Chapitre 14[F]

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100 ans plus tôt.

  Serymar avait refusé de s’allonger. Il tenait à rester alerte et capable de réagir en cas d’agression. Cette femme… il ne lui faisait pas confiance. Elle cachait quelque chose.

  Avachi sur une chaise branlante, ses bras reposant sur une table dans le même état, il s’imposa de bouger. Une douleur fulgurante traversa son dos des épaules jusqu’à ses reins et l’obligea à conserver sa position. Il pesta.

  De légers coups sur l’embrasure de la porte lui parvinrent. Syriana était donc de retour. Peu désireuse de réitérer l’expérience du lancer de dague dans la figure, elle prenait garde à ne pas le surprendre.

« Dire que j’aurais un problème en moins à gérer si je n’avais pas raté ce coup… » grommela-t-il.

  Syriana s’approcha d’un pas prudent. Enfin à sa hauteur, elle déposa l’étoffe humide sur son dos brûlé. Surpris, il ouvrit lentement les yeux.

— Où as-tu trouvé de l’eau ?

— Il y a un lac souterrain sous l’une des montagnes, pas très loin d’ici. C’est le passage que j’ai emprunté pour arriver.

— Il faudra donc condamner cet accès.

  Syriana assentit.

— Oui, c’est un problème, si vous souhaitez éviter les curieux de l’extérieur.

« Donc, cette région dispose au moins d’une source d’eau. C’est une bonne chose. Le problème reste sa position. »

  Il repensa au marchand peu scrupuleux qui l’avait vendu à ses tortionnaires. L’homme lui avait expliqué que les Monts de la Mort bénéficiaient d’une réputation sinistre, basée sur des superstitions très ancrées dans les mentalités. Il allait faire en sorte de les rendre vraies.

  Cela lui laisserait, il l’espérait, le temps nécessaire de se remettre de ses blessures et de maîtriser ce nouveau corps. Il devait aussi rendre ces lieux vivables à minima pour ne plus avoir à risquer sa vie au-delà des Monts pour ne pas mourir de faim. Il prendrait le temps d’accomplir toutes ces tâches afin d’être en mesure d’affronter ses ennemis. Pour le moment, il n’était pas en état d’encaisser d’autres attaques.

  D’abord, guérir. Pour le moment, il était beaucoup trop fiévreux et pouvait à peine bouger. La douleur qu’il encaissait en silence ne s’était pas amenuisée depuis la veille, tant sa blessure était grande et profonde.

  Il jeta un œil vers Syriana.

— Je ne crois pas aux hasards. Pourquoi fais-tu ça ?

  Il ne pouvait croire qu’elle agissait par simple bonté. Pas avec la manière avec laquelle elle avait tant insisté pour rester. Elle semblait vive d’esprit, car elle avait vu clair dans son jeu le jour de leur rencontre. Elle avait aussitôt su qu’il n’était pas au sommet de ses moyens et qu’il était poursuivi. La rencontrer au moment où il arrivait, surtout dans des lieux hostiles et déserts était un détail trop gros pour qu’il soit capable de l’ignorer.

  Il avait été à sa merci. Pourquoi ne l’avait-elle pas achevé pour devenir maîtresse de ces lieux ?

  Syriana se montra hésitante, puis une ombre passa sur son visage aux traits délicats.

— Vous n’êtes pas le seul à avoir des marques.

  Elle releva l’une de ses manches et Serymar aperçut une cicatrice brûlée, qui fut d’une forme précise autrefois.

« Une esclave ? Et de compagnie, en plus… »

  Il le devina aussitôt. Syriana avait une peau de porcelaine avec peu de défauts, le soleil n’avait pas buriné sa peau et ses mains n’étaient pas calleuses. Ses longs cheveux de soie n’étaient pas adaptés aux travaux physiques et son corps trop gracile pour avoir été taillé avec ce genre de tâches. Serymar avait une idée assez précise de ce qu’elle avait dû être obligée de faire… et cela l’écœurait. Un trophée. Un jouet de plaisir. Comme lui autrefois.

  Il soupira, las en songeant que cette époque était aussi barbare que celle qu’il avait vécue.

« Le monde deviendra-t-il plus civilisé un jour ? »

  De vieux souvenirs lui revinrent. Il repensa à Valkor et à son projet ambitieux de pacification des populations par le biais de l’éducation. Où en était-il ? L’apokearos empruntait un chemin long et ardu, mais faisable. Si une personne sur Weylor pouvait changer les mentalités, c’était lui. Serymar avait bien changé à son contact et l’en remerciait encore avec une profonde gratitude.

  Syriana laissa retomber sa manche.

— On m’a vendue comme animal de compagnie, au moment où tout me souriait. J’étais devenue femme de lettres et j’apprenais aux enfants pauvres à lire et écrire, j’aidais les gens à sortir de leur misérable condition. Mais c’était mal vu par les dirigeants de la ville qui imposaient leur tyrannie, car ils se sont rendus compte que plus les gens étaient éduqués, et moins ils devenaient manipulables.

« Donc, malgré-toi, tu leur faisais de l’ombre. Tu as donc été piégée dans un coup monté pour te déchoir. Ou alors, tu as été approchée par l’un de ces hommes et tu n’as pas cédé à sa menace, certainement sous-entendue. Dans tous les cas, ça a très mal fini, et de manière à insulter ton intelligence. »

  Il avait vu juste. Cette femme était vive d’esprit. Il avait donc raison de se méfier de sa présence.

— Et pour être tout à fait franche, j’ai…

  Elle hésita. Il lui laissa le temps. Elle baissa les yeux.

— J’ai été vendue à un autre tyran. J’ai dû commettre un crime pour m’échapper. J’ai agi par désespoir. Le problème est que cette personne était haut placée… je suis condamnée à mourir si je reviens là-bas.

  Serymar comprit mieux son attitude lors de son arrivée. Même si cela ne levait pas ses doutes. Elle ne disait pas tout, il en était certain, mais il s’en contenta pour le moment.

  Pour avoir connu ce genre de chose, il en avait appris les codes : il savait que Syriana ne mentait pas sur ce point. Ne pas avoir son mot à dire, ne pas être considérée comme une personne à part entière, il était bien placé pour savoir ce que c’était. Ses cicatrices ne cessaient de le lui rappeler. Il se surprit à regretter de ne pas avoir connu Syriana lorsqu’elle était une noble au sommet. Généreuse, forte, intelligente et sans peur de contrarier les plus puissants. Au vu de la manière dont elle lui avait tenu tête, il devinait qu’elle n’en avait pas été à son premier avertissement avant d’être déchue et menacée. Elle aurait pu soutenir et mener le bas-peuple à la révolte, et ses détracteurs l’avaient éliminée pour cette raison. Elle n’avait pas peur d’affronter plus fort qu’elle. Comme lui.

— J’ai décidé de te tolérer, révéla-t-il à bout de souffle. Mais quoi qu’il arrive, je déciderai de qui vivra et de qui mourra ici.

  Syriana ne cacha pas sa surprise.

— Pourquoi ce changement, si soudain ?

— Je ne te retiens pas. Pars, si ça te chante.

  La jeune femme secoua la tête avec un léger sourire qu’il ne comprit pas.

— Je vous remercie, sincèrement, lui fit-elle avant de reculer un peu.

  Serymar détourna le regard. Au moins, cela lui permettrait de la surveiller. Mais pourquoi le remerciait-elle ?

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