Chapitre 5

8 minutes de lecture

Aujourd’hui.

  « L’un de vous n’arrivera pas là-bas ».

  Lya était assise au bord du lit d’Aquilée, inquiète des mots du Dragon. Elle les détestait toujours autant. Elle avait failli mourir d’angoisse en voyant son frère blessé et acculé par la créature. Elle n’avait pu entendre ce que Karel avait adressé à Zmeï, mais les paroles du Dragon avaient résonné dans chaque esprit présent. Elle avait dû se faire violence pour ne pas céder à la haine qui l’avait submergée en apprenant que Karel avait été le sujet d’une certaine expérimentation. Tout lui avait été révélé sans une once de compassion. Elle avait lutté pour rester forte pour le soutenir alors qu’il perdait pieds.

  La jeune femme se souvenait comme si c’était la veille de la première fois où Karel avait mis les pieds à Var, quand il s’était effondré dans ses bras. Sa souffrance avait été palpable.

  Lya serra les poings et ferma les yeux avec force pour retenir ses larmes. Elle ne s’était pas attendue à voir ressurgir la tristesse de son frère face au Dragon. Ce regard figé, presque vide, qui avait laissé échapper une larme, c’était le même qu’autrefois. Et ça, Lya ne le tolérait pas.

« Je ne les laisserai plus te malmener. Je te le jure. » gronda-t-elle en pensées.

  Elle expira, une fois le contrôle de ses émotions repris. Passant le dos de sa main sur le front d’Aquilée, Lya constata que sa fièvre avait enfin baissé. La jeune Sorcière afficha un petit air satisfait et se saisit du bol rempli d’eau posé à son chevet. Elle n’oublia pas l’étoffe qui l’accompagnait.

  Lya ouvrit la porte de leur chambre commune et la referma avec délicatesse. Elle descendit les escaliers de bois qui grincèrent sous ses pas.

  Elle arriva au rez-de-chaussée et entreprit de se diriger vers la sortie du petit chalet qu’ils avaient loué, pour accéder au puits pour changer l’eau. Lorsqu’elle posa sa main sur la poignée, la porte ne bougea pas. Elle plissa les yeux.

« Verrouillée. Par magie. »

  Lya remarqua quelques grains de sable blanc sur le sol et des traces de pas. Un sort jetable venait d’être utilisé.

« Que… ? »

— On sort quelque part ? la surprit une voix.

  Lya se retourna et aperçut Uriel dans un coin de la pièce. Elle claqua le bol sur la table.

— Uriel ! Mais tu n’es pas bien, ou quoi ? C’est quoi cette façon de surprendre les gens ? Aide-moi plutôt à retirer le sort de cette porte !

  Le Sorcier se redressa et la rejoignit. Lya examina de nouveau les traces sur le sol. Dirigées vers l’intérieur.

« Non… Ce n’est pas vrai… »

  Elle sentit la présence d’Uriel dans son dos. Lya se crispa, mais fit en sorte de ne rien laisser paraître.

— Enfin seuls, toi et moi.

  Lya ricana.

— Désolée, Mec, mais tu n’es pas vraiment mon genre !

  Elle se retourna vivement, une main retint son poignet et la plaqua contre la porte.

— Qu’est-ce qui te prend ?!

  Uriel la toisa.

— Tu pensais vraiment que je trinquais à notre amitié ? J’ai drogué les boissons. Inutile de crier, nous ne sommes que deux, ce soir.

— Ça tombe bien, je comptais t’en coller une !

  Lya visa l’entrejambe d’Uriel mais un poing s’abattit sur son genou avec violence, lui faisant voir des étoiles devant les yeux. Elle suffoqua lors d’un autre coup dans l’abdomen. Choquée, elle tomba et les battements de son cœur s’accélérèrent.

« Qui es-tu, Uriel ? Pourquoi fais-tu une chose pareille ? »

  Acculée, elle se jeta contre Uriel avec toute la force dont elle était capable, au moins pour le déséquilibrer ne serait-ce qu’un instant afin de s’extirper. Si tout le monde était drogué, inutile de compter sur de l’aide.

  Uriel se dégagea et lui donna un coup de pied dans la poitrine. Lya gémit de douleur alors qu’Uriel la plaquait contre le sol, le souffle coupé. Ignorant sa douleur, Lya parvint à se retourner sur le dos pour lui faire face. Il lui bloqua les poignets au-dessus de sa tête. Lya eut beau se débattre, Uriel était plus fort. Il s’assit sur son bassin pour mieux l’immobiliser.

— Tu n’es qu’un traître ! cracha-t-elle.

— Le Dragon avait raison sur un point, lui rappela Uriel. L’un de nous n’arrivera pas à la Tour de l’Eau. Je pense qu’il parlait de toi !

  Lya poussa un cri de rage et faisant fi de la douleur à son thorax, lui donna un violent coup de tête.

  Uriel lutta contre la douleur et planta une lame dans la paume de Lya. Elle hurla et manqua de s’évanouir.

— Arrête de bouger, où ça n’en sera que plus douloureux ! ordonna-t-il, glacial.

  Lya manqua d’air, les larmes aux yeux et le corps tremblant. Le moindre mouvement était une torture. Elle avait le sentiment que si elle faisait un geste brusque, elle perdrait l’usage de sa main.

— Tu prends trop de place, annonça Uriel.

  Une exclamation de surprise lui échappa dans un bruit de meubles renversés. Au moins, il n’était plus sur elle.

  Lya gémit quand sa main clouée se détacha du sol et que la lame froide s’arracha de ses chairs. Elle manqua de défaillir. Un son de métal tinta à côté de son oreille. Une main se posa sur son visage. Lya voulut se dégager, mais lorsqu’elle reconnut son frère, le soulagement l’envahit. Un sentiment aussi vite remplacé par l’inquiétude. Penché au-dessus d’elle, une expression féroce déformait les traits de Karel.

  Lya tourna la tête. Uriel se relevait avec difficulté en s’aidant d’un mur, passant une main sur sa bouche qui saignait.

« C’est… c’est vraiment toi qui as fait ça ? »

  Elle n’avait jamais vu son frère ainsi. Il était méconnaissable. Elle le trouvait effrayant. Les muscles tendus, son visage était déformé par la colère et le ressentiment. Son regard n’était plus celui de son frère doux et bienveillant. Mais celui d’une personne prête à faire le mal.

— Maudit sois-tu de ne pas être sourd, Sans-Voix ! cracha Uriel.

  Une aura de magie enveloppa Karel et ses yeux devinrent jaunes. Le vent sembla se lever dans la salle. Karel se jeta sur Uriel avant que celui-ci n’ait le temps d’esquiver. Karel le frappa du poing en profitant de la célérité de Zmeï pour donner de la puissance à son geste. Il ne laissa pas le temps à Uriel de se remettre qu’il l’empoigna par le col et le plaqua brutalement contre la porte. Ses yeux redevinrent normaux.

  Jamais il n’avait éprouvé autant de colère. Il avait envie de massacrer Uriel, si seulement il avait son autre bras libre. Il voulait lui déformer le visage, lui casser les dents, le nez, n’importe quoi pour lui rendre ce qu’il venait de faire subir à Lya au centuple.

  Uriel ricana.

— J’ignorai que tu avais du cran. C’est comme ça que tu compenses ton handicap ?

  Karel dût se faire violence pour le relâcher et reculer d’un pas afin de libérer sa main valide.

« Pourquoi ? » signa-t-il.

— Inutile, je ne comprends rien à ce que tu exprimes, Sans-Voix ! Tout ça parce que tu n’es pas fichu d’être comme tout le monde !

« Ferme-là. Juste, ferme-là ! » pensa Karel avec un regard incendiaire.

— Qui… es-tu… réellement, souffla Lya d’une voix rauque en s’appuyant sur les coudes.

  Son corps tremblait sous l’effort et son sang se déversait sur le sol. Elle avait du mal à se mettre sur les genoux. Si elle était hors-jeux, autant parler pour deux. Au moins, son frère comptait encore sur elle pour ça.

  Un air mauvais s’afficha sur le visage d’Uriel.

— Je ne t’ai pas menti à mon sujet.

« Il t’a demandé de tuer mes proches, c’est ça ?! »

  D’un geste vif, Karel tendit la main vers Uriel qui se retrouva plaqué contre le mur dans un bruit sourd. Uriel gémit alors que Karel serrait les doigts.

« Je ne le laisserai pas faire ! Cette fois, il ne détruira pas nos vies ! »

— Karel ! Arrête ! s’écria Lya. S’il te plaît, ne va pas jusque-là !

  Uriel, qui ne touchait plus le sol, porta les mains à sa gorge. Karel répéta son signe. Cette fois, inutile de traduire. Il exigeait une réponse.

— Pff, franchement ! ricana Uriel. Je me demande vraiment ce qu’il t’a trouvé de particulier ! Il m’agace ! Tous les jours, il ne fait que me comparer à toi, c’en est insultant !

— De qui… Tu parles ? questionna Lya.

— Du type qui a élevé ton frère, évidemment ! craqua Uriel.

« TAIS-TOI ! »

  Lya fut figée de surprise, effrayée par ce que cette révélation sous-entendait. Uriel invoqua un serpent d’eau attaquer Karel qui sursauta. Le Sorcier de l’Eau atterrit sur le sol, enfin libéré de l’emprise psychique.

— C’est moi qui ai fait tomber ce rocher gigantesque sur votre village ! avoua-t-il. Il fallait bien faire quelque chose pour que vous partiez et tombiez entre les griffes de Phényxia ! C’était limite trop facile ! Mais ce soir, ma mission est terminée. Tout se passe comme prévu.

  Karel fondit sur Uriel, mais celui-ci jeta un autre sort jetable. Un écran de fumée apparut et le Sorcier d’Eau disparut. Karel en resta interdit.

  Les gémissements étouffés de sa sœur le ramenèrent à la réalité. Karel revint vers Lya. Il l’aida à se relever, elle prit appui sur lui. Une fois debout, bien que chancelante, Karel la serra dans ses bras presque à l’en étouffer, encore saisi d’effroi de l’avoir vue en danger.

« Comment ai-je pu laisser ça arriver ? Pourquoi je ne me suis pas réveillé plus tôt ? »

  Lya s’accrocha à ses épaules et se blottit dans ses bras. Elle n’aimait pas le voir se flageller de la sorte. Mais au moins, il n’avait plus cette expression effrayante. Sa présence l’avait toujours réconfortée et apaisée. À ses côtés, son esprit devenait plus organisé et posé.

— T’inquiète… Ce n’est… qu’une égratignure. Ce n’est pas de ta faute. Ne… Ne t’en fais pas. Je… Je n’ai rien.

  Karel desserra son étreinte et la regarda avec un reproche dans les yeux.

« Tu te moques de moi ? »

 Il l’aida à s’asseoir sur l’une des chaises encore debout et tendit l’étoffe que Lya avait descendu vers elle. Lya le prit et l’enroula autour de sa plaie, aidée par son frère. Aucun d’eux ne prononça un mot. La jeune fille avait appris à se servir du silence pour communiquer. Inutile d’utiliser la télépathie. Karel devait se douter de ses pensées, et elle était consciente de ce qui le tourmentait. Son passé refaisait surface, et ça les effrayait tous les deux. Elle redoutait que son frère ne disparaisse à nouveau pendant des années.

  Enfin, Karel se releva et aida Lya à faire de même. Il la soutint pendant toute la traversée des escaliers, jusqu’à sa chambre partagée avec Whélos qui dormait profondément.

  Karel et Lya échangèrent un regard. D’un même geste, ils verrouillèrent la porte, même en ayant conscience que cela était inutile. Mais ce geste avait un petit effet rassurant après le choc qu’ils venaient de subir. Karel conduisit doucement Lya vers son lit et l’obligea à s’allonger. La tête basse, il s’excusa et lui assura que désormais, il veillait sur elle.

— Karel…

  Son frère lui envoya un regard qui ne tolérait aucune contradiction. Il enjamba Whélos et prit le troisième lit, désormais libre. Tous deux ne s’endormirent qu’après un long moment.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0