Chapitre 9 - 1

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  Le groupe reprit son chemin sans attendre. Lya et Karel guériraient en chemin. Le jeune homme était surpris d’être capable de bouger son bras jusqu’au coude. Si chacun remarquait cet étrange phénomène, tout le monde s’abstint de tout commentaire, ce qui arrangeait Karel qui leur était reconnaissant de ne pas l’assaillir de questions.

« Je ne suis pas comme lui. Je ne lui ressemblerai jamais. » s’imposa-t-il.

  Perturbé par cette idée, il refit rapidement le lien nouant ses cheveux. Ce geste avait beau paraître ridicule, il s’agissait du seul qui parvenait à le différencier de son ancien mentor. Si Valkor leur avait trouvé des similitudes, cela signifiait que Karel n’était pas parvenu à se défaire de son influence en dépit de ses nombreux efforts ces dernières années.

  Il n’était jamais parvenu à l’oublier. Cette ancienne vie illusoire, il n’avait jamais réussi à en faire le deuil. Chaque jour, Karel culpabilisait d’utiliser tout ce qu’il avait appris. Il avait l’impression de se rapprocher un peu plus de celui dont il souhaitait désespérément se détacher.

  Karel était encore plus préoccupé par Lya. Elle était silencieuse et répondait à peine lorsqu’on lui parlait.

« Toi et moi, nous devons parler. »

  Karel se fit patient. Lorsque ses compagnons décidèrent de faire une pause au bord d’une rivière, il surveilla sa sœur du coin de l’œil en aidant à installer leur campement de fortune.

— Je vais pêcher le dîner, annonça Lya, atone.

  Karel la suivit. Une fois loin des autres, il accéléra le pas et saisit le bras de Lya. Surprise, elle se tourna vivement, prête à se débattre, mais se figea sous le regard sévère de son frère.

  Lya tenta de se libérer, mais Karel resserra sa prise.

« Non, petite sœur. Cette fois, tu ne m’éviteras pas. »

  Elle soupira et détourna le regard. Karel s’adoucit.

« Viens-là. »

  Il l’attira contre lui dans une étreinte rassurante. Il ne l’obligea pas à parler tout de suite. Ils avaient le temps, désormais. Il souhaitait lui rappeler qu’il était là pour elle, comme elle-même l’avait été. Son évolution, il la lui devait.

— J’ai peur, Karel, murmura-t-elle contre son épaule après un long moment.

  Il était rare qu’elle exprime ses craintes, elle qui affichait toujours une bravoure à toute épreuve. Elle releva la tête pour le fixer. L’angoisse était visible dans ses prunelles.

— Et s’il t’enlevait à nouveau ? Il ne nous espionne pas pour rien… Karel, je ne veux pas te perdre ! Je ne veux pas que tu disparaisses encore !

  Karel resserra doucement son étreinte. Il supportait de moins en moins les séquelles de sa disparition sur sa sœur depuis sa naissance.

— Ne m’abandonne pas encore une fois…

  Karel la garda dans ses bras et garda une posture rassurante et protectrice. Il était le seul à qui Lya offrait le privilège de la voir telle qu’elle était, avec ses moments de faiblesse. Bien qu’il lui était douloureux de la voir ainsi, il ressentait une certaine fierté à disposer de sa confiance. Il la regarda droit dans les yeux en prenant sa main blessée avec délicatesse.

« Si seulement j’avais pris cette plaie à ta place… Je suis désolé. »

— Je… Ça va, je ne sens presque plus rien, bredouilla Lya. Whélos s’y connaît autant en soins qu’en magie !

  Karel lui décocha un regard sévère. Encore ses habituels sourires de façade. À quel moment penserait-elle enfin à elle-même ? Il replaça une mèche de cheveu roux derrière son oreille et apposa dans le geste leur code télépathique.

— Lya, je ne permettrais plus que l’on te fasse du mal. J’ignore comment et pourquoi j’en suis arrivé là, et j’aurais très bien pu vivre avec si cela n’avait des conséquences que sur moi-même. Mais ce n’est pas le cas. J’ai peur de te perdre à chaque instant. J’étais terrifié pour toi. Je ne veux plus revivre ça. Je ne sais pas comment nous allons nous en sortir, mais nous trouverons une solution. Il le faut.

  Lya posa une main sur la sienne.

— En attendant, c’est le cas, alors tu dois faire avec. Je sais me défendre. Ce qui me gêne le plus, c’est que je pensais en avoir les capacités. Tu as vu comment Uriel m’a maîtrisée en un rien de temps ?

  La jeune femme baissa la tête, la bouche crispée.

— Je… Je suis nulle. Je te cause du souci. Il faut que je devienne plus forte ! Je ne veux plus que tu aies à te soucier de moi !

  Karel soupira, exaspéré.

« Même ça, tu ne le fais pas pour toi ! »

  Ce genre de réflexion ne l’étonnait guère. Si Lya était devenue aussi téméraire et combative, c’était bien à cause de sa disparition. Karel la relâcha puis exécuta quelques signes en la regardant droit dans les yeux.

— « Tu n’es pas nulle. Tu es capable de choses qu’aucun d’entre nous n’a été de faire ! Tu ne t’es pas vue affronter le Dragon ! C’est toi qui es allée au-devant des risques pour le libérer ! Comment peux-tu te dénigrer de la sorte alors que tu es allée là où personne n’en a eu le courage depuis deux siècles ? »

— Je… je n’y ai pas réfléchi, avoua Lya avec émotion. Je veux te sauver, Karel ! Je veux qu’on te lâche, quitte à affronter des Dragons maudits et les pires êtres de l’univers pour ça !

  Une idée lui vint. S’il ne pouvait pas la protéger en lui faisant entendre raison, il le ferait par un autre moyen.

— « Si tu es capable d’affronter un Dragon sans ciller, alors maîtriser tes agresseurs Mortels est largement dans tes capacités. Tu manques juste de pratique. Et je peux t’y aider. »

— Toi, tu t’y connais ? s’étonna-t-elle. Mais tu détestes ça !

— « J’ai été forcé d’apprendre. »

  Lya s’assombrit.

— C’est « lui » qui t’a appris ?

  Karel confirma d’un léger signe de tête.

— Je ne sais pas si c’est une bonne idée, en fait.

« Bon sang, Lya ! »

  Karel l’obligea à le regarder de nouveau.

— « Ça va te paraître bizarre, mais je te rassure : je n’ai jamais appris à assassiner des gens, seulement à me défendre. »

— C’est vrai que tu en sais plus que ce que tu montres…

— « C’est parce que je n’ai toujours pas déterminé s’il s’agit de bonnes choses ou pas. »

— Je vois.

  Un court silence tomba entre eux.

— « Dans tous les cas, tu dois apprendre en fonction de tes capacités. Sinon, tu vas finir tuée, et ça, je ne peux pas l’accepter. » signa-t-il.

— Tu as vu comment Uriel est gaulé ? soupira Lya. Il était plus fort que moi, c’est normal que j’aie perdu contre lui.

  Karel effectua un léger signe de négation de la tête.

— « Et alors ? Sur le plan physique, il est plus fort que moi, aussi. C’est pour ça que j’ai utilisé la magie pour compenser. Tu as déjà de bonnes bases. Ce qui te manque, c’est de savoir retourner la force de tes adversaires contre eux, et tu ne prévois pas les attaques que l’on peut te faire. »

— Parce que tu arrives à faire ça, toi ? s’étonna-t-elle. À prévoir les ripostes ?

  Karel confirma par le signe « plus ou moins ».

— Mais c’est presque impossible ! Surtout que tu ne peux pas avoir juste à tous les coups !

— « Certes, mais c’est le seul moyen qui augmentera tes chances de t’en sortir. »

— Bon… Alors, comment tu fais ?

  Une vague de satisfaction envahit Karel. Lya avait enfin retrouvé la parole et sa confiance. Il lui attrapa le bras comme s’il voulait la projeter plus loin et l’invita par le regardà à le mettre à terre.

— Je ne sais pas…

  Son frère raffermit sa prise et se glissa dans son dos pour lui bloquer ses bras. Lya chercha à se dégager sans y parvenir.

— Très bien, tu l’auras voulu !

  Karel esquissa un petit sourire. Enfin, il la retrouvait. Sa Lya, sa petite sœur pleine de combativité et de détermination.

  Lya le bouscula de tout son poids en se servant de ses bras bloqués comme appui et envoya les pieds vers son bassin. Karel la relâcha aussitôt et recula. Lya fit demi-tour sur elle-même afin de lui faire face.

— Normalement, j’aurais aussi donné un coup de tête, mais bon, je n’ai pas envie de te faire mal, commenta-t-elle.

  Son frère se rappela qu’Uriel avait le nez en sang lorsqu’il était intervenu.

« Quand je te dis que tu n’es pas sans ressources ! » sourit-il.

  Karel lui fit signe de continuer. Lya esquissa un sourire et accourut vers lui. Son poing vola vers sa figure. Karel esquiva sur le côté et bloqua la jambe de sa sœur d’une main, juste au niveau de son ventre. Il la repoussa vers l’arrière. Loin de perdre l’équilibre, Lya se remit sur pieds par un salto arrière, comme lors de son concours équestre.

— « Tu vois. » signa-t-il. « En combat rapproché, je pense que tu es plus forte que moi. »

  Il désigna Lya, mima le poing qu’elle lui avait envoyée.

— « Si tu envoies un coup comme ça, attends-toi à ce que ton adversaire t’esquive soit du côté opposé, soit par en-dessous. Il peut aussi reculer ou se téléporter s’il en a les capacités. En prenant ces options en compte, tu peux déjà préparer une contre-riposte. C’est comme ça que j’ai su que tu essaierais eun coup de pied. Tu es droitière comme moi, il y avait donc de grandes chances que tu t’appuies sur ta jambe droite pour m’envoyer le coup. Ainsi, je savais d’où il allait arriver. »

  Lya assentit, peu surprise des capacités d’analyse de son frère.

— J’aurais pu te tromper en envoyant la jambe droite.

  Karel lui sourit.

— « C’est précisément ça. » lui confirma-t-il par les gestes. « Analyse le comportement des gens, et tu sauras les surprendre dans la majeure partie des cas. »

— Prépare-toi. Je vais t’avoir.

  Ils passèrent la soirée à s’entraîner ensemble, chacun se donnant des conseils mutuels. Ils étaient décidés à s’en sortir ensemble, main dans la main comme une vraie famille.

  Lorsqu’ils décidèrent de rejoindre les autres, ils furent frappés par la tension inscrite sur leurs visages. Aquilée, blême, luttait pour contenir sa panique.

— Vite ! Sortez vos artéfacts ! prévint Whélos en prenant son grand bâton de voyage.

  Le chercheur bondit sur ses pieds et tous se collèrent dos à dos. Des tourbillons de feu apparurent.

— C’était à s’y attendre, soupira-t-il.

Suite ===>

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