Chapitre 3

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  Karel commençait à avoir mal au cou à force de garder la tête tournée sur le côté pendant que Whélos recousait son bras.

  Après avoir libéré le Dragon des Forêts, celui-ci les avait renvoyés sur Winror avec ses pouvoirs.

  Ils avaient fait halte dans un petit hameau à l’intérieur de la ville et loué un petit logement pour quelques jours avec plusieurs chambres.

  Karel se trouvait dans la pièce à vivre, assis en face de Whélos, concentré sur son intervention. Assis derrière la table, il prêta attention à la décoration de la pièce pour détourner son attention de chaque morsure d’aiguille. Un vaste espace, rustique mais chaleureux. Le gîte qu’ils avaient loué disposait d’un étage qui distribuait les deux chambres.

« Je suis abonné… » soupira-t-il.

  Une balafre sur le bras gauche, et désormais une prochaine sur le droit. Il allait devoir se renforcer s’il ne voulait pas finir en morceaux à la fin de ce voyage périlleux.

  Uriel s’était porté volontaire pour faire quelques courses. Lya était à l’étage et veillait sur Aquilée, encore très fiévreuse et incapable de bouger.

« Il est un demi-Dragon ».

« L’un de vous n’arrivera pas là-bas. »

  Ces paroles ne cessaient de se répéter dans sa mémoire. Karel en restait profondément choqué. Cette révélation expliquait bien des choses. Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait demandé au Mage d’où il venait. Serymar avait toujours refusé de lui répondre, soit en détournant la conversation, soit en y mettant fin. Ses nombreux pouvoirs, qui allaient au-delà de simples auras élémentaires. Sa résistance hors-normes. Et son regard impressionnant.

« Des yeux de Dragon… »

— Voilà, j’ai terminé, annonça Whélos. Je sais que ça risque d’être difficile pour toi, mais essaie d’éviter de bouger ton bras, s’il te plaît. La blessure est profonde. Tu as de la chance de ne pas avoir été mutilé !

  Whélos contourna la table et fabriqua une écharpe avec les chutes de tissu qui lui restaient. Il aida Karel à installer son bras qu’il peinait à bouger. Le jeune homme soupira, contrarié. Comment allait-il faire pour parler, maintenant ? Il avait besoin de ses deux mains pour ça !

— Maître Valkor nous avait bien dit que les Dragons seraient notre meilleure piste pour en savoir plus sur la situation, fit Whélos en rangeant ses affaires. Je ne m’attendais pas à une telle découverte, ceci dit. Quand je repense à mon agression… je me rends compte que je ne pouvais vraiment rien faire. J’étais condamné.

  Karel le regarda avec tristesse. Il ignorait ce que Serymar avait fait à Whélos, mais le chercheur ne semblait pas encore prêt à en parler.

— Comment as-tu fait ?

  Karel se raidit. Whélos darda ses yeux bleus sur lui, troublé.

— Comment as-tu fait pour survivre à un monstre pareil ? Comment as-tu fait pour t’échapper de son emprise ? Cette blessure au bras, t’aurait-il torturé ?

  Karel se tassa sur sa chaise et détourna le regard, mal à l’aise. À nouveau, deux images se superposaient.

« Je n’ai jamais été maltraité… à part une seule fois par magie. »

  Lorsqu’il était entré dans le bureau privé de Serymar et que ce dernier l’avait surpris. Tant de choses s’expliquaient, notamment l’animosité de son personnel. Pourquoi cette femme aux yeux verts semblait parfois inconsolable, saisie d’une peine terrible.

« Qu’est-elle devenue ? Est-elle seulement vivante, encore ? Je ne saurais probablement jamais son nom… » se demanda-t-il, le cœur serré.

  Whélos lâcha un soupir.

— Pardonne-moi. Dans cet état, il t’est encore plus difficile de répondre. Remettons ces questions à plus tard. Nous devons prendre le temps de digérer ces terrifiantes révélations d’abord, qu’en penses-tu ?

  Karel opina avec lenteur. L’escalier de bois grinça. Lya les rejoignait.

— Comment va Aquilée ? lui demanda Whélos.

— Elle se repose, mais elle a beaucoup de fièvre.

— Je vois. Laissons-là se reposer, je la verrai demain, conclut le chercheur.

  Alors qu’il s’éloignait, Lya jeta un coup d’œil à son frère et avisa sa blessure. Elle s’approcha de lui et posa une main sur son épaule, apposant discrètement son index et son majeur ensemble. Karel établit alors aussitôt un lien télépathique avec elle.

— Est-ce que ça ira ? s’inquiéta-t-elle.

— Je ne sais pas. En temps normal, personne ne me comprend, alors avec des signes déformés ?

— Nous nous débrouillerons, comme nous l’avons toujours fait. Tu te souviens, à l’Académie, quand on nous interdisait la télépathie ? Nous avions réussi à communiquer entre nous sans que cela se sache. Ne t’inquiète pas, je suis là. Je saurais te comprendre, même avec des signes déformés.

  Elle retira sa main et Karel coupa le lien. Il ne put s’empêcher de repenser à ce qui s’était passé. De tous, Lya avait été celle qui n’avait pas tremblé. D’un côté, cela ne le surprenait pas, mais attaquer de front un Dragon sans ciller avait de quoi l’impressionner. Lya avait eu confiance envers Aquilée et lui pour l’épauler.

« Toi qui ne maîtrisais vraiment pas tes émotions… D’où sors-tu un tel sang-froid ? » songea-t-il, admiratif.

  Le son d’une porte claquée le fit revenir à la réalité. Uriel était de retour et déposa son fardeau sur la table.

— Je ne sais pas comment tu as fait, Karel, mais bravo pour avoir réussi à détourner l’attention du Dragon ! Sa réflexion était étrange, mais tant que le résultat est là, c’est le principal !

  Karel et Lya échangèrent un regard. En effet, que s’était-il passé à ce moment-là ? Karel avait été blessé et soudain, l’odeur de son sang eu de l’effet. Le jeune homme n’avait aucune envie de réitérer l’expérience avec chaque Dragon.

  Whélos le fixait avec une expression interrogatrice, mais n’insista pas, au grand soulagement de Karel.

  Une grande chope se posa sous son nez. Uriel lui fit face.

— Et si nous fêtions ça ? Je sais que nous sommes menacés par le Clan du Feu, mais nous sommes bloqués tant qu’Aquilée est dans cet état. Autant en profiter un peu, non ? Qu’en dîtes-vous ? Je pense que nous le méritons bien !

« Ah… Je suis tellement désolé, Uriel… »

  Karel essaya de dissimuler sa gêne. Il détestait l’alcool. Avoir le cerveau dans du coton et ne plus être alerte lui était très désagréable. La dernière fois lui avait suffi, pendant son adolescence à Var.

  Il avait relevé un pari stupide contre un autre garçon qui l’avait provoqué. Désespéré de se faire respecter et intégrer, Karel avait accepté et s’était enfilé plusieurs litres de bière en ignorant les protestations de son estomac. Non seulement il n’avait pas tenu l’alcool et n’avait pas gagné cette acceptation tant espérée, mais il avait été malade pendant plusieurs jours avec cette désagréable impression d’avoir vomi l’intégralité de ses tripes. Il avait juré de ne plus jamais ingérer la moindre goutte d’alcool pour le reste de sa vie.

— En espérant que ça te fasse oublier ta plaie, aussi ! À nous !

  Karel prit la chope par l’anse afin de rester courtois, bien que la culpabilité l’étreignit de ne pas être en capacité de faire plaisir à Uriel. Si ça se trouvait, il s’agissait d’une demande silencieuse de réconciliation.

  Lya prit sa propre chope et remua discrètement les doigts sous la table, son artéfact dans la main. Karel sentit aussitôt son récipient se réchauffer afin de dissiper l’alcool dans leurs verres.

« Tu es géniale. »

— Merci Uriel ! fit-elle pour deux. Mais tu n’aurais pas dû dépenser autant… Et si tu es en manque, plus tard ?

— Ne vous en faites pas pour ça.

— Eh bien, c’est si gentiment proposé ! déclara Whélos. Tu as raison, nous pouvons bien profiter un peu !

  Karel souhaita suivre Whélos pour remercier Uriel, mais son bras droit étant bloqué, il se contenta d’un simple signe de tête.

— Et bravo à tous, ajouta le chercheur. Vous vous êtes bien débrouillés, face au Dragon. Weylor a peut-être un espoir d’être sauvé, finalement !

— Allez, à nous ! sourit Lya.

  Ils trinquèrent dans un claquement de verre sonore et savourèrent la boisson. De ses doigts libres, Lya trafiqua son petit pendentif en forme de dragon, qu’elle avait gardé depuis son enfance, le jour où elle obtint son artéfact magique. La jeune fille n’avait jamais oublié ce jour si particulier ni les mots du gérant. Uriel avait raison, on ne pouvait revenir que transformé après une telle rencontre.

  D’un coup d’œil, Karel remarqua l’expression de sa sœur, mais il ne la dérangea pas dans ses réflexions. Lui aussi, avait toujours gardé ce cadeau autour de son cou. Quelle couleur prendrait-il à la fin de ce voyage ?

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