Chapitre 13
La forêt qui se présenta à eux était bien plus accueillante que la précédente, même si la Forêt de l’Air avait retrouvé sa sérénité d’antan depuis peu. Celle-ci, au moins, ne cherchait pas à les tuer au premier abord. Mais Karel ne souhaitait pas se laisser aller à une quelconque torpeur.
La première heure passée à marcher dans cette masse végétale se déroula plutôt bien. Par pur réflexe, Karel scruta les alentours, prêtant attention au moindre détail. L’allure calme de cette forêt n’était qu’une apparence. Il le ressentait, la magie l’imprégnait de partout. Un coup d’œil rapide au reste du groupe lui confirma qu’il y avait bel et bien quelque chose. Si Whélos et Lya marchaient en silence et ne semblaient pas trop dérangés, ce n’était pas le cas d’Aquilée. Elle tournait le regard de tous les côtés comme si elle cherchait quelqu’un. Ou quelque chose. Karel voulut lui demander ce qui se passait, mais se découragea aussitôt. Il ne parvenait pas à expliquer cette gêne, ce sixième sens qui lui disait que quelque chose se déroulait autour d’eux sans qu’ils le voient.
Il jeta un œil aux arbres, aux buissons, racines et vers le ciel dissimulé par d’innombrables branches recouvertes de feuilles. Il ne vit rien. En apparence.
Une secousse psychique balaya la zone sur plusieurs mètres, surprenant tout le monde.
— Karel ? questionna Lya. Dis-nous que c’est toi, s’il te plaît.
Son frère effectua un rapide signe négatif de la tête. La méfiance s’empara de chacun. Aquilée se mit en position d’attaque.
— Nous savons que vous êtes là ! Montrez-vous, qui que vous soyez ! exhorta-t-elle, anneau brandi.
Une lance répondit à cet ordre. Lya la réduisit aussitôt en cendres juste avant que l’arme ensorcelée n’atteigne Aquilée ou son frère. Ils se rassemblèrent dos à dos pour protéger leurs arrières. Des personnes à l’allure étrange les encerclèrent. Leurs yeux noirs sans pupille les dévisageaient. Leurs corps mauves étaient ornés de nombreux tatouages tribaux.
— Le Clan de l’Esprit, soupira Whélos. Il fallait s’en douter.
D’après ses observations, Karel en était sûr, leur chef n’était pas présent. Et tant mieux. Ces gens avaient reçu des ordres. Leur chef, comme Phényxia, aurait agi directement et sans manières, car telle était leur façon de procéder. Cela signifiait qu’ils ne risquaient pas de mourir dans l’immédiat. Si les autres Clans étaient à leurs trousses, ils les voulaient vivants, du moins tant qu’ils n’auraient pas réussi les épreuves des Dragons. Ils avaient donc encore une mince chance. Phényxia ne laisserait pas passer, pas après le mal qu’elle s’était donnée pour les piéger. Karel n’aimait pas l’idée de devoir compter sur elle pour les sortir de là, mais dans une situation pareille, elle seule pouvait rivaliser avec les ennemis qui leurs faisaient face.
Le Clan se resserra autour d’eux. Un démon se détacha du groupe et les regarda d’un air suffisant.
— Tiens, la Fille de l’Air, ici ? Eh bien, voilà qui est inattendu ! Retire donc ce faux air de bravoure, gamine, cela ne te va pas. Nous allons nous amuser un peu avec ce qu’il reste de ton peuple !
Si Lya et Whélos eurent un regard interrogateur, ce ne fut pas le cas de Karel. Il ignorait en quoi consistait ce statut, mais Phényxia n’avait pas choisi n’importe qui. Si la Tribu du vent n’osait rien tenter pour la libérer, ni eux ni les autres Tribus, c’était bien parce que Phényxia leur avait mis le couteau sous la gorge.
Aquilée fulmina et activa son anneau.
— Laissez mon peuple en dehors de ça !
— Aquilée, non ! tenta Whélos en essayant de la retenir par une épaule.
La jeune fille créa une barrière de vent autour du groupe que le Clan contra aisément. Aquilée ne se démonta pas.
— Ô vénérable Zmeï, prêtez-moi votre force !
— Arrête, Aquilée ! intervint Lya. Ne fais pas ça !
Ses compagnons reculèrent alors qu’Aquilée dégageait une puissante énergie magique. La jeune fille hurla de douleur en courbant le dos. Lya voulut la secourir, mais Whélos l’en empêcha en la retenant par un bras. Un déchirement se fit entendre et la stupeur les gagna lorsque de grandes ailes vertes de dragon surgirent du dos de la jeune Sorcière.
Aquilée se redressa, haletante. Ses iris étaient devenues verticales. D’un seul mouvement d’ailes, elle prit de la hauteur. Un ouragan se déploya autour de ses amis et repoussa les démons sans ménagement.
— Lya, Karel ! appela Whélos. Il faut l’aider !
Le Clan lutta et les chargea. Karel décrivit un large mouvement pour créer des pieux de terre au-delà de la barrière de vent pour repousser leurs agresseurs. Lya enflamma la barrière de vent et un mur ardent les encercla, provoquant des exclamations de surprise et de douleur.
Le démon qui avait parlé lança un sort psychique en direction d’Aquilée. Karel blêmit. Porteur du pouvoir de l’esprit, il connaissait ce geste destructeur. Il maudit de toute son âme ce destin qui l’avait privé de voix pour prévenir leur amie.
Il appela le pouvoir que le Dragon lui avait confié. Sa lame brilla et une puissante énergie afflua en lui, inhabituelle. Karel se téléporta hors de leur barrière en usant du pouvoir de célérité. Il se jeta à même de leurs agresseurs et se pencha en arrière pour éviter un poing dans la tête. La célérité de Zmeï lui permit de rivaliser avec la vitesse de ses adversaires. Karel évita d’autres mains qui cherchèrent à l’attraper et envoya une onde psychique sur le démon qui visait Aquilée. L’ennemi ne cilla pas. Karel se figea d’horreur alors que ses yeux redevinrent normaux.
— Qu’est-ce que tu cherches à faire, gamin ? ricana son adversaire.
L’angoisse saisit Karel. Il y avait pourtant mis assez de force, mais l’agresseur se comportait comme s’il n’avait reçu qu’un petit caillou sur la tempe. Aquilée fondit sur lui et poussa un cri déchirant lorsqu’un poing invisible la frappa en pleine poitrine. Ses ailes disparurent et elle chuta comme une pierre, le visage déformé par la souffrance. Karel trembla.
« Le sortilège interdit de la torture interne ! »
— Par les Dragons, Aquilée ! s’écria Whélos.
La jeune fille hurla en portant les mains à son crâne, les doigts arrachant presque ses cheveux sous l’hilarité de leurs ennemis. Karel s’agenouilla pour la soutenir et posa une main fébrile sur son front. Avec difficulté, il força ses barrières afin d’entamer une lutte psychique contre le démon.
— Laissez-là ! intervint Lya.
Une salve de feu fondit sur les démons qui repoussèrent l’attaque en enveloppant Lya d’une sphère psychique avec ses propres flammes. Lya les fit aussitôt disparaître et tapa la paroi invisible de ses poings pour essayer de sortir.
Karel fut projeté loin d’Aquilée avec un mal de tête intense. Le démon était parvenu à le repousser comme si de rien n’était. La panique le gagna. Comment sortir de cette situation ? Ses amis et sa sœur étaient en grave danger. Son cœur battit plus vite. Son souffle lui manquait, il transpirait de terreur.
« Ce n’est pas le moment d’avoir une attaque de panique ! » s’exhorta-t-il.
Karel se força à se calmer, sans y parvenir. Voir sa sœur en danger le paralysait.
« Lya va mourir. »
Cette pensée l’obsédait et l’empêchait de réfléchir. Un violent coup interne l’obligea à se prendre la tête entre ses mains crispées, comme si des doigts cherchaient à percer son crâne. Une attaque psychique. Interne. Comme Aquilée.
— Je vais te montrer comment on fait, Sorcier ! lui envoya son agresseur avec un regard de dément.
Son corps s’alourdit, ses jambes se dérobèrent, il s’écroula. Karel sentit à peine le sol, entendit à peine les hurlements d’effroi de sa sœur plus loin, ni les voix des membres du Clan qui prenaient plaisir à le faire et regarder souffrir.
C’était comme si un étau s’était infiltré autour de son cerveau pour l’écraser. Karel sentit sa vision se troubler, son cœur battre plus vite à cette douleur insupportable qu’il ne pouvait exprimer. Il sentait à peine ce liquide chaud au niveau de ses oreilles et de son nez. Karel n’avait jamais été doué pour ce genre de défense. Son crâne lui semblait si lourd que sa nuque semblait prête à se briser sous le poids de sa tête. Son souffle lui échappa et la douleur explosa à plusieurs endroits dans sa boîte crânienne. Elle le rendait fou.
Le sifflement d’une flèche interrompit son agonie. D’autres cris, plus surpris, plus furieux se firent entendre. Une cacophonie s’ensuivit, où il fut incapable de distinguer qui était qui. Ses pensées lui échappaient, sa conscience s’évaporait, perdant de plus en plus rapidement la conscience de chacun de ses membres. Un voile sombre acheva de le rendre aveugle, la cacophonie se fit de plus en plus lointaine.
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