Chapitre 10 [F]

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100 ans plus tôt.

— Comment être sûre que vous ne me tuerez pas aussitôt ? demanda Syriana, hésitante.

  Elle se souvenait encore du lancer de dague qui avait tout juste manqué de lui transpercer le cerveau la veille.

— Je te tuerai seulement si je m’aperçois que tu cherches à m’avoir, grinça Serymar, de sale humeur.

  La douleur propagée par sa plaie ne faisait qu’empirer de jour en jour. Une souffrance si grande qu’elle obsédait ses pensées chaque seconde. Une sensation familière dont il se serait bien passé.

— Ce n’est pas dans mon intérêt, répliqua Syriana.

— Alors dépêche-toi ! lui ordonna-t-il sèchement.

  À son grand désarroi, elle se montra encore hésitante.

— Mais c’est atroce ! N’y a-t-il vraiment pas d’autres moyens ?

— Il n’y a plus rien ici d’adéquat depuis bien longtemps, fit-il en s’attachant un poignet à un meuble survivant.

  Dès qu’il aurait suffisamment récupéré, il devrait remédier à ce problème. Plus rien ne poussait dans ces plaines désertes depuis au moins une centaine d’années, il n’y avait même plus de quoi chasser. Serymar avait beau être capable de résister contre la faim pendant plusieurs jours d’affilées, cela ne signifiait pas qu’il en était immunisé.

  Cela lui coûtait, mais il devait admettre qu’il avait besoin d’une intervention d’urgence. Sa plaie ne se refermait pas, elle empirait d’heure en heure. Les technologies Avancées étaient aussi dangereuses que mystérieuses. Il se promit de les étudier pour ne plus se faire avoir. Si ses agresseurs n’avaient pas disposé de ces moyens poussés, il aurait pu s’en sortir sans blessures, et encore moins avec une plaie aussi grave.

  Il soupira.

— Ne tiens pas compte des conséquences. Fais-le sans hésiter, c’est tout, et ignore ce qui en découle.

— Facile à dire ! La douleur va être atroce ! gémit Syriana.

— Je suis habitué, j’ai eu pire. Alors musèle tes misérables sentiments d’humain et agis maintenant !

— Je n’aurai jamais la force de faire ça en vous empêchant de bouger en même temps.

  Il leva un poing juste sous son nez et ouvrit sa paume, découvrant un morceau de bandage déchiré. Il regarda la jeune femme d’un air entendu et d’une manière qui ne tolérait aucune contradiction. Il devait immobiliser son corps le plus possible, au risque de faire rater l’opération. Sa longue plaie recouvrait presque l’ensemble de son système nerveux à l’intérieur de sa colonne vertébrale. Il était conscient qu’il allait encore passer un sale moment.

  Syriana entreprit de l’aider à immobiliser son autre main, bien qu’elle gardât le visage fermé. Visiblement, ce genre de situation semblait beaucoup lui coûter.

— Dépêche-toi.

  Elle obtempéra et fit de son mieux pour mettre ses ressentis de côté. Elle sembla enfin prendre conscience qu’ils étaient plus gênants qu’autre chose dans cette situation.

  Sa besogne effectuée, Syriana se dirigea vers le petit feu de fortune qu’ils avaient créé avec les moyens du bord. Une épée trouvée dans un sous-sol y reposait. Serymar la sentit hésiter encore, mais elle raffermit sa volonté et le rejoignit avec la lame chauffée à blanc. Il se détourna et se prépara.

  Elle ne prévint pas et suivit ses conseils en y allant d’une manière franche. Un violent soubresaut secoua Serymar lorsque la lame se posa contre sa chair à nue. Des étoiles dansèrent devant ses yeux et une lourde fièvre lui vint. Son cœur sembla se paralyser pendant de longues secondes, l’empêchant de respirer.

  Syriana brûla une autre partie de sa plaie béante. Malgré toute la résistance qu’il put y mettre, son corps échappa à son contrôle, ses liens de fortune lui scièrent la chair alors que l’odeur de peau et de sang brûlés envahit la pièce.

  Serrant la mâchoire au point où il crût qu’elle allait céder, il maudit encore son existence. Il se surprit à souhaiter retourner dans sa prison comateuse. Il y avait certes été privé de tous ses sens et de sa vie, mais au moins, il n’avait plus souffert sur le plan physique.

  La lame brûlante se posa cette fois vers le milieu de la plaie, au-dessus de sa colonne vertébrale. Son corps sursauta de manière non coordonnée alors qu'un gémissement de douleur lui échappait. C’était comme s’il était dépossédé de son enveloppe physique, ce qui lui était perturbant.

  Une exclamation d’agonie lui échappa lorsque la lame se posa encore, alors qu’il sentait ce feu insupportable pénétrer toutes les couches de sa chair, à même ses muscles déchirés, et se propager jusque dans ses organes vitaux. Ce même feu remonta jusqu’à sa boîte crânienne, intensifiant la fièvre déjà présente. Il manqua de perdre connaissance de nouveau, mais lutta et se força à respirer afin de s’oxygéner. Il sentit son cœur défaillir et un autre malaise le menacer. Il ne s’en étonnait pas, avec la quantité de sang qu’il avait perdu depuis trois jours.

  Afin de contrer le malaise, il se colla comme il le put contre le mur, appréciant ce contact glacé en opposition à cette chaleur atroce à l’intérieur de ses membres fébriles. Sa conscience parvint à rester plus ou moins éveillée grâce à ce stratagème. Quitte à avoir mal lorsque la pierre toucha les parties encore béantes de sa blessure.

— J’ai fait le plus gros, répondit Syriana à sa question silencieuse. Il ne reste plus que la partie qui va vers votre hanche.

  Plus capable de parler, Serymar rassembla ce qui lui restait de volonté pour s’écarter du mur.

« Finis le travail. Au moins, ne fais pas durer cette torture. C’est tout ce que je te demande. »

  Syriana apposa encore la lame chauffée à blanc, lui arracha une autre exclamation de souffrance. Son corps se raidit avec tant de force qu’un lien céda. Serymar eut de justesse le réflexe de diriger son poing contre le mur et non sur Syriana. Son poing frappa le mur avec tant de force qu’il sentit ses phalanges craquer. Il accueillit cette douleur avec soulagement. Au moins, elle avait le mérite de détourner son esprit de sa plaie.

  Son souffle lui manqua, il haletait, respirait de manière saccadée. Le contact de l’air n’arrangea rien. Et cette maudite jambe qui commençait à le lâcher… Serymar s’appuya comme il le put au mur afin de de lutter pour rester debout. Hors de question de dévoiler cette faiblesse.

— Qu’est-ce que tu attends ?! gronda-t-il lorsqu’il s’aperçut de cette accalmie.

— Je suis désolée ! s’écria Syriana d’une voix tremblante, comme si elle se retenait de pleurer.

  Elle appliqua de nouveau la lame chaude sur la dernière partie de sa plaie béante. Serymar grimaça de douleur et enfonça ses griffes courtes dans sa chair afin de détourner sa propre attention.

  Le soulagement le saisit comme une puissante marée, alors qu’il avait conscience que son calvaire était loin d’être encore terminé. Au moins, sa plaie n’était plus infectée ou empoisonnée. Son système immunitaire reprendrait le relais, maintenant que son dos entier était cautérisé, même si ça prendrait un peu de temps.

  D’un geste fébrile, il acheva de se libérer. Son corps vacilla, il s’appuya aussitôt contre le mur, appréciant son contact glacé contre sa peau. Sa respiration restait encore laborieuse, son cœur battait encore anormalement vite, il avait froid et chaud en même temps. La froideur du mur lui arracha un léger soupir de soulagement.

  Il lutta pour rester encore debout, mais ses jambes ne semblaient plus capables de le porter. Il se promit de s’imposer une rééducation pour sa jambe gauche, dès qu’il aurait un peu récupéré, au moins pour atténuer le plus possible ce dysfonctionnement moteur. S’il avait beaucoup d’ennemis à abattre, il ne pouvait pas se permettre de subir ce genre de faiblesse physique sans prévenir.

  Il se rappela qu’il n’était pas seul.

— Tu… Tu n’as rien d’autre à faire ?! lui demanda-t-il sèchement, sans lui accorder un regard.

  Elle ne répondit rien. Syriana jeta l’arme qui rebondit plusieurs fois sur le sol dans un concert de sons métalliques, puis s’immobilisa enfin. Elle était presque aussi pâle que lui et ses mains tremblaient.

— Qu’êtes-vous, au juste ? osa-t-elle lui demander. Personne ne peut survivre à ce genre de chose. Seriez-vous un démon, comme ces maudits Clans ?

  Serymar fut à peine étonné par cette réflexion : les démons étaient connus pour leur formidable résistance physique. Ils étaient en revanche plus sensibles aux blessures magiques.

— Je… ne suis pas… un démon.

  Elle se tut. Il s’accrocha désespérément au mur pour ne pas s’écrouler d’épuisement. Ce fut le moment que choisit Syriana pour se rapprocher de lui. Et de poser une main sur son bras.

  Il la fusilla du regard, alors qu’une décharge glaciale remontait jusqu’à son épaule. Il la sentit hésiter pendant une seconde avant de le toiser avec sévérité.

— Vous savez, parfois, il est bon de risquer d’accorder sa confiance à quelqu’un.

  Il l’entendit à peine. Son esprit embrumé tournait en boucle sur une seule pensée obsédante.

— Retire ta main. Ne me touche pas. Éloigne-toi.

— Honnêtement, si quelqu’un doit bien se méfier ici, c’est moi, reprit-elle avec douceur. Même dans cet état, vous seriez capable de me tuer. J’ai vu la force de votre poing, tout à l’heure. Et le pire, c’est qu’il ne s’agit même pas de votre force entière. Je commence à comprendre pourquoi vos ennemis n’y sont pas allés de main morte avec vous.

— Retire ta main !

  Enfin, ce contact disparut. Il se sentit respirer, comme si un étau l’avait empêché de le faire. Un peu plus, et il cédait à cette pulsion défensive d’étrangler cette femme jusqu’à ce que mort s’ensuive. Enfin, ses capacités de réflexions revinrent.

— N’importe qui se serait écroulé pendant cette opération, reprit Syriana. Vous, vous êtes resté debout, malgré-tout. Mais vous n’en pouvez plus, vous êtes à un tel stade d’épuisement que vous ne réfléchissez plus correctement. À ne jamais faire confiance, vous ne vous reposez jamais, et vous en avez grand besoin. Alors pour une fois, cessez de lutter. Et accordez pour la première fois votre confiance à quelqu’un, même momentanément. Je ne vous ai pas trahi, jusqu’ici. Et si jamais c’est le cas, vous pourrez toujours mettre fin à ma vie.

  Elle parlait avec un tel calme, une telle résignation. La surprise s’empara de lui. Il la considéra d’un œil interrogateur.

— N’as-tu donc… pas peur de la mort ?

  Les yeux verts de Syriana se voilèrent.

— Oh, si. Mais ici, au moins, je pourrais le faire dignement et la tête haute. Pas comme un chien. Venez, s’il vous plaît. Il y a encore à faire sur cette blessure.

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