Chapitre 31 - 2[F]

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  Le lendemain, Syriana ne vit pas le Mage de la journée, comme s’il s’était volatilisé ou… l’évitait. Son cœur se serra à cette idée. Sa présence lui était devenue familière, surtout depuis cette altercation dans la taverne.

  Syriana effleura son poignet. Elle ressentait encore les doigts de Serymar enroulés dessus pour la retenir. Aurait-elle dû rester ? Elle n’avait pas osé. Elle connaissait son malaise sur la proximité. Se faire découvrir dans cet état avait dû lui être difficile. Pourtant, il l’avait remerciée d’être intervenue.

  Les heures défilèrent. Syriana s’impatientait. Elle se rendit compte qu’elle l’attendait. Ces derniers jours, elle était toujours dans l’attente de le voir. Depuis quand s’était-elle autant attachée à lui ?

« Peut-être que je l’ai sauvé parce que je comprenais ? »

  Syriana se crispa. Toute cette culpabilité qu’elle avait ressentie à l’égard du Mage… elle s’était convaincue qu’elle ne l’avait sauvé que pour lui exiger de partager ce toit sinistre et qu’il lui offrirait la meilleure des protections une fois rétabli. La jeune femme comprit qu’une raison plus profonde l’avait animée : elle s’était sentie révoltée que l’on puisse traiter qui que ce soit de cette manière. Comme ces nombreuses personnes envers qui elle avait tendu la main et poussé vers le haut. Sa souffrance et son désespoir lui avaient fait écho. Il lui avait inconsciemment rendu sa vocation profonde, ce que ses bourreaux lui avaient arrachée.

« Je t’en prie, apparais. »

  Seul le silence lui répondit. Syriana se sentit mal

« Je t’en prie… Aie confiance en moi. Je te vois autrement que toi-même ! »

  Elle se souvint de la gêne inscrit sur ses traits lorsqu’elle l’avait aidé à interrompre la perte de ses pouvoirs. Il s’était senti honteux de l’avoir étranglée dans un geste incontrôlé. D’avoir été vu dans cet état de faiblesse avec ses effroyables cicatrices, hébété et à moitié nu sur le lit au milieu de cette chambre ravagée par ses pouvoirs. Ses excuses répétées résonnaient encore dans la mémoire de Syriana. Pour la première fois depuis leur rencontre, elle l’avait découvert sans ses façades. La jeune femme se rendait compte qu’elle l’avait reconnu en lui ce qu’elle avait déjà deviné lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Cette personne-là, elle désirait la retrouver.

« Où es-tu ? »

  Le début d’après-midi s’annonçait. Syriana ne tint plus. Elle devait savoir et mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes. Au moment où elle repoussa sa chaise, un morceau de papier vola dans son sillage. Surprise, Syriana s’en saisit et fut surprise de ce qu’elle lut.

« Merci pour cette nuit. »

  Ses muscles se détendirent. Les raisons de sa distance n’étaient donc pas une question de malaise. Syriana se sentit d’autant plus torturée par son impatience. Pourquoi ne venait-il pas la voir pour le lui dire ?

  Syriana parcourut le château, étage par étage, pièce par pièce. Sa frustration grandissait à mesure qu’elle cherchait sans jamais le trouver.

  Au moment où elle allait laisser sa frustration s’exprimer, enfin, elle ressentit sa présence, aussi écrasante que les autres fois. Syriana sentit son cœur bondir et se tourna vivement vers lui.

  Lui. À plusieurs pas d’elle, adossé avec nonchalance contre le mur, les bras croisés et le regard dans le vide sans la voir.

  Elle le rejoignit. Il ne bougea pas. Sa soudaine apparition devait signifier qu’il voulait bien qu’elle vienne à lui. Armée de cette pensée, Syriana s’approcha davantage jusqu’à se retrouver à sa hauteur. Elle hésita. Que devait-elle faire ? Elle redoutait de commettre un geste qui pourrait le pousser à disparaître encore.

— Je… bredouilla-t-elle. Je suis heureuse de te…

  Il lui offrit une expression étonnée.

— Tu me tutoies, maintenant ?

— Ça dérange ? Je l’ai décidé depuis ce qui s’est passé à la taverne. Mais si c’est vraiment gênant, je peux très bien…

— Non ! Non. Au contraire.

  Syriana laissa planer un silence pour le laisser parler, mais rien ne vint. Elle nota la rapidité avec laquelle il avait réagi à sa réponse, comme s’il redoutait cette distance. Un sentiment d’apaisement l’envahit à cette idée et elle afficha un léger sourire.

— Très bien, le rassura-t-elle.

  Il replongea dans son mutisme et détourna le regard.

« Je t’en prie, parle-moi. Ne t’évanouis pas dans les airs encore, je ne le supporterai pas. Parle-moi. »

  Syriana se doutait à quel point ce moment lui était difficile après ce qu’ils avaient vécu ces derniers jours et la veille. Il semblait lutter contre lui-même, mais pour lui parler de ce qui le rendait si confus, il devait prendre le risque de lui faire confiance. Syriana était consciente qu’il se sentirait blessé si elle le décevait. Elle plongea son regard dans le sien.

« Viens à moi… Lis dans mes pensées s’il le faut, et tu verras que j’étais sincère, hier soir. »

  En lui attestant qu’elle était là pour lui au besoin. Syriana ignorait comment lui prouver sa bonne foi.

  Serymar lâcha un soupir. Syriana vit avec inquiétude sa mâchoire se crisper et une vague de colère et de déception l’envahir.

— J’ai tout fait pour devenir l’inverse de ces ordures qui m’ont élevé. Pourtant, quand je suis avec toi, je me sens… désorienté. Immonde.

  Ces derniers mots frappèrent Syriana avec violence. Comment pouvait-on avoir autant de dégoût envers soi-même ?

— Cette fois-là, à la taverne, j’ignore ce qui m’a pris, reprit-il, crispé. Quand tu as décidé de me suivre, je me suis senti… satisfait et soulagé. Quand cet homme t’a insultée devant moi, ça m’a mis en colère. Je voulais qu’il souffre autant que nous d’avoir été le jouet des autres. Voir plus. J’ai beau prendre du recul, le fait est que je ne regrette pas de l’avoir mutilé à vif en public. J’ai beau me dire que je n’aurais pas dû aller aussi loin, je n’en ressens que de la satisfaction pure.

  Syriana demeura silencieuse.

— Quand je t’ai tendu la main… Je voulais que tu viennes à moi. Je désirais ce simple geste de ta part comme un pur égoïste et le pire, c’est que je n’en ai éprouvé aucun remords. Je ne vaux pas mieux que ces ordures. J’ai beau me débattre, je suis comme eux.

  Syriana commençait à comprendre ce qui le tourmentait.

— Tu ferais mieux de partir, Syriana. Pour ton propre bien.

— Que… Quoi ? s’exclama-t-elle, abasourdie.

  Il la fixa avec colère.

— Tu as très bien entendu. Tu es en danger auprès de moi. Je suis comme eux, et c’est un des pires échecs de cette vie vide de sens qu’est la mienne.

  Frappée par de telles paroles, Syriana sentit ses yeux s’embuer. Serymar s’enferma aussitôt derrière sa façade de glace.

— C’est bien ce que je pensais. Tu as cru voir quelqu’un et je dois admettre que j’aimais. Mais de ce que je constate, ce n’était qu’une illusion, encore. Tu vois le monstre que je suis.

  La colère envahit Syriana.

— Il faut vraiment ne jamais avoir connu une once d’amour pour ne pas être capable de faire la différence entre un désir toxique et des sentiments sincères ! s’insurgea-t-elle avec virulence. C’est ça qui me rend malheureuse !

  Son expression passa de la colère à la stupeur. Syriana lui saisit aussitôt ses mains et il se figea. La tristesse l’envahit de voir qu’il redoutait encore le contact avec elle.

— Tu n’es pas comme eux.

  Son ton était ferme et elle soutenait son regard avec une lueur déterminée dans les yeux.

— Écoute-moi. Tout va bien. Ne t’en va pas, je t’en prie…

  Il se raidit. Ses mains étaient glacées. Syriana sentait qu’il luttait contre le réflexe de se retirer et d’imposer une distance raisonnable entre eux. Elle resserra sa prise et plongea son regard dans le sien.

— Tu n’es pas comme eux, répéta-t-elle avec douceur. Vraiment. Si tu l’étais, tu m’aurais prise sans chercher à comprendre. À chacune de nos altercations, tu aurais pu me tuer. Sauf que tu ne décides de le faire que s’il s’agit d’une raison valable à ton sens, même si la situation te met hors de toi. Pour moi, ce fait en dit déjà très long. Si tu étais comme eux, tu ne te serais pas embarrassé de cette excuse et tu ne chercherais pas des réponses auprès de moi. Tu n’aurais pas non-plus défendu mon honneur face à ces malfrats. Ni… ni tendu la main.

  Il se figea et chercha à se dérober. Elle l’en empêcha en resserrant davantage sa prise, redoutant qu’il ne s’évapore encore.

— Pourquoi t’accroches-tu à moi, Syriana ?

— Parce que je te vois tel que tu es vraiment derrière ces masques que tu arbores. Et je n’en ai pas peur.

  Chaque fois qu’il l’avait effrayée, elle était restée. Il s’était comporté en monstre plusieurs fois, mais Syriana ne s’était jamais enfuie. Elle lui avait fait face, car elle se doutait depuis longtemps pourquoi il était ainsi.

  Serymar sembla en prendre conscience. Il resta silencieux, mal à l’aise et perdu. Il détourna encore le regard et luttait contre son envie de se volatiliser. Syriana se rapprocha ostensiblement de lui et ignora ses doigts glacés se figer. Son odeur de cendre et de pin l’entêta.

— Je t’en prie… ne confonds pas les deux. Ça n’a rien avoir. Sors de ce cercle de haine auquel tu t’accroches par peur de te perdre. Cela te fait souffrir et tu le sais.

— Comment suis-je censé te faire confiance ? Qu’est-ce qui me garantit que…

  Syriana se rapprocha encore et planta ses yeux dans les siens. Il se raidit à son contact et la défia de rester ainsi, mais une fois encore, elle ignora sa menace. Ils étaient si proches qu’elle sentit leurs souffles se mêler, son odeur se faire plus présente. Il était si nerveux que Syriana avait l’impression de sentir son cœur battre contre elle. Il osait à peine respirer. Elle se jura de le guider sur ce chemin qui le tentait mais qu’il n’osait prendre. Elle ne voulait plus qu’il disparaisse. Elle voulait le tirer du gouffre dans lequel il était. Lui montrer qu’un autre avenir lui était possible. Lui prouver qu’il avait sa place. Son regard glissa vers ses lèvres pâles.

  Syriana se hissa soudain sur la pointe des pieds et scella ses lèvres sur les siennes. Elles étaient glacées. Alors qu’elle perçait sa barrière, elle le sentait paralysé et ne lui répondait pas. La désolation s’empara de Syriana à ce constat. Même si elle lui montrait son désir, il ignorait tout et redoutait de la toucher, par crainte d’être comparable à leurs bourreaux. Elle le sentait souffrir et se torturer à cette idée.

  Elle voulait pourtant qu’il la prenne et sentir ses doigts effleurer sa peau. Elle le désirait lui, le monstre que tout le monde voulait abattre. L’homme qu’on lui avait demandée d’achever.

  Dans une tentative désespérée de lui montrer à quel point il se trompait sur son propre compte, elle se dégagea pour le fixer, les mains posées sur lui.

— J’ai eu peur dans cette taverne, oui. Mais pas de toi. J’ai été terrifiée à l’idée que tu m’abandonnes au milieu de ces monstres. C’est ça qui m’a effrayée. Mais tu m’as tendue la main. Te voir là, dominant tous ces gens sans ciller, sans craindre d’aller jusqu’au bout de tes actes, redouté au milieu de tous… ça m’a impressionnée. J’aime ta différence. Peu de personnes sont capables d’assumer un mauvais rôle pour faire ce qui est nécessaire. J’admire ton sang-froid, j’aime ta franchise et ta manière d’appréhender le monde me fascine. J’aime être celle qui te voit tel que tu es derrière tes masques. À tes côtés, je me sens forte, capable de choses que je n’aurais jamais imaginées.

  D’un doigt, Syriana longea le bras droit de Serymar.

— J’admire tes blessures. Elles sont pour moi le symbole de ta force, celle qui te permet de toujours t’en sortir quoi qu’il arrive. Tu es de ceux qui avancent, envers et contre tout.

  Elle reprit sa main dans la sienne.

— Je te désire. Toi seul est digne de moi.

  À peine prononça-t-elle le dernier mot qu’il saisit soudain son visage pour l’embrasser, cette fois sans retenue. Elle le laissa pénétrer la barrière de ses lèvres alors que sa respiration s’accélérait. Son geste était à la fois doux et sauvage, tel le torrent qu’il avait contenu. Syriana l’accueillit pleinement, heureuse et fière d’être parvenue à faire céder le barrage. Elle lui rendit son baiser, un long frisson de plaisir longeant sa colonne vertébrale.

  Euphorique, elle porta les mains sur sa tunique sombre pour l’écarter. Il lui saisit les poignets.

— Je ne te savais pas si… entreprenante.

  Un rire la secoua et elle colla son front au sien.

— La façon dont tu cherches tes mots m’amuse. Mais tu n’as pas besoin de porter de masque avec moi. C’est toi que je cherche. Pas tes façades. Comment te sens-tu ?

— Déboussolé.

— C’est parce que tu réfléchis trop à tout et tout le temps sans répit, lui sourit Syriana. Ce doit être épuisant, à force. Et si tu arrêtais un peu ?

— Comment ?

  Syriana étira un large sourire enjôleur, amusée qu’il n’ait pas saisi son sous-entendu. Elle se retint de rire lorsqu’elle le vit comprendre après coup.

  Elle se lova dos contre lui en l’obligeant à l’entourer de ses bras et renversa sa tête contre son épaule. Elle huma son odeur et posa ses lèvres derrière le lobe de son oreille. Elle le sentit frissonner, mais sembla comprendre son message silencieux. Le sol se déroba à leurs pieds, les murs fondirent, alors qu’il les téléportait dans sa propre chambre.

***

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