Chapitre 31 - 1[F]

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100 ans plus tôt.

  Syriana fut tirée de son sommeil par une sensation désagréable, qu’elle fut incapable de définir. Lorsqu’elle se redressa de son lit, elle sursauta lorsqu’un bruit de tonnerre percuta les murs. Un pli soucieux se dessina sur son front lorsqu’elle regarda par la fenêtre dépourvue de vitre : il ne pleuvait pourtant pas.

  Les murs tremblèrent encore. Inquiète, Syriana se leva et sortit de sa chambre. Elle sursauta à la vue de volutes ténébreuses qui serpentaient au sol et s’écoulaient du moindre interstice des pierres brûlées qui constituaient les murs.

  Une ronce perça les pierres avec violence, lui arrachant un cri de frayeur.

« C’est lui. » comprit-elle.

  Inquiète, elle enjamba la racine. Une autre secousse la fit trébucher et Syriana bondit sur le côté lorsqu’un éclair percuta le sol. La jeune femme se redressa et courut dans le couloir.

  Une fois dans la petite tour, elle retira aussitôt sa main de la rampe comme si elle était faite de feu. Les murs se recouvrirent de givre et la température chuta de manière vertigineuse. Syriana se décomposa.

« Une perte de pouvoirs ! »

  Elle monta les marche quatre à quatre, esquivant de son mieux les stalagmites de glace qui envahirent les escaliers. Les marches derrière elle devinrent glissantes, et sans rambarde pour se soutenir, Syriana manqua de trébucher plusieurs fois encore. Elle devait sortir d’ici avant de se retrouver prisonnière de la tour.

  Une fois au sommet, une bourrasque de vent la poussa brutalement dans le couloir. Syriana se protégea le visage de ses bras juste avant de percuter le sol.

« J’arrive. » s’exhorta-t-elle.

  Un autre cri de frayeur lui échappa lorsqu’une racine sortant de nulle part la poussa sur le côté en s’enroulant autour de sa cheville. Syriana se débattit et déchira la racine, à temps juste avant que les flammes qui consumaient la plante ne l’atteignent.

  Les volutes ténébreuses s’intensifièrent, créant un brouillard sombre et épais. Syriana se guida grâce au mur, en priant pour ne pas être blessée. Tout ce pouvoir émanait de la porte de la pièce où s’était établi Serymar.

  Déterminée, Syriana poussa la porte et fut saisie du spectacle qui s’offrait à elle. Toute la chambre était envahie d’un brouillard noir, pris dans une tempête qui saccageait la pièce. Le sol était inondé, certains meubles déformés par des racines monstrueuses et le gel continuait à recouvrir les murs jusqu’au plafond. La glace s’épaississait de seconde en seconde.

  Syriana n’hésita pas et se précipita vers le lit de son hôte. Elle fut frappée de voir d’intenses sillons argentés parcourir sa peau de la tête aux pieds. Son visage était tordu par la douleur.

— Réveillez-vous !

  Prise dans la tempête, Syriana s’accrocha comme elle le put et ignora les frissons que le froid lui imposait. Elle constata avec inquiétude que la glace avait atteint deux mètres d’épaisseur. Bientôt, ils seraient tous les deux prisonniers de ce tombeau. Syriana vit avec effroi que la porte n’était plus accessible. Elle saisit Serymar par les épaules et le secoua.

— Réveillez-vous, je vous en prie !

  Des craquements sinistres lui firent comprendre que la pièce menaçait de s’effondrer.

— Par les Dragons ! jura-t-elle.

  Des doigts s’enroulèrent soudain autour de sa gorge et Syriana fut clouée sur le matelas. Elle se figea.

— C’est moi ! s’étrangla-t-elle. Ce n’est que moi !

  Fébrile, Syriana posa ses mains sur les poignets glacés du Mage, mais ne se débattit pas.

— Serymar, souffla-t-elle.

  La main sur sa gorge frémit. La tempête se calma, les ténèbres se dissipèrent, révélant le chaos engendré par cette perte de pouvoir. Syriana vit enfin son visage au-dessus du sien. Pâle comme la mort, ses yeux la scrutaient avec une surprise non feinte.

— C’est moi. Syriana.

  La respiration saccadée et irrégulière, Serymar la relâcha, fébrile. Détournant le regard, il recula afin de la libérer. Il n’eut pas besoin de regarder l’état de la chambre pour comprendre ce qui s’était passé.

— Je suis désolé, murmura-t-il.

  Syriana se redressa.

— Tout va bien, assura-t-elle. C’est terminé.

  Il ne répondit pas, concentré à retrouver ses esprits, bien qu’il semblait en éprouver des difficultés. Syriana l’observa. Il n’avait plus rien de la personne haute et droite qu’elle avait toujours connu, même lorsqu’il était blessé. Le haut de son corps était nu, dévoilant ses cicatrices impressionnantes. Elle se sentit mal au souvenir de sa résilience lorsqu’elle avait cautérisé celle dans son dos. Une blessure béante qui lui avait donnée la nausée. Celle de son bras donnait l’impression d’avoir été éventré.

  Le clair de lune s’infiltrait au travers de l’unique fenêtre ajourée. Enfin, les sillons argentés disparurent de manière progressive. Au moins, la douleur ne le torturait plus.

— Syriana… murmura-t-il d’une voix rauque.

— Je suis là.

— Je suis désolé, répéta-t-il. Ce n’était plus censé arriver.

  Il semblait sincèrement gêné. Leur dernière altercation était-elle la cause de ce débordement ?

— Ce n’est pas la première fois que ça vous arrive, n’est-ce pas ?

— C’est… c’est la première fois depuis mon réveil.

  Syriana sentit son cœur se serrer. Cent ans, scellé dans une dimension terrifiante, sans repères spatiotemporels, avec ses sombres souvenirs pour seule compagnie. Pendant un siècle. Sans aucun répit. La jeune femme se demandait comment Serymar faisait pour tenir encore et ne pas être totalement brisé. Elle comprit soudain.

— C’est pour ça que vous m’évitez. C’est pour ça que vous rejetez tout le monde. Pour ne pas que l’on vous voit ainsi. Pour ne blesser personne.

  Il ne répondit pas, mais son expression ne la trompa pas. Elle avait vu juste.

— Navré. Je ne voulais pas te réveiller. Ni te blesser, admit-il sans la regarder.

— Je n’ai rien.

  Enfin, ses yeux rencontrèrent les siens. Son expression reflétait l’épuisement moral qu’il subissait depuis des mois. Pour la première fois, Syriana le voyait sans sa façade.

— Qu’avez-vous vu ? s’enquit-elle d’une voix douce.

— Il est des souvenirs qu’il vaut mieux ne pas évoquer.

  Syriana laissa planer un silence. Elle posa une main sur sa main. Il ne se déroba pas.

— Très bien. Si jamais vous changez d’avis, sachez que je suis là. Tout ceci restera entre nous.

Lorsqu’elle descendit du lit, il saisit sa main.

— M… merci. De m’avoir sauvé.

  Syriana ne répondit, surprise. C’était la première fois qu’ils se parlaient d’une manière aussi sincère. Qu’il faisait enfin un pas vers elle. Une vague de bonheur l’envahit et elle voulut oser repousser ses barrières encore plus loin. Sans prévenir, elle se pencha vers son oreille et s’amusa de ses muscles qui se raidirent à son approche. Sa peau était encore gelée.

— De rien.

  Elle se redressa et enjamba les meubles renversés pour enfin atteindre la porte redevenue accessible. Elle lui sourit.

— J’emprunte la pièce d’à côté. Ma chambre n’est plus accessible pour le moment. À demain.



***


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