Chapitre 4[F]

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100 ans plus tôt.

  Son long doigt effleura la table en bois, créant un sillon dans la couche épaisse de poussière et de cendre accumulées dessus. Ces lieux seraient parfaits. Isolés. De tous.

  Il était parvenu à s’échapper, au prix de beaucoup de sang sur les mains. Il avait pris conscience qu’il ne serait en sécurité nulle part. Ce monde n’était plus le sien. Il s’était souvenu des rumeurs qui circulaient sur les sinistres Monts de la Mort. Les lieux étaient en effet déserts. Ces superstitions seraient la garantie de sa tranquillité et sa sécurité. Au moins le temps de se remettre de ses blessures.

  Sa main fébrile rejoignit la dague accrochée à sa cuisse, bien dissimulée sous les longs pans de sa tunique sombre.

  Serymar retira la large capuche de sa cape, découvrant ses mèches bleues et raides d’où dépassaient les pointes d’oreilles elfiques. Il amena sa main vers la partie supérieure de son visage afin d’en retirer le demi-masque noir qui servait à dissimuler son regard. Mieux valait être prudent et ne pas alimenter certaines rumeurs sur son existence. Ses caractéristiques physiques ne faisaient qu’interpeler depuis son éveil. Il avait opté pour des bandages du bout de ses doigts jusqu’à mi bras pour cacher ses griffes et cicatrices.

  Il les défit avec lenteur, excepté le bandage de fortune qui lui comprimait les côtes sous sa tunique. Une terrible plaie ouvrait son dos en biais, le moindre mouvement en ralentissait considérablement la guérison et il éprouvait des difficultés à se tenir droit. Le chemin qu’il avait parcouru pour venir jusqu’ici n’avait pas arrangé les choses : sa blessure l’élançait. Chaque mouvement lui était difficile et il avait utilisé ses dernières forces pour se téléporter.

  Il soupira : depuis qu’il s’était réveillé, il n’avait fait que constater qu’il avait perdu en réflexes. Ces lieux seraient idéals pour y remédier.

  Alors qu’il achevait de libérer son second bras, ses sens se mirent en alerte. Des pas approchaient. Il jura. Il semblait aussi avoir perdu au niveau sensoriel. Qui l’avait donc suivi afin de l’achever ?

  Sa main glissa sur le manche de sa dague qu’il maintint cachée. Il se retourna lentement vers la porte de la pièce.

« Quand aurais-je un répit ? Maudite blessure, c’est bien le moment ! » pesta-t-il.

  Il attendit avec patience. En temps normal, il aurait pu régler son compte à cet intru en moins de quelques secondes, mais les circonstances actuelles n’étaient pas à son avantage.

  Les pas se rapprochèrent. Serymar serra son arme et s’appuya contre la table. Cela faisait deux jours qu’il s’était échappé de ses ennemis et l’épuisement le gagnait.

  Enfin, une silhouette apparut. Plutôt fine, de taille moyenne. Le Mage eut la surprise d’y découvrir une femme humaine. Au vu de ses habits et de ses possessions, aucune à part un baluchon, elle ne semblait pas appartenir à une quelconque haute caste. Mais il était bien placé pour savoir que les apparences étaient trompeuses. Serymar ne manqua pas d’observer que ses mains ne comportaient aucune callosité ni blessure. Il ne s’agissait donc pas d’une personne attachée aux travaux les plus physiques. Elle pouvait très bien être une noble déguisée.

  La femme écarquilla les yeux de surprise et recula d’un pas.

— Je… Je suis navrée. Je croyais cet endroit désert.

  Le Mage continua son examen, afin de déterminer s’il s’agissait d’une ennemie ou non. Elle avait des cheveux assez longs, ce qui le conforta dans son idée qu’il ne s’agissait pas d’une roturière comme elle l’affichait. Ce choix esthétique n’était pas le plus pratique pour travailler dans des conditions difficiles. Si elle pensait se faire passer pour une mendiante innocente sans abri, elle se trompait.

  Serymar se força à se redresser, très attentif au moindre geste suspect de la part de l’inconnue. La douleur le lança, mais il l’ignora. Il respirait avec difficulté.

— Cet endroit…

— …m’appartient désormais, coupa-t-il avec froideur.

  Son ton était sans équivoque. La jeune femme sembla bien le comprendre.

— C’est plutôt grand, ici, insista-t-elle toutefois. Je… Je me fiche de qui vous êtes. Comme vous, semble-t-il, j’ai urgemment besoin d’un abri loin des regards. Alors je pourrai seulement prendre…

— Non. Trouvez-vous un autre endroit.

— Mais où ? Il n’y a plus rien sur plusieurs kilomètres ! implora-t-elle.

— Ce n’est pas mon problème.

  Elle se décomposa.

— Que vais-je devenir ?

— Un cadavre si vous ne quittez pas ces lieux.

  Serymar en avait trop vu pour se laisser émouvoir. Plusieurs points le dérangeaient. D’où sortait cette femme, pour commencer ?

— C’est inhumain !

— Rien de plus évident quand on en est un.

  Ils se turent et se toisèrent du regard. À son grand désarroi, l’intruse demeura sur place.

— Déguerpissez avant que je ne vous règle votre compte, menaça-t-il.

  Il renforça sa prise sur sa lame. S’il devait en arriver là pour se protéger…

— Non… Vous ne le ferez pas, le défia-t-elle.

  Elle hurla de peur en s’écartant de justesse pour se protéger le visage. Un silence tendu s’abattit dans la pièce. Le cœur battant, la jeune femme aperçut la dague enfoncée dans le cadre de la porte, juste au point devant lequel elle s’était trouvée un instant plus tôt. Une main posée par réflexe sur sa poitrine, elle fixa son interlocuteur, choquée.

  Le bras tendu, Serymar avait l’impression d’avoir été pétrifié. Il jura encore. Sa blessure était si profonde qu’il avait manqué de peu sa cible. À défaut, il espéra que cela ferait suffisamment peur à cette intruse pour qu’elle prenne sa menace au sérieux. La douleur explosa dans tout son être. Chacune de ses vertèbres lui donnait envie de hurler. Il serra la mâchoire et lutta pour rester debout.

  Son rythme cardiaque s’accéléra. Il ramena son bras tendu contre lui-même et essaya de respirer. Son corps semblait se déchirer en deux. Secoué de tremblements, sa température corporelle chuta. Un liquide chaud et poisseux envahit son corps et traversa son bandage de fortune. De nombreuses gouttes de sang argenté s’écrasèrent sur le sol gris.

— Je le savais, souffla l’inconnue.

« Je dois… Je dois la… tuer… ou je… »

  L’angoisse le saisit alors que sa conscience s’évaporait. Son souffle lui sembla assourdissant, sa vue s’estompa. Il devait en finir avant de succomber, ou il serait repéré et emprisonné à nouveau. Mais ses jambes refusaient de lui obéir, occupées à lutter pour le maintenir debout.

  De lourds vertiges le prirent. Il lutta. Sans prévenir, sa jambe le lâcha. Il perdit connaissance et son corps tomba comme une masse sur le sol glacé, dans une mare de sang.

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