Chapitre 18

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— Ah ! Karel ! Quel soulagement de te revoir debout ! s’écria Whélos en apercevant le jeune homme arriver.

  Celui-ci lui répondit par un petit sourire, exprimant ainsi son soulagement de voir ses compagnons en forme. Il le fut d’autant plus en apercevant Aquilée, qui arborait une mine fatiguée. Elle se jeta dans ses bras.

— Karel ! Comment tu te sens ? Une attaque psychique, ça ne fait jamais du bien ! Je suis vraiment contente de voir que tu vas bien !

  Karel lui tapota gentiment l’épaule en se dégageant avec douceur. Il regrettait de ne pouvoir lui exprimer à quel point il était soulagé de la voir debout après l’attaque qu’elle avait subi. Il souhaitait aussi lui dire à quel point il avait été impressionné par le pouvoir draconique qu’elle avait déployé. Finalement, leur apprendre quelques signes comme l’avait proposé Lya ne serait pas une mauvaise idée.

  Whélos s’adressa à la jeune femme qui accompagnait Karel.

— Sincèrement, nous vous remercions de nous avoir sauvé, et guéri les blessures de mes compagnons. Merci. Pouvons-nous nous présenter ?

— Eleyra, répondit simplement la jeune femme. Ravie de vous connaître ! Bien que nous aurions tous souhaité le faire dans une situation disons… moins mouvementée. Si vous êtes remis, notre Cheffe apprécierait avoir un entretien avec vous tous. Il me semble que vous aviez une autre amie, d’ailleurs.

— Oui, confirma Aquilée. Elle n’était pas avec toi, Karel ? La dernière fois que je l’ai vue, elle refusait de quitter ton chevet.

  Karel ne put cacher son embarras. Il ignorait où Lya avait bien pu aller pour se calmer.

— Nous pouvons aller la chercher, si vous le souhaitez, proposa Eleyra.

  Karel refusa et commença à s’éloigner après un bref salut à chacun. Eleyra le regarda partir, étonnée.

— Ouh là… Ils ont encore dû se disputer, soupçonna Aquilée. Je pense qu’il souhaite la chercher pour parler seul à seule. Ils nous rejoindront après. De toute façon, j’imagine que la maison du Chef doit être facilement identifiable, non ?

— Oui, comme toutes les Tribus, confirma Eleyra. Très bien, attendons-les. J’avoue que je suis curieuse de connaître la raison de votre venue et la celle de votre présence ici, Fille de l’Air.

— Oh, je… Appelez-moi Aquilée, s’il vous plaît, je préfère. Nous vous expliquerons tout. Merci de nous avoir sauvé.

— C’est normal. Votre compagnon a des manières très étranges. Au lieu de me parler, il a dessiné le mot « amis » sur ma main, c’est là que j’ai compris ce qu’il voulait.

  Aquilée et Whélos échangèrent un regard amusé sous l’air incrédule de leur interlocutrice.

— Mh, réfléchit Whélos. Je pense que pour partir sur de bonnes bases, il va nous falloir clarifier quelques points. Surtout en vous ayant mis en danger face au Clan de l’Esprit. Laissez-nous donc vous expliquer certaines choses, afin d’éviter tout malentendu.




***




  Incapable de se renseigner auprès de qui que ce soit, Karel éprouvait des difficultés à retrouver Lya.

  Il refusait pourtant d’abandonner. Il tenait à se faire pardonner et à ne pas laisser ce malaise durer.

  La Tribu de l’Esprit semblait être composée de personnes en tout genre. Il y avait autant de combattants que de simples citoyens. La végétation était si épaisse et verdoyante qu’elle donnait une ambiance mystérieuse à ce village caché à moitié suspendu dans les arbres.

  Karel n’osait pas utiliser ses pouvoirs psychiques afin de retrouver sa sœur. Ces gens étaient capables de lire dans ses pensées, et il refusait de subir une autre intrusion comme à Winror. Surtout si le Mage surgissait encore de force de ses souvenirs. Le jeune homme regarda sa main gauche. Aucune pulsation, aucun sillon argenté.

  Karel réfléchit, ne voulant plus perdre son temps à déambuler au hasard dans les diverses allées du village. Où Lya appréciait-elle s’isoler chaque fois qu’elle avait besoin d’être seule ? À Var, il y avait une petite butte légèrement isolée où tous les deux avaient toujours apprécié s’y retrouver, souvent pour s’isoler du reste du village. Y avait-il un endroit similaire, ici ?

  Le jeune homme scruta les alentours. Il n’y avait que très peu d’endroits isolés de ce genre ici. Peut-être Lya était-elle dans un lieu animé où elle se serait mise à l’écart, regardant ce qui se passait de loin avec rêverie.

« Non. Quand elle est vraiment blessée, elle préfère rester seule. Elle a toujours détesté montrer sa peine à qui que ce soit et préfère les sourires de façade. »

  Comme elle le lui avait expliqué, il était devenu la seule personne en qui elle avait placé sa confiance pour avoir le courage de ne pas lui cacher son mal-être.

  Karel se souvint d’une capacité magique qu’il n’avait plus jamais osé utiliser depuis plusieurs années, celle qui autrefois lui permit de pénétrer dans le bureau scellé du Mage.

  Il s’agenouilla sur le sol, effleura de ses doigts l’une des nombreuses empruntes de pas marquant des feuilles écrasées ou des brindilles brisées. Il plaça sa main libre sur le manche de son épée dans son dos. Très vite, son pouvoir afflua dans ses veines et ses tempes bourdonnèrent.

  Sans surprise, il vit plusieurs paires de jambes frôler cette partie du village où il se trouvait, et Karel espéra y repérer Lya. Par chance, il reconnut une paire de bottes différentes des autres en ces lieux, et put ainsi voir dans quelle direction sa sœur était allée. Karel cessa d’utiliser sa magie, relâcha son épée, se releva et partit vers sa gauche.

  Il dût s’y reprendre deux fois, avant de la trouver. Au loin, en bordure de village, le regard perdu dans le vague, appuyée contre un pilotis sous l’ombre d’un petit pont branlant. Karel soupira. Il se sentait honteux. Il se gratta l’arrière du crâne alors qu’il se demandait comment désamorcer le conflit. Cette fois, il ne pourrait pas faire comme à chaque fois. Lya ne lui reprochait pas d’avoir agi, mais d’avoir considéré le fait de se sacrifier en pensant bien faire, alors que ce geste aurait achevé de détruire leur famille. Elle lui reprochait de préférer mourir pour eux plutôt que de se battre pour aller de l’avant.

  Karel inspira et se rapprocha sans chercher à dissimuler sa présence. Dès qu’une brindille craqua sous sa botte, sa sœur eut un léger mouvement, mais ne lui adressa pas un regard. Elle fixait ostensiblement l’horizon, les bras croisés. Karel se plaça exprès face à elle, et arbora une expression sérieuse.

« D’accord, tu es en colère, et tu as raison. Mais moi aussi, j’ai des choses à dire. »

— Karel, ça ne fonctionnera pas, cette fois, lui fit Lya. Je suis désolée, j’ai envie de te pardonner, comme à chaque fois, encore et encore, mais là, je n’y arrive plus. Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans « j’ai besoin de temps » ?

  Son frère laissa planer une seconde de silence avant d’exécuter quelques signes.

— « Je n’ai aucun problème avec ça, je respecte. »

  Lya le regarda d’un œil étonné et avec méfiance.

— Tu cherches à m’avoir par les sentiments. Laisse-moi.

  Karel nia d’un mouvement de tête, espérant qu’elle croirait en sa sincérité.

— Alors qu’est-ce qu’il y a ? De toute façon, tu veux toujours agir seul, alors pourquoi tu me sollicites encore ?

  Karel prit conscience des dégâts qu’il avait causé. Il comprit enfin la blessure profonde qu’il lui infligeait depuis des années sans en avoir conscience. Il prit quelques instants pour chercher ses mots et tendit ses mains vers elle, paumes vers le haut.

« Laisse-moi au moins te parler. Juste ça. S’il te plaît. »

— Tu ne vas pas essayer de…

  Karel répondit par un signe négatif de la tête. Il n’essaierait pas de la retourner d’une quelconque manière. Lya hésita encore une seconde. Elle connaissait ses manigances. Karel ne modifia pas sa position, indiquant qu’il était sincère.

« S’il te plaît. Peu importe ce que tu décideras après. J’accepterai. »

— Si jamais tu me mens et que je sens que tu me manipules, j’interromps le lien, c’est clair ?

  Karel assentit, bien qu’avec tristesse. Perdre la confiance de Lya lui était insupportable.

« Tout ce que tu voudras. »

  Lya posa ses mains sur les siennes. Karel s’introduit avec douceur dans son esprit. La peine de sa sœur le frappa de plein fouet. Sa tristesse l’écrasait, s’imposait à lui sans qu’il parvienne à s’en protéger. Si elle s’écoutait, elle pleurerait. Comme souvent, elle se contenait.

« Bon sang, mais qu’est-ce que j’ai fait… »

— Je t’entends, résonna la voix de Lya dans son esprit.

  Karel plongea son regard dans le sien.

— Lya, laisse-moi juste une chance de t’expliquer. Je suis sincèrement désolé de ne pas avoir compris plus tôt. Par la peur, j’ai brisé notre promesse à Sheyral, ta colère est légitime, et je la respecte. Prends le temps qu’il te faut. De mon côté, je te promets de faire de réels efforts pour mériter ton pardon. J’ai beaucoup réfléchi à tout ça, et tu as raison. Je te remercie de m’avoir ouvert les yeux : il n’y a rien de plus égoïste que de sacrifier sa vie lorsque nous avons des personnes qui nous aiment. Je suis vraiment désolé de t’avoir blessée.

  Les mains moites, il redoutait que Lya rompt tout contact avec lui. Elle ne le fit pas. Karel la regarda avec tristesse. Mais il avait compris une chose : continuer à cacher la vérité qui le rongeait serait pire que tout. Alors même si ça lui coûtait et lui demandait un courage qu’il n’avait pas, il décida de franchir le pas. Il devait affronter sa peur de la perdre après ce qu’il avait à lui révéler. De la blesser. Encore. Une larme roula sur sa joue.

— À l’avenir, je risque encore de faire des erreurs malgré cet engagement solennel. Je suis navré, mais c’est trop tard, Lya : je ne connais pas les codes, même après douze ans à vos côtés. Et même si j’ai acquis certaines choses, ce n’est pas naturel, chez moi. J’ai grandi avec une autre personne. Peu importe qui elle est, c’est elle qui m’a appris… disons, à sa manière, radicalement différente de la vôtre. Nous avons beau détester cette vérité, elle est là, et ça m’aiderait que tu l’acceptes enfin. Mais qu’importe. À cause de ça, je risque encore de te blesser, et je m’en excuse d’avance. J’espère seulement que tu sauras me corriger, pour que j’apprenne et ne reproduise plus ces erreurs. Tu en as assez fait pour moi pendant toutes ces années. Tu as assez subi. Maintenant, je vais tout faire pour devenir ce frère que tu mérites, Lya.

  Sur ces mots, il coupa la liaison et relâcha les mains de sa sœur, qui semblait paralysée. Une traînée de larmes sur ses joues sillonnait entre ses taches de rousseur. Karel ne releva pas et se contenta d’esquisser un léger sourire. Il posa une main chaleureuse sur son visage et essuya le coin de ses yeux marrons du pouce.

« Pardon… Je ferai tout pour ne plus te blesser. »

  Mais les habitudes étaient tenaces, dues aux douleurs du passé : Lya se renferma derrière son écran de fierté et s’écarta de son frère. Elle passa un revers de manche sur ses yeux.

— Ce… Ce n’est pas ce que tu crois, grommela-t-elle, sachant que son frère n’était pas dupe. Tu… Tu es un imbécile.

« Je sais. »

  Karel la reconnaissait mieux. Il lui indiqua qu’ils étaient tous attendus dans la cabane du chef du village avec leurs amis, et qu’ils feraient mieux de ne pas tarder.

— D… d’accord. J’arrive.

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