Chapitre 24[F]

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100 ans plus tôt.

  Serymar s’avança vers Syriana. Ils avaient de nouveau changé de quartier. Il lui tendit un petit objet, en la forme d’une bourse de petite taille.

— Qu’est-ce que c’est ? lui demanda-t-elle.

— Ce qui permettra de rendre le château vivable à minima. Tout du moins, je l’espère… Je compte sur toi pour le proposer au plus offrant. Tu maîtrises mieux les mots que moi.

— Si vous voulez que j’accomplisse cet exploit, il va me falloir plus d’explications, lui répondit Syriana. Alors ? De quoi s’agit-il ?

— Un sort jetable.

— Pardon ?

— Je viens de l’inventer. Je l’ai réalisé avec le peu que tu as ramené ce matin.

  La jeune femme le regarda avec un mélange d’étonnement et d’admiration. Si elle s’était attendue à rencontrer une personne capable d’imaginer ce genre de concept…

— Comment avez-vous fait ? D’où vous est venue cette idée de magie utilisable par n’importe qui ? C’est complètement inédit !

— Peu importe, détourna Serymar en se dérobant de son regard.

— Allez, dites-moi !

  Serymar hésita pendant de longues secondes. Il lâcha un faible soupir.

— De toi. De nos histoires respectives.

  Syriana le regarda avec des yeux ronds.

— J’ai repensé à ton histoire, s’expliqua Serymar. Peut-être que ça n’aurait rien changé. Mais je me suis dit que si tu avais disposé d’un peu de magie au moment où ton tortionnaire s’en prenait à toi, peut-être que tu n’en serais pas là où tu en es aujourd’hui.

  Syriana lui sourit et saisit le sort entre ses doigts délicats.

— Et à quoi sert celui-ci ?

— Seulement à se téléporter d’un endroit à un autre sur une courte distance. Dans un rayon de trois kilomètres environ. De quoi mettre de la distance rapidement en cas d’agression.

  Syriana plongea ses yeux dans les siens.

— En effet. Un tel sort m’aurait peut-être sauvé la vie. Dommage que nous ne nous soyons pas rencontrés avant ce drame.

  Serymar se mura dans le silence. Ce qui s’était passé à l’auberge ne cessait de remuer dans son esprit. Lui qui ne supportait plus le moindre contact physique, il n’avait pas tremblé lorsque Syriana avait posé sa main dans la sienne.

— Oui… dommage, murmura-t-il pour lui-même après un long moment. Si j’avais su, j’aurais tué ce porc avant qu’il ne pose ses mains sur toi.

— Je vous demande pardon ?

— Rien d’intéressant, se ressaisit aussitôt Serymar.

  Il s’éloigna d’elle et réajusta sa cape de manière à se recouvrir la tête pour dissimuler son visage le plus possible.

— Nous avons perdu suffisamment de temps comme cela, ne tardons pas. Cette ville est étouffante.

— Merci.

  Il se figea. Syriana se permit une moue moqueuse.

— Ignorez-vous aussi ce que ce mot signifie ?

— Non. Je l’ai appris plus ou moins récemment avant de nous rencontrer. Je n’y suis juste pas habitué.

  Son ton s’était fait vague, alors qu’il repensait à Roan qui lui avait sauvé la vie. Ce geste ne serait pas vain.

  Serymar sentit le regard inquisiteur de Syriana dans son dos. Il se raidit. Pourquoi avait-il le sentiment qu’elle percevait la moindre de ses expressions même quand il lui tournait le dos ? Pourtant, il avait appris à ne plus être un livre ouvert, comme Valkor le lui avait appris. Comment pouvait-elle être capable de lire dans les pensées en étant une Sans-Pouvoir ?

— Pour tout à l’heure, reprit Syriana. Vous êtes bien la première personne à avoir défendu mon honneur. Je ne m’attendais pas à cette façon de faire, mais… il faut que je m’y fasse, vous êtes incapable d’agir comme un humain. Mais qu’importe. Je préfère voir l’intention derrière.

« Es-tu vraiment une Sans-Pouvoir, Syriana ? »

  Pourtant, il ne décelait aucune aura latente en elle. Il avait beau afficher des expressions neutres, cela ne la trompait pas. Cette faculté l’impressionnait autant qu’elle le mettait mal à l’aise.

  Serymar aurait souhaité trouver une excuse pour se réfugier derrière son masque de froideur habituel, mais il n’y parvenait pas.

— Disons… que bien que je sois très mal placé pour donner des leçons, ce genre de comportement primaire m’insupporte au plus haut point. J’estime que c’est à chacun, individuellement, de faire en sorte de mériter son propre statut de « personne ». Non l’inverse.

— Auriez-vous été un esclave aussi ? demanda Syriana. Pourtant, je n’ai vu aucune marque l’attestant sur votre corps.

  Serymar marqua un court instant de silence, prisonnier de vieux souvenirs. Ceux dans lesquels il découvrait encore ses pouvoirs. Des capacités bridées par ces chaînes atroces anti-magie. Il se souvenait encore de leur contact tantôt glacial, tantôt brûlant, à même sa peau et à l’intérieur de ses veines, lorsqu’il essayait de lutter contre. Avec un sort préparé comme il venait de fabriquer, peut-être aurait-il pu s’en sortir. Syriana n’avait pas été bien différente de lui à ce niveau. À la différence près qu’elle avait été au sommet avant de perdre le moindre de ses privilèges. Ces derniers dont Serymar avait dû en apprendre les concepts.

  Un esclave avait au moins un nom.

— Encore moins que ça, murmura-t-il pour lui-même.

  Sur ces mots, il s’éloigna d’elle afin de ne pas attirer l’attention. Il souhaitait surtout imposer une distance entre eux. La vivacité d’esprit de Syriana lui était dérangeante. Surtout quand elle l’obligeait à faire face à ses démons.

***

  Syriana rejoignit Serymar dans un autre gîte. Comme à chaque fois, il l’attendait dans la zone la plus à part de la pièce principale, dans l’ombre d’un coin, là où presque personne ne faisait attention en dehors du personnel.

  Elle prit place face à lui, un air pleinement satisfait sur le visage, et posa une bourse de cuir pleine. Serymar haussa un sourcil étonné. N’aurait-elle pas fait quelques poches, au passage ?

— Vous êtes impressionnant, lui fit Syriana. J’ai eu beaucoup de mal à m’éclipser !

— Je l’ai constaté.

— Mais cela en valait la peine ! Nous disposons de cinq cent pièces d’or !

  Serymar réagit à peine.

— Eh bien, cachez votre joie ! réagit Syriana avec une contrariée.

  Silence. Elle lâcha un léger soupir exaspéré.

— Est-ce… beaucoup ? demanda Serymar.

  Syriana le considéra avec un étonnement non feint.

— Vous vous moquez de moi, là…

— Je suis sérieux.

  Les doigts de Serymar se crispèrent. Il soupira, exaspéré. Encore une évolution qu’il avait raté durant son siècle d’absence. Combien de choses lui restait-il à rattraper ?

— Je n’ai pas été élevé dans une communauté civilisée, révéla-t-il. Contrairement à toi, il m’est plus naturel de vivre sous un ciel ouvert que sous un toit. Bien que l’expérience me tente, je l’admets.

— Quel rapport ?

  Autre expression agacée de la part de son interlocuteur, comme si pour lui, la réponse à cette question était plus qu’évidente.

— C’est la première fois de ma vie que je vois de près ces choses, admit-il. Je comprends seulement que cela remplace le troc auquel je suis habitué, à force d’observer les gens.

— Le troc disparaît de plus en plus depuis plusieurs années, rétorqua Syriana. D’où sortez-vous pour ne pas être au courant de ça, alors que vous m'avez déjà démontrée que vous êtes quelqu’un de très observateur ?

— Disons que la condamnation dont j’ai pu bénéficier a eu… quelques conséquences fâcheuses. Comme celle de ne pas avoir pu être témoin de certains changements majeurs dans les mœurs populaires.

  Le plus notable restait la malédiction des Dragons. La même qui avait fini par le libérer de sa prison.

— Seriez-vous encore amnésique ? demanda Syriana, intriguée.

— Plus depuis récemment.

  Syriana demeura silencieuse et retrouva son expression bienveillante. Celle qui donnait cet éclat si particulier à ses yeux émeraude.

— C’est juste énorme, comme somme. C’est même démesuré. Beaucoup m’ont demandée d’où je détenais un tel objet.

— Tu as parlé ? se méfia Serymar, tendu.

— Non, personne ne sait qui a inventé ce concept. Vous allez perdre votre monopole, c’est certain, si vous ne faites rien. Certains étudieront l’idée pour en créer d’autre et faire fortune. Cette chose que vous avez créée peut changer la vie des gens. Vous pourriez devenir plus riche que n’importe quel dirigeant de n’importe quelle ville.

— Riche ? s’étonna Serymar. Je pensais que la richesse revêtait une autre signification. C’est plutôt quelque chose de spirituel à mes yeux.

  Syriana lui offrit une expression amusée. Le Mage se demanda ce qu’il avait bien pu dire pour provoquer une telle réaction.

— C’est vrai, admit Syriana. Celle-ci est bien plus intéressante. Dans tous les cas, cet argent nous permettra d’obtenir de quoi survivre. Je voulais juste vous prévenir de ce que vous risquez de perdre.

— Je ne vois aucun intérêt à cette voie d’opulence que tu m’indiques, Syriana. Je ne comprends pas l’intérêt d’obtenir plus que ce dont j’ai besoin. Cela ne me fait rien que les Mortels reprennent cette idée, même si je ne m’y attendais pas. Je souhaite juste rendre l’habitat vivable à minima, le temps que mes ennemis m’oublient. Et si cette maigre contribution que sont ces sorts apportent quelque chose, comme sauver des vies et éviter d’autres drames… tant mieux.

  Syriana signifia qu’elle comprenait d’un léger mouvement de tête.

— Dans tous les cas, si ça a tant de valeur, ça ne va pas arranger nos affaires, analysa Serymar. Cela ne manquera pas de se faire remarquer. Il faudra donc le troquer dans des lieux différents, en minuscules quantités, et surtout de manière très espacée. C’est toi qui t’en chargeras. Tes connaissances sont plus abouties que les miennes à ce sujet.

— Tiens donc, vous ne me le reprochez pas ? s’étonna Syriana, ironique.

— Il s’agit d’une erreur de calcul de ma part. Je ne pensais pas que cela provoquerait un tel effet. J’assume simplement mon erreur.

— Je plaisantais…

  Serymar la sonda, cherchant à comprendre. Son attitude le perdait. Quel était encore ce concept ? Pourquoi avait-elle ce mélange d’exaspération et d’amusement dans le regard ? Qu’avait-il encore dit ? Il fut encore plus perplexe quand Syriana pouffa d’un rire discret.

  Il ne rajouta rien, ne souhaitant plus continuer la conversation. Cette femme se montrait beaucoup trop curieuse à son goût. Il préféra donc se taire pour ne pas donner à Syriana une autre occasion de lui poser des questions.

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