Monts de la Mort, 12 ans plus tôt.

  L’épuisement le gagnait, alors que Serymar lui ordonnait encore de se concentrer sur leur entraînement de magie. Karel soupira. Son mentor ne lui laissait presque jamais le choix. Il se souvint de la promesse qu’il lui avait faite : il s’améliorerait, jusqu’à ce que son Maître soit fier de lui. Un jour, il le jugerait apte à aller à l’extérieur des Monts.

  Serymar effaça sa présence. Karel puisa dans sa réserve de magie pour le localiser. Il devait faire vite. À peine réfléchit-il qu’il fut poussé vers le sol.

— « On recommence. » ordonna le Mage en disparaissant encore.

  Karel rassembla ses esprits, mais fut à nouveau poussé à terre. Il souffla de frustration. Comment pouvait-il s’améliorer si son mentor ne lui laissait pas le temps de réfléchir ? Ce dernier lui décocha un regard désapprobateur et ses signes furent secs.

— « Tu crois que tes ennemis te laisseront le temps d’apprendre de tes erreurs ? Tu dois apprendre à analyser encore plus vite que tu ne le fais, ou tu ne tiendras jamais longtemps face à qui que ce soit. »

  Karel ne chercha pas à répondre. Son avis ne serait pas pris en compte. Il lutta contre son épuisement et se remit en position. Le Mage se rendit encore invisible. Par réflexe, Karel esquiva sur le côté mais il se fit à nouveau projeter sur le sol. Lorsqu’il se releva, il fit face au Mage avec une expression déterminée. La prochaine serait la bonne.

  Serymar s’effaça encore. Cette fois, Karel parvint à ressentir quelque chose. C’était très succinct. Une sorte de gêne, comme lorsqu’une personne entrait dans sa barrière personnelle sans son aval. C’était là qu’il devait réagir.

  Karel ne se déplaça pas. Le Mage faisait exprès de le faire languir pour le faire douter, mais à présent, l’Apprenti ne se ferait pas avoir.

  Enfin, lorsqu’il ressentit ce semblant de présence, Karel attaqua. Des racines surgirent du sol en formant une barrière dangereuse. Elles tombèrent aussitôt en cendre autour de lui, révélant le Mage qui le dominait de toute sa hauteur, ses étranges yeux flamboyants fixés sur lui. Karel croisa vivement les bras pour invoquer un bouclier psychique.

  Au lieu de le détruire, son Maître décida d’annoncer la fin de la séance avec un signe d’approbation. Karel fit disparaître son bouclier et suivit son mentor. Il osa lui demander son verdict.

  Pendant un moment qui lui parut une éternité, il crut ne jamais avoir de réponse. Le Mage finit enfin par lui faire comprendre qu’il était satisfait de ses progrès. Il lui recommanda de ne pas se reposer sur ses acquis parce qu’il donnait plus d’attention sur ses efforts et progrès comme il le lui avait promis pendant sa convalescence.

  L’allégresse illumina le visage de Karel, qui avait manqué de se décourager de nombreuses fois. Il savait que le Mage ne lui cédait pas ce compliment sans le penser. Karel assura qu’il ne lui ferait pas regretter ce cadeau. Comme pour le lui prouver, il fit surgir une imposante ronce pour l’attaquer sans prévenir. Le Mage la désintégra d’un simple mouvement de la main et afficha une expression satisfaite : cette petite espièglerie, c’était la première fois que Karel se la permettait envers lui. Il avait bien appris.

***

Aujourd’hui.

  Karel creva la surface de l’eau froide de la rivière et dégagea ses longs cheveux de son visage. Il appréciait prendre son tour en dernier pour se laver. Cela lui permettait d’être enfin seul avec ses pensées et il n’avait plus besoin de participer aux conversations.

  Il s’adossa contre un rocher et prit le temps de repenser aux révélations de Zmeï. Ces derniers se mélangeaient à ses souvenirs d’enfance qui ne cessaient de revenir depuis que Karel savait que Serymar était impliqué dans la situation catastrophique du pays.

  Le jeune homme n’y comprenait plus rien. Pourquoi Serymar l’avait-il enlevé pour ensuite l’abandonner ? Pourquoi lui avait-il appris tout ce qu’il savait ? Dans quel but ? Œuvrait-il pour le projet de ce mortel aux membres de métal ?

« Qui a passé ce pacte avec Illuyankas ? Quel dessein est censé servir cette arme ? »

  Serymar l’avait-il élevé pour servir ce projet avec lui ? Karel sentit son cœur se comprimer dans sa poitrine, comme à chaque fois que sa mémoire lui imposait le moindre souvenir de son enfance. L’expression de Karel s’assombrit.

« Je pensais avoir fait une croix sur mon passé. Visiblement, il me heurte encore. Ça me fait toujours aussi mal. »

  Karel jeta un coup d’œil à ses avant-bras. Tous ces moments où il s’était blessé de manière volontaire pour évacuer sa souffrance… la moindre de ces marques avait disparue. Seule la longue cicatrice à son bras gauche était restée.

  Le jeune homme sortit de l’eau et récupéra ses vêtements. Il avait toujours cru qu’il saurait se contenter de ne jamais avoir de réponse à ses questions. Depuis quelques temps, Karel se rendait bien compte que si son passé l’affectait encore, ce n’était pas seulement parce que Serymar était lié aux Dragons. Mais parce qu’il avait ce besoin désespéré de réponse. Malheureusement, il ne pourrait jamais les obtenir. Envisager un face à face avec Serymar ne lui était pas concevable.

  Il termina de s’habiller.

« Il va falloir que je m’y fasse… et apprenne à accepter que tous ces moments que j’avais apprécié n’étaient qu’un leurre. Comment… comment peut-on aussi bien jouer la comédie ? Au-delà de tout le reste, c’est ce que vous m’avez infligé de plus cruel. Et je n’arrive pas à surpasser cette rancœur. »

  Il ramassa son artéfact.

« Je ne servirai pas vos desseins. Je refuse de suivre ce chemin. »