Chapitre 16 - 2[F]

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— Ne te joue pas de moi, Syriana ! la menaça-t-il. Je ne crois pas aux hasards ! J’ai beaucoup d’expérience sur la manière de trahir une personne pour l’amener à sa perte. Les Monts de la Mort sont beaucoup trop isolés pour que plusieurs personnes puissent s’y rendre précisément au même endroit et au même moment. D’où as-tu entendu parler de moi ?!

  Passé la surprise et la peur, Syriana trouva l’audace de le défier du regard.

— Votre réputation vous précède… N’importe qui peut entendre parler d’une personne capable de décimer un groupe entier de pillards à lui seul. Ça ne peut être que vous.

  La lame se pressa un peu plus contre sa gorge.

— Les Clans en sont capables. Tu as appris mon existence autrement. Qui es-tu ? Parle ou je te tue !

  La jeune femme le dévisagea avec un air entendu.

— Vous ne le pouvez pas.

  Elle sentit la poigne contre ses poignets se raidir. Elle avait vu juste. Syriana avait passé sa vie à analyser les gens pour mieux les aider à se trouver un avenir. Notamment ceux qui souffraient. S’il avait souhaité la tuer, il l’aurait déjà fait, à partir du moment où il avait pu se tenir à nouveau debout. Il était donc du genre à s’imposer un motif valable selon ses propres normes avant d’en arriver à une telle extrémité. Comme pour se différencier des autres. Il avait aussi admis qu’il la tuerait s’il fouillait sa mémoire. Cette hésitation déguisée ne faisait que confirmer l’analyse de Syriana.

— Je le pourrai, répliqua Serymar.

— Je vous l’ai dit, j’ai coupé tous mes liens avec les miens. Il n’y a rien de plus à dire, je peux vous l’assurer. Peu importe qui j’étais, désormais. Je suis née Sans-Pouvoir, et je peux vous certifier que lire dans mon regard sera sans risques pour vous, si vous hésitez à me torturer.

  Un autre silence accueillit cette réponse. Il se tenait encore au-dessus d’elle, la dague appuyée contre sa gorge. À son semi-soulagement, la pression s’allégea. Syriana avait mal à ses poignets, mais elle n’osait s’en plaindre. Elle préférait supporter la douleur que provoquer un autre accès de colère qui pourrait lui être fatal.

  La situation avait quelque chose d’étrange. Cette position, on la lui avait tant imposée après qu’elle fut vendue. Syriana avait été à des lieues de penser qu’elle pourrait revêtir d’autres significations. Étrangement, ce n’était pas cet être au-dessus d’elle qui dominait. C’était elle. Le fugitif sous pression constante de se faire capturer, c’était lui. Il avait les mains liées entre ses principes et les menaces sur sa personne.

  En cet instant, Syriana ne subissait aucune envie sadique mais les conséquences d’une personne cherchant désespérément à se protéger, à survivre dans un monde qui semblait vouloir sa disparition, au vu des effroyables blessures qui lui marquaient déjà le corps. Sa main gauche. Son bras droit. Son dos.

  De par ses observations, Syriana n’éprouvait aucune peur.

— Pourquoi ne pas m’avoir achevé quand tu le pouvais ? finit-il par lui demander.

— Parce que je suis bien incapable de survivre dans de telles conditions sans aide. Contrairement à vous. Vos blessures, aussi bien physiques qu’internes, en sont la preuve. Nous n’avons pas vécu la même histoire, mais dans le fond, c’est la même conclusion : nous sommes tous les deux condamnés à être pourchassés.

— J’ai mérité certaines choses qui me sont arrivées, contrairement à toi.

  Syriana continua à soutenir son regard.

— Peut-être. Qui suis-je pour juger ? Je parlais plutôt de celles que vous n’aviez pas mérité. On ne naît pas mauvais, on le devient.

— Je ne suis pas d’accord avec ça. Les elfes noirs sont mauvais de nature. Je ne regrette pas de les avoir massacrés.

— Qu’importe. Cela ne change rien dans les faits, répondit Syriana avec calme.

  Nouveau silence. Le Mage relâcha enfin la pression et se dégagea de Syriana. Elle lâcha un discret soupir de soulagement en se massant les poignets.

  Serymar se releva. Il lui désigna un plateau de fruits et quelques victuailles qu’elle n’avait pas remarqué jusqu’alors.

— Voilà de quoi reprendre des forces pour toi. Ensuite, nous ferons en sorte de rendre le château plus vivable.

— Avec quoi avez-vous payé tout ça ? s’étonna Syriana.

— Les gens de cet établissement me les ont donnés quand ils ont vu dans quel état tu étais. Contrairement à ce que tu disais, mon apparat actuel n’est pas dérangeant. Nous sommes dans la capitale de Weylor. On y voit… beaucoup de choses. Pour peu que l’on prenne le temps d’observer.

  Syriana assentit. Sa véritable apparence interpelait, car elle n’avait rien de commune avec une quelconque ethnie de Weylor.

— Dîtes-moi, demanda Syriana en se redressant à moitié. Serait-il possible que… vous m’appreniez la magie ?

— Non.

— Attendez, avant d’être aussi catégorique. Je sais parfaitement qu’en tant que Sans-Pouvoir, jamais je ne pourrai la manipuler. Mais en connaître le fonctionnement me serait utile pour survivre et ne plus être un poids pour vous. Nous serions gagnants dans les deux cas.

  Le Mage réfléchit. Syriana le sentait troublé et encore méfiant vis-à-vis d’elle. Il lui avait parlé de trahisons multiples, à tel point qu’il avait le sentiment de les connaître sous toutes leurs formes.

— C’est difficile, n’est-ce pas ? releva-t-elle en le fixant intensément de ses yeux verts. De se demander si nous pouvons faire confiance à quelqu’un. D’oser, en espérant ne pas se faire trahir plus tard.

  Il ne répondit rien, mais son regard restait glacial. Syriana ne se laissa pas impressionner.

— C’est aussi mon cas. Vous m’avez menacée plusieurs fois et manqué de me tuer. Pourtant, je surmonte cette barrière. Cette preuve ne vous suffit-elle pas ? Vous connaissez parfaitement la vraie solitude, celle où vous savez qu’aucune main ne se tendra vers vous en cas de problème. Celle où vous êtes conscient que personne ne sera là pour amortir votre chute lorsque vous basculez. Vous vivez dans un monde qui ne comprend pas vos actes, parce que leur surface est atroce.

  Il avait beau s’enfermer dans son mutisme, elle ne relâcha pas la pression.

— Vous tuez pour survivre. C’est atroce. Mais en surface. Qui a pris la peine de voir pourquoi vous l’avez fait ? Qui a pris la peine de prendre en considération ce que ce monstre me faisait subir le jour où je l’ai tué pour me protéger ? Nous sommes semblables en ce sens. C’est la principale raison pour laquelle je suis restée auprès de vous. Pour vous aider à guérir.

— Nous ne sommes en rien semblables.

— Vraiment ? Parce que vous allez me sortir que vous n’avez pas fait ça pour protéger votre vie, peut-être ?

  Son interlocuteur hésita.

— …en partie.

  Il détourna le regard, soupira.

— Récupère tes forces. Nous avons beaucoup de travail. Mieux vaut ne pas nous attarder ici, répondit-il en lui tournant le dos.

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