Chapitre 30

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  Le groupe se ravitailla en milieu de chemin. Leur prochaine étape consistait à traverser une énorme étendue de plaine, les obligeant à s’éloigner de la rivière.

  Lya et Karel étaient impatients de découvrir la ville portuaire de Pershkin. Ils n’avaient jamais vu une mer de leur vie. Karel en avait seulement entendu les sonorités de loin depuis sa petite tour dans les plaines des Monts de la Mort. Il n’avait jamais pu aller au-delà des montagnes. Son sombre et mystérieux gardien y avait toujours veillé.

— Attendez, intervint soudain Aquilée.

  Chacun l’interrogea du regard.

— Je crois que j’ai entendu quelque chose, leur répondit-elle. Je suis désolée, j’ai beau m’être entraînée avec Ashura, il va me falloir du temps pour m’habituer à ces nouvelles capacités.

— Aucun problème ! l’encouragea Lya. Prends le temps de t’y habituer !

  Whélos s’avança vers la jeune fille et posa une main sur son épaule.

— Fais ce que tu peux. Penses-tu être capable de nous décrire ce qui approche ?

  Aquilée opina. Elle se concentra, ferma les yeux un bref instant et appela une partie du pouvoir de Zmeï. Lorsqu’elle rouvrit ses yeux violets, ceux-ci avaient pris une allure plus bestiale, comme les membres d’un Clan. Elle se concentra, particulièrement sur son ouïe désormais surdéveloppée.

— Il y a un groupe d’hommes… majoritairement des Sans-Pouvoir, à première vue. Ils ont l’air tendus. Ils viennent dans notre direction.

— Parfait, dit Whélos. Maintenant, reviens vite à la normale. Qui sait, avec les tensions actuelles avec les Dragons, il vaudrait mieux ne pas trop attirer l’attention. La nouvelle a dû se répandre, et je suppose que les gens ont envie de découvrir qui est parvenu à libérer Zmeï.

  Chacun se composa une posture plus naturelle et Aquilée mit plusieurs secondes avant de revenir à la normale. Ils avancèrent comme si de rien n’était vers leur destination.

  Karel signa et laissa à Lya le soin de traduire. Elle était devenue sa voix de substitution depuis longtemps et il avait toute sa confiance pour traduire au plus juste ses pensées sans se les octroyer à elle-même.

— Aquilée, de quoi avait l’air ce groupe ?

  Lya dessina un cercle invisible autour de son visage afin de traduire l’expression utilisée dans sa question, afin d’apprendre le geste à leurs compagnons de route.

— Ils portent tous un uniforme.

— Donc, il ne s’agit pas de personnes fuyant le port à cause de Némésis, théorisa Whélos. Ils doivent être à la recherche de quelqu’un. Enfin, nous allons bientôt savoir ce qui s’est passé.

  Cinq personnes apparurent au loin. Ils continuèrent à marcher, jouant le rôle de voyageurs lambdas. Ce ne fut qu’au bout d’une dizaine de minutes que les deux groupes se croisèrent.

— Bonjour, voyageurs, fit celui qui semblait être le chef de patrouille. Pouvons-nous connaître votre destination ?

— Le port de Pershkin, répondit honnêtement Whélos.

— Je ne peux que vous déconseiller d’y aller pour l’instant, lui répondit l’homme. La mer est démontée depuis la malédiction, il est impossible d’y naviguer. Sauf si on est un membre de la Tribu de l’Eau, même si ça ne garantit rien… Personne ne prendra de risques pour vous emmener où que ce soit. Alors à part si vous connaissez un marin de cette Tribu, et encore, sous la condition qu’il accepte.

  Il soupira.

— C’est la panique, là-bas, ajouta-t-il en réajustant sa casquette d’officier. Entre le Dragon, cette épave que nous avons trouvée et ce marin disparu…

  Tout le groupe tiqua. Quel marin ? Quelle épave ?

— Nous avons voyagé longtemps. Nous avons besoin de repos, argumenta Whélos. Nous n’avons aucune raison de vous causer des problèmes. Nous avons seulement besoin de racheter des vivres avant de continuer notre voyage.

— On s’en doute, mais en ce moment, c’est vraiment tendu.

— Comme si nous avions besoin de gérer des gens dangereux en plus ! se plaignit l’un de ses compagnons. Comme si la malédiction ne suffisait pas !

— La ville n’a jamais été au plus mal. Par les Dragons…

« Des gens… dangereux ? »

  Karel tira discrètement sur la manche de sa sœur et dessina un triangle sur le dos de sa main, sans rien laisser paraître à leurs interlocuteurs.

— Il y aurait eu une attaque ? interrogea-t-elle. De quel peuple ?

— Un gang a élu résidence dans l’un de nos quartiers et répandent la terreur dans toute la ville, expliqua l’officier. Soi-disant, ils ne sont là que le temps de faire leurs sales affaires, et nous ne parvenons pas à les déloger.

— La situation est critique ! s’écria son collègue. Déjà, à cause de cette malédiction, presque aucun bateau ne vient, à part un vaisseau de la Tribu de l’Eau de temps à autre, heureusement qu’ils sont là !

  Karel en avait entendu parler. Les Tribus œuvraient beaucoup au fonctionnement du pays. Il savait, entre autres, que la Tribu du Vent assurait les correspondances de tous et la Tribu de l’Eau assurait le transport de marchandises et de voyageurs. Grâce à eux, les villes parvenaient à vivre malgré la malédiction.

— Vous êtes donc venus chercher de l’aide dans une autre ville, c’est ça ? questionna Whélos.

  L’officier en chef réajusta sa casquette.

— Si seulement. Nous avons entendu dire qu’un Sorcier de la Tribu de l’Eau se serait échoué dans les environs. Son vaisseau a été saccagé et le marin est porté disparu. Notre enquête a relevé qu’il a dû se faire capturer par les elfes noirs.

  La stupeur frappa le groupe.

— Nous n’avons aucun moyen de le sortir de là, avoua l’officier. Nos équipes en ville œuvrent pour recruter des personnes compétentes, encore faudrait-il en trouver. Je me permets donc de vous prévenir : éloignez-vous d’ici. Ces sauvages sont agités en ce moment. Et nous avons assez de travail sur les bras.

— Merci pour ces renseignements précieux, fit Whélos. Vous n’avez pas un métier facile. Nous vous souhaitons bien du courage.

  La patrouille les salua et reprit son chemin dans une ambiance tendue. Whélos mena les Sorciers à part en s’éloignant vers un bosquet hors de la route. Une fois à l’abri des oreilles et yeux indiscrets, ils se sondèrent.

— On ne peut pas abandonner ce marin en danger de mort ! s’insurgea Aquilée, les poings serrés. Toutes les Tribus sont alliées, je ne pourrai plus jamais me regarder en face si je n’essayais pas de le sauver !

— Je te comprends, mais comment comptes-tu t’y prendre ? lui demanda Whélos. As-tu les moyens ? Ne rêve pas. Je suis navré de me montrer aussi dur, mais je voudrai que tu regardes la réalité en face, pour ton propre bien : si tu es en incapacité de dominer ces monstres, alors il est inutile que tu te jettes dans la gueule du loup. Non-seulement tu ne le sauveras pas, mais tu nous mettrais tous en danger de mort. Es-tu certaine de vouloir ce poids sur la conscience ?

  Aquilée déglutit.

— Je comprends, mais… en même temps…

  Lya s’approcha d’elle et la prit par les épaules.

— Ce que Whélos veut te dire, c’est que nous sommes tous d’accord avec toi, mais que nous n’avons pas des bandits de grands chemins en face, là. Il nous faut un plan, et ne surtout pas foncer tête baissée. Sans compter que, de toute manière, nous avons besoin de lui pour nous emmener à Hydroshca. Uriel nous a trahi, et je doute qu’un autre marin de la Tribu de l’Eau ne soit disponible.

  Karel ne masqua pas son étonnement.

« Depuis quand es-tu devenue aussi pragmatique et opportuniste ? »

  Sentant son regard peser sur elle, Lya se tourna vers lui.

— Depuis que je te connais, mon cher frère, sourit-elle d’un air malicieux.

— Attends, vous usez de télépathie, là ? s’étonna Aquilée.

  Lya la relâcha.

— Non. Je n’en ai pas besoin. Nous savons tous les deux comment pense l’autre. Il m’arrive parfois de me tromper, mais c’est rare.

— Nous ne pouvons pas attendre que les autorités trouvent des personnes compétentes, affirma Whélos. Ça prendra trop de temps, et ce jeune homme n’en dispose pas. Je propose d’attendre au moins la nuit avant d’agir. Du peu que je sais de ces barbares, ils se rassemblent les nuits pour leurs rituels. Nous profiterons qu’ils soient concentrés sur leurs activités pour agir.

***

  Bien plus loin, perché sur un monticule de roche, des yeux scrutaient la scène. Sa longue cape de voyage flottait au vent. Uriel étira une expression satisfaite.

  Il avait fait en sorte que ces deux groupes puissent se croiser juste au bon moment. Lui qui avait informé les elfes de manière indirecte qu’un des navires de sa Tribu passerait. Il se demanda comment ils allaient s’en sortir… Il ne laisserait pas Phényxia et son Clan gagner.

— Le Maître ose attester que tu es plus fort que moi et capable de te sortir des situations périlleuses. Montre-moi donc ça, Karel.

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