Chapitre 7[F]

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100 ans plus tôt.

  Une douleur lancinante lui fit soudain reprendre connaissance. Sa mémoire se souvint de sa situation précaire, enchaînant les souvenirs les plus récents à une vitesse vertigineuse : le château délabré. Une mystérieuse inconnue. Une blessure béante et profonde en travers de son dos. Il sentit la dureté et la froideur de la pierre contre sa peau.

« … Comment ça, contre ma peau ? »

  Il voulut bouger pour se mettre en position de défense. Son système nerveux se paralysa aussitôt, comme si des lances s’enfonçaient à vif dans le cerveau. Il s’affaissa, le souffle court, pris d’un lourd vertige.

  Il attendit quelques secondes que son étourdissement passe, et put enfin prendre conscience de l’espace dans lequel il se trouvait : appuyé épaule contre le mur glacé, affalé à même le sol. L’air caressait la peau. Le malaise le saisit lorsqu’il observa qu’il était délesté de sa cape de voyage et de sa tunique. Uniquement son pantalon et ses bottes. Un bandage de fortune avait remplacé le précédent.

— Je me suis permise, déclara une voix. Même si je me serais bien passée de cette vision d’horreur. Je ne pouvais pas vous laisser dans un tel état.

  Serymar se crispa. Ayant enfin recouvert la vue, il lui jeta un regard mauvais. Que faisait-elle encore ici ? Que cachait-elle ? Qu’est-ce qui n’allait pas, chez elle ?

— Vous avez perdu beaucoup de sang, reprit l’inconnue. Vous feriez mieux de ne pas bouger. Comment avez-vous fait pour venir jusqu’ici dans un état pareil ?

  Le Mage préféra ignorer la question.

— Qui êtes-vous ? lui demanda-t-il avec méfiance.

— Personne de bien particulier. Juste une âme errante depuis que j’ai été bannie des miens.

— Allez-vous-en.

— Mais je n’ai nulle part où aller !

— Cela ne me concerne pas. Sortez de chez moi.

  Court silence, mais la jeune femme afficha une expression déterminée.

— « Chez vous » … C’est vite dit. Nous sommes arrivés ici en même temps.

— Je suis arrivé avant vous, riposta Serymar avec froideur. Trouvez-vous un autre endroit. Où je vous en trouverai un moi-même : dans une tombe.

  Un long silence tendu s’abattit dans la pièce. Serymar fixa l’inconnue, attentif au moindre mouvement suspect. Si seulement il avait assez de force pour mettre sa menace à exécution… Elle était suffisamment proche pour lui sauter à la gorge et la tuer. Il souhaitait éteindre cette étincelle de vie dans ses yeux verts, brillants de cette détermination à se battre jusqu’au bout pour obtenir ce qu’elle désirait.

  Il était trop affaibli pour utiliser la magie. Par réflexe, ses doigts engourdis cherchèrent sa dague, mais il se rappela qu’il avait essayé de transpercer le visage de cette inconnue avec. Il se crispa.

« Fichue blessure. »

  La jeune femme changea d’expression et abandonna sa défiance.

— Cette plaie est terrifiante. Cela va au-delà d’une torture quelconque… Dans quel but…

— Pour m’éviscérer, répondit-il avec banalité.

  Il la vit pâlir et porter une main à sa bouche comme pour s’empêcher de vomir. Heureusement, ses tortionnaires n’avaient pas eu le temps de lui faire grand-chose après l’avoir capturé peu avant la capitale. Serymar avait repris conscience à temps et avait lutté de toutes ses forces pour leur échapper. Ses ennemis lui avaient porté un sérieux coup… Ces Avancés avaient des moyens bien plus redoutables que ce à quoi il était habitué. Il devrait songer à apprendre à les connaître afin de mieux les contrer.

  Cette bande l’avait attaqué à plusieurs reprises. Une fois à Winror, et récemment. Serymar était déterminé à retrouver ses capacités physiques et magiques pour les démanteler ce groupe d’une manière définitive.

— Écoutez… reprit l’inconnue. J’ignore d’où vous venez, et cela ne m’intéresse pas. Je veux juste…

— Disparaissez.

  Elle soupira.

— Vous savez, j’ai conscience que je suis en sursis tant que vous êtes dans cet état. Ne vous faites pas d’illusions, vous l’êtes aussi, si on laisse cette plaie telle quelle. Elle est infectée.

  Serymar aurait souhaité que cela soit un mensonge, mais il savait qu’il s’agissait de la vérité : il s’affaiblissait d’heures en heures. Depuis deux jours de cavale, cette blessure aurait déjà dû se refermer de manière partielle.

  Il se méfiait de cette femme sortie de nulle part. Il ne croyait plus aux hasards.

— Mêlez-vous de vos affaires, lui envoya-t-il sèchement.

— Mais vous avez besoin de…

— Je n’ai besoin de personne. Vous ne ferez rien, et n’aurez rien.

  Elle se tut. Enfin, la détermination déserta ses yeux. Elle se releva, au grand soulagement de son interlocuteur. Elle s’éloigna, rassembla le peu d’affaires qu’elle possédait, le visage fermé. L’épuisement se lisait sur ses traits. Il l’ignora. Qu’elle aille mourir ailleurs, loin de son regard. Il avait bien assez à faire avec sa propre situation.

— Je vois, reprit-elle sombrement. Je suis vraiment désolée, d’avoir voulu m’imposer.

— « Désolée » ? répéta le Mage, interloqué et confus.

  C’était la première fois de sa vie qu’il entendait ce mot. La jeune femme afficha exactement la même expression.

— Oui, bien sûr… Mon attitude n’était pas correcte. J’ai cherché à m’imposer, sans prendre en compte votre propre situation. Je suis humaine. Et lorsqu’un humain est au bord du désespoir, il peut être du genre à laisser de côté toutes ses valeurs morales afin de survivre. Je n’échappe pas à cette règle. Je me débrouillerai. J’ai… J’ai bien réussi à venir jusqu’ici, après tout. Pardon.

— Que signifie ce… mot ?

  Un silence accueillit sa déclaration. Au bout de longues secondes, la jeune femme revint prudemment vers lui et s’accroupit en veillant à garder une distance respectable. Enfin, elle prenait ses avertissements au sérieux.

— Cela signifie que je regrette une action que j’ai commise envers votre personne. D’où provenez-vous donc pour ignorer ce genre de chose ?

  Ses yeux verts le déroutèrent : il s’était attendu à une attitude hautaine et humiliante à son égard, il n’en était rien. À quoi pensait-elle ?

— Adieu, annonça-t-elle en se dirigeant vers la porte.

  Serymar se plongea dans ses pensées. Il serait coincé ici pendant un bon moment, à la fois par son état critique et sa situation précaire. Ses mouvements prochains seraient très limités. Difficile d’agir. Cette fille qui sortait de nulle part… en fin de compte, il ne pouvait pas la laisser partir comme ça. Peut-être pourrait-elle tomber sur ses ennemis et leur révéler sa position sous une quelconque torture. Il était trop dangereux de la laisser s’en aller.

— Attendez une seconde.

  Elle s’immobilisa, surprise, mais ne se rapprocha pas et l’interrogea du regard. Serymar essaya de se redresser, mais il était incapable de se relever. Les bandages étaient si serrés qu’il avait du mal à respirer.

— Vous souhaitez un abri, très bien. Nous partagerons celui-là. En revanche… vous n’en ressortirez plus jamais comme vous le souhaiterez. Je tiens à ce que ma présence s’efface de l’esprit de certains pendant quelques temps. Si vous me devenez nuisible, je vous tuerai aussitôt. J’ai pris possession de ces lieux. Je m’en estime maître, désormais. Je déciderai de tout ce qui pourra s’y passer. Est-ce clair ?

  Il la fixa droit dans les yeux, d’un regard qui ne tolérait aucun compromis. Cette situation ne l’arrangeait pas, mais mieux valait l’avoir à l’œil. Sa présence lui était suspecte.

  Elle se plongea dans ses réflexions avant d’afficher une expression soulagée.

— Très bien. Il faut bien un prix à payer.

  Serymar ne s’était attendu à ce qu’elle accepte. Il la dévisagea longuement.

— Quel est votre nom ?

  La jeune femme plongea son regard émeraude dans le sien.

— Syriana.

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