Chapitre 6

6 minutes de lecture

— Comment ça, Uriel nous a trahi ?! s’écria Whélos.

  Incapable de rester en place, il faisait les cent pas et enrageait sur les événements de la veille.

  Lya resta silencieuse, un œil sur sa main bandée et soignée par Whélos. Karel la fixa. Elle semblait coupée du monde. Sa sœur était ainsi depuis qu’ils s’étaient réveillés et son expression restait fermée, chose inhabituelle chez elle. Karel se doutait de la raison.

« Mon absence t’a valu des souffrances… » culpabilisa-t-il. « C’était censé changer. »

  Karel s’était toujours senti ignoble. Alors que Lya subissait les séquelles de son absence, lui avait vécu loin de ces tourments, sans avoir été malheureux jusqu’au jour où il avait découvert qu’il s’était construit sur du néant.

  Pourquoi l’ombre du Mage planait-elle sur cette quête ? Qu’avait-il négocié avec Phényxia ? Travaillait-elle pour son compte ? Quel était leur but ? Plus les choses avançaient, et plus Karel redoutait le bout du chemin. Il doutait fortement de s’en sortir en voyant dans quel état ils étaient dès la première Tour.

  Il avait pensé avoir le luxe d’oublier son passé à jamais, mais celui-ci revenait le hanter.

— Bon sang, se lamenta Whélos. Mais comment allons-nous faire, à présent ?

  Lya se leva.

— Je vais aller voir Aquilée, annonça-t-elle d’une voix sans dynamisme.

  Elle disparut à l’étage sans demander son reste. Karel la suivit du regard jusqu’à la perdre de vue. Whélos lâcha un soupir sonore en se laissant tomber sur une chaise en face de lui. Il posa son front dans une main, contrarié. Karel n’osait pas réagir. Pourtant, il brûlait de poser des questions. Il était certain que Whélos en savait plus que ce qu’il en disait. Mais sa connaissance du langage des signes était encore limitée, et le chercheur était beaucoup trop contrarié pour être en état de répondre à des questions.

  Karel se mura dans le silence et encaissa sa frustration.

« Tiens ? »

  Ses yeux se posèrent sur son bras en écharpe. Il arrivait à le bouger de manière partielle.

« Déjà ? C’est impossible… »

  La blessure était pourtant profonde. Karel frissonna lorsqu’il se remémora les révélations de Zmeï. Serymar lui avait transféré son sang. Un élément qui pouvait tuer un Mortel. C’était pourquoi Karel avait tant souffert lors de la transfusion. Le Mage avait transformé son organisme.

« Il ne tombait jamais malade et la moindre plaie s’effaçait en moins de quelques jours… », se souvint-il.

  La crainte qu’il lui inspirait augmenta lorsque Karel se remémora ce moment sombre où le Mage avait absorbé une maladie qui aurait pu le tuer. Serymar avait survécu presque comme si de rien n’était. Karel retrouva le sentiment qu’il avait éprouvé à son égard à ce moment-là : il trouvait cela à la fois fascinant et terrifiant. Encore un argument qui renforçait l’idée que Karel avait quitté une personne fort dangereuse.

« Je ne suis en vie que parce qu’il le veut bien… » songea-t-il, l’humeur sombre.

  Se sentir ainsi menacé sans jamais savoir quand le Mage déciderait de l’éliminer l’effrayait. Malgré le don de Zmeï, Serymar serait capable de l’éliminer d’un claquement de doigt.

  Les filles descendirent enfin, Aquilée en tête. Elle avisa toutes ces expressions assombries.

— Allons ! Hauts les cœurs ! Je sais que la situation n’est pas évidente, mais s’y morfondre ne va pas nous avancer ! Et maintenant que nous avons commencé, nous ne pouvons plus reculer, n’est-ce pas ?

— Heureux de te revoir en forme, ma p’tite, l’accueillit Whélos. Tu as raison. De toute façon, ça ne peut pas être pire ! Un traître nous guette, nous avons deux blessés et je suis Sans-Pouvoir ! Tu comptes sortir de cette situation avec Phényxia comment, Aquilée, peux-tu me le dire ?

  La jeune fille baissa la tête.

— Je… J’essayais juste de…

  Whélos s’approcha d’elle et posa une main sur son épaule, l’expression désolée.

— Pardon de m’être emporté. Il faut que je reprenne mes esprits.

  Aquilée lui offrit un sourire timide.

— Pas de problème, Whélos. C’est normal, nous sommes tous menacés de mort. Mais au moins, nous avons sauvé un Dragon et reçu un de ses pouvoirs. Ça ne sera pas de trop pour nous sortir de cette situation.

  Sachant sa sœur dans les parages, Karel se permit quelques signes. Mais Lya ne se rendit compte de rien. Ce ne fut que lorsqu’Aquilée et Whélos l’interrogèrent du regard qu’elle réagit, bien qu’elle gardait son attitude absente.

— Il te demande ce que le Dragon t’a donné comme don.

  Aquilée afficha un sourire espiègle.

— Oui, je l’ai découvert. Sauf que j’aurais besoin de m’entraîner dessus, car c’est un pouvoir qui peut facilement échapper à notre contrôle. Je vous montrerai, à l’occasion !

  Karel esquissa une petite moue amusée. Voilà qui faisait plaisir à voir. Il exécuta d’autres signes.

— Il dit qu’il est content de te voir en forme, traduisit Lya. Que cet affrontement semble t’avoir changée, et en bien.

— Eh bien, merci Karel ! sourit Aquilée.

  Karel lui montra le signe de remerciement. La jeune fille assentit.

— Je me suis promis d’aller de l’avant, désormais, reprit-elle. De ne plus avoir peur. Les miens me manquent, mais avec votre aide, j’arriverai à retrouver ma place. Le Dragon m’a ouvert les yeux. Jusqu’à ce que nous l’affrontions, je ne faisais que me morfondre, je ne voyais que mon malheur, j’étais persuadée que rien ne pourrait s’arranger. Ses mots m’ont certes secouée, ils étaient durs à entendre, mais je pense que j’en avais grand besoin. Désormais, je me battrai jusqu’au bout, pour nous tous. Alors je refuse de céder au désespoir ! Cette trahison est certes un coup dur, mais nous devons quand même avancer. Je pense que nous avons tous envie d’échapper à Phényxia.

  Aquilée marqua une courte pause. Ses yeux violets brillèrent.

— Elle m’a insultée et humiliée. La meilleure revanche que je puisse avoir, c’est de réussir cette quête jusqu’au bout et échapper à son emprise. De revenir chez moi et de lui montrer que nous ne sommes pas faibles !

« Tu as grandi, Aquilée. » songea Karel avec satisfaction.

— Tu as bien raison ! renchérit Whélos. Préparons notre route, elle sera longue, jusqu’à Pershkin. Vous en profiterez pour vous familiariser avec le don de Zmeï et guérir. Il serait bon aussi que nous apprenions tous à nous coordonner, en cas de danger. Cela augmentera nos chances de survie. Et ça, je peux nous y aider.

  Chacun se leva pour rassembler ses affaires. Karel suivit le mouvement, avec en tête l’intention de discuter avec Lya. Il était temps de mettre certaines choses au clair, seul à seule.

***

Monts de la Mort.

  Serymar se frappa le front et se pinça l’arête du nez, contrarié.

— Quel… crétin, s’exaspéra-t-il.

  Il se demanda encore ce qui lui avait pris de céder aux demandes d’Uriel. Le jeune homme s’était fait très insistant, ce que le Mage ne supportait pas, surtout quand il refusait.

  Quelques mois plus tôt, le Sorcier était venu jusqu’ici et l’avait imploré de lui enseigner la magie pour la seule raison de devenir plus puissant. Serymar avait d’abord refusé, avant de se rappeler qu’il avait besoin d’un pion porteur de magie afin d’agir à l’extérieur sans se faire repérer par Œil-de-Sang.

  Uriel n’aurait jamais dû trahir le groupe. Pour l’instant. C’était beaucoup trop tôt. Serymar aurait désormais du mal à avoir un œil sur eux comme il le souhaiterait. Heureusement qu’il lui restait encore d’anciennes possessions de Karel afin d’établir le sortilège pour l’espionner si nécessaire.

  Serymar s’installa dans son fauteuil et remit de l’ordre dans ses réflexions. Il allait devoir réviser ses plans avec Uriel. Le véritable problème restait Karel.

« Tu n’as pas changé… Il faut toujours que tu sois poussé à bout pour agir. J’ose espérer que ce qui est arrivé à ta sœur te servira définitivement de leçon, cette fois. »

  Depuis que Karel avait découvert son handicap, il s’y était résigné. Serymar avait remarqué qu’il avait souvent tendance à attendre que les réponses viennent avec le temps faute de pouvoir poser ses questions. Un drame était donc inévitable. En ce sens, peut-être que l’erreur d’Uriel était tombée à point nommée.

  Resterait à gérer Phényxia. Sans le savoir, elle servait ses intérêts, mais la trahison d’Uriel ne manquerait pas d’alerter la démone.

« Il va falloir que je prenne quelques dispositions supplémentaires. »

  Phényxia s’en était déjà pris à Elma, et elle recommencerait sans hésiter.

« Je peux peut-être jouer là-dessus pour rattraper le coup. »

  Elle lui avait déjà sous-entendu qu’elle était prête à ce genre de manœuvre. Ils ne s’adressaient qu’à peine la parole depuis leur dernière altercation, mais peu importait. Elle avait choisi d’exécuter ses demandes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0