont une très grande imagination.

- Oh, ça, de l'imagination, ce n'est pas ça qui me manque... Je lance avec amertume, en repensant à mes camarades de classe.

 - Toi aussi, tu as des choses à me raconter. Puis après, je t'éclairerai sur un point : ce serpent.

- Mooni ? Qu'est ce qu'il a ?

- Parle.