Chapitre 32 - 2

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  Karel bondit sur ses pieds et posa sa lame contre la gorge du fugitif, sur son épaule. Il resta derrière lui et effectua suffisamment de pression pour le dissuader d’attaquer, le regard chargé de colère.

« Pas deux fois. Fais la moindre égratignure à ma sœur et je n’hésiterai pas ! »

  Afin de bien se faire comprendre, Karel tourna son épée de manière à poser le tranchant contre la peau de l’inconnu. Ce dernier se raidit.

  Aquilée avait sa main suspendue en l’air et son anneau activé, retint son souffle : elle espérait être parvenue à étouffer les bruits de la lutte qui venait de se dérouler.

  Le fugitif s’immobilisa, le groupe aussi. Personne n’osait respirer. Si les elfes les repéraient, la situation serait bien pire. Ils se fixèrent tous droit dans les yeux, tendus, attentifs au moindre signe des indigènes.

  Chacun se fixait droit dans les yeux. Seul Whélos garda une expression.
— Ainsi, ils sont prêts à tout, persiffla le jeune homme à la boussole. Quel honneur, envoyer trois Sorciers et un Sans-Pouvoir pour m’arrêter !

  Lya ouvrit la bouche pour riposter mais Whélos lui intima d’un geste calme de la main de le laisser faire. Il fixa le jeune homme dans les yeux. Il estima la clameur des tambours suffisant pour couvrir leurs échos murmurés, d’autant plus avec Aquilée qui détournait le moindre son qu’ils pouvaient provoquer.

— Ne te méprends pas, nous ne sommes pas avec eux. Bien au contraire. Je pense qu’il serait pas mal que chacun d’entre vous reprenne une attitude plus civilisée. Allons, veuillez tous retirer vos mains de vos artéfacts, s’il vous plaît.

— Vous d’abord !

— Fort bien.

  D’un regard, Whélos indiqua aux Sorciers d’accéder à cette demande. Lya et Aquilée hésitèrent, mais Karel rangea aussitôt son artéfact, commençant à comprendre.

« Il a raison. Malgré l’attention d’Aquilée, nous affronter ici attirerait l’attention sur nous, et ce n’est dans l’intérêt de personne. Ce type le sait. Il ne se serait pas caché, autrement. »

  Dès que tout le monde abaissa son artéfact, le jeune homme abaissa sa main, mais resta méfiant.

— Qui êtes-vous ? interrogea-t-il.

— Des voyageurs qui ont désespérément besoin d’aide pour aller sur l’île d’Hydroshca, répondit Whélos en toute honnêteté.

  Le Sorcier de l’Eau ricana avec mépris.

— Ouais, donc, encore des pillards avides de pouvoir. Malheureusement, je n’aide pas ce genre de personne !

— C’est faux, argua Aquilée. Les Tribus sont alliées. Ma présence ne suffit-elle pas à prouver notre bonne foi ?

  Leur interlocuteur plissa les yeux et détailla la jeune fille. Les cheveux blonds au mauves, le visage rond, les oreillers pointues et les yeux violets, il ne put qu’attester de son appartenance à la Tribu du Vent.

— Si tu le dis. Ça n’empêche pas la trahison, gronda-t-il. L’un des nôtres l’a bien fait !

« Parlerait-il d’Uriel ? » se questionna Karel.

— De toute façon, même mon aide ne vous servirait à rien, reprit le marin. Mon navire a n’est plus en état de voyager.

— Nous ne sommes pas des pillards, insista Lya, ne tenant plus. Mais cette situation avec les Dragons ne peut plus durer non-plus !

— Nous avons déjà apaisé le Vénérable Zmeï, tenta Aquilée.

— Je ne vous crois pas. En deux cent ans, personne n’a jamais réussi à y faire quoi que ce soit. En plus, du peu que j’en sais, il paraît que la personne qui devait accomplir ce miracle est morte dès la naissance ! Alors ne me faites pas croire à des balivernes, merci.

— Je peux le prouver ! contra Aquilée.

— Pas ici, intervint Whélos. Cela pourrait attirer l’attention de nos chers elfes, qui pourraient nous voir si nous tardons trop ici. Nous pourrions te donner une preuve de ce que nous avançons. Mais une question me taraude… que fais-tu ici, toi ? Ce n’est pas ici que tu trouveras de quoi réparer ton bateau.

  Si le marin resta méfiant, il semblait enfin comprendre que ses interlocuteurs étaient de son côté.

— Malheureusement, j’aurai beau effectuer toutes les réparations possibles, mon navire ne bougera pas. Ces abrutis de fanatiques m’ont volé l’artéfact qui permet de le faire avancer. Sans ça, impossible de repartir.

  Le groupe comprit mieux pourquoi il avait pris autant de risques au lieu de s’enfuir plus loin.

— Et si nous t’aidions à retrouver cet objet ? proposa Whélos. À quoi ressemble-t-il ?

— À un orbe noir. Ils l’ont caché quelque part par ici, c’est sûr ! Et j’imagine que vous souhaitez que je vous emmène sur l’île en échange ?

— Cela serait fort aimable, oui. Nous pourrions te prouver notre bonne foi en cours de route. Mais pas ici. Occupons-nous d’abord de ton orbe. Cela te va ?

  Le jeune home hésita.

— Je n’ai pas le choix, de toute manière.

— Pourquoi s’en sont-ils pris à ton navire pour voler cet objet ? demanda Aquilée.

— Cet orbe est un objet que nous sommes les seuls à savoir fabriquer, expliqua le Sorcier de l’Eau. Dans les grandes lignes, il s’agit d’un procédé complexe mêlant magie et savoir Avancé. Cela demande plusieurs années pour en fabriquer un, car cet objet est fabriqué à partir d’une ressource que nous sommes les seuls capables de trouver. Et vu le potentiel de cette ressource, certains pensent que cela peut décupler leurs pouvoirs. Quant à ces idiots, je ne sais pas ce qu’ils croient à ce propos. Mais vu le genre de leur totem, qui jure complètement avec leur façon de vivre, j’imagine qu’ils en savent bien plus que ce que nous pensons.

  Il désigna le dos du totem mécanique du doigt.

— J’ai passé la soirée à observer. Je pense que mon orbe est là-dedans.

  Chacun suivit son regard.

— Je ne comprends pas, fit Lya. Il n’y a rien sur cette surface qui nous permettrait d’entrer dans cette horreur.

— C’est parce que vous ne connaissez rien à cette technologie, répondit le marin. Laissez-moi vous montrer.

  Le plus discrètement possible, ils sortirent du couvert des arbres. Ils prirent garde à rester dans l’ombre du totem et des arbres. Par chance, le totem était d’une taille démesurée.

  Enfin proches du mur, le marin tâta la paroi du totem d’une manière précise. Sa main s’arrêta sur une zone qui n’avait de particularité qu’à ses yeux.

— Serrure invisible, affirma-t-il. Le verrou doit se trouver quelque part par ici.
  Aussitôt, il chercha à sortir le poignard accroché à sa jambe, mais Karel intervint : ce genre de serrure, il connaissait. Dans son passé, il était parvenu à forcer celui qui scellait les cachots abandonnés.

  Karel projeta sa magie psychique vers le point indiqué par leur guide, parvenant à définir la forme véritable de la serrure. D’un simple mouvement de la main, il parvint à défaire le mécanisme comme s’il s’agissait d’une banalité par télékinésie.

  Aussitôt, la porte apparut et le groupe pénétra à l’intérieur. Le marin referma la porte derrière eux et leur fit face.

— Bien. Maintenant, nous pouvons parler sans trop de risques. Je ne vous fais pas confiance. Toi, fit-il en fixant Karel. Je n’ai pas rêvé, tu viens d’utiliser la magie sans artéfact. Vous n’êtes donc pas que des Sorciers ! C’est quand, le moment où vous allez me trahir pour me jeter en pâture à ces sauvages pour assurer votre survie ?

— Tu n’y es absolument pas ! protesta Lya.

  Le Sorcier de l’Eau prit un air mauvais en regardant Karel.

— T’es trop timide pour répondre tout seul ? Faut que ça soit une nana qui parle et réagisse à ta place ?

  Karel n’eut pas le temps de réagir qu’une gifle claqua sur la joue du marin et résonna autour d’eux. Comme à son habitude, Lya n’avait pas peur de confronter plus fort qu’elle. Le marin la dépassait d’une tête et demie et son corps athlétique indiquait qu’il la surpassait aisément sur la force physique.

— Aïe ! Par les Dragons, tu es complètement tarée, ma pauvre !

—Le seul taré d’entre nous, ici, c’est toi ! lui riposta Lya, irritée. C’est toi l’imbécile qui se jette dans la gueule du loup pour récupérer un truc magique ou je ne sais quoi au lieu de trouver une autre solution moins dangereuse ! Et qui en plus nous fait perdre du temps !
— Je ne vous ai rien demandé !

— Certes ! Mais tu pourrais au moins nous croire ! Si nous étions réellement à ta poursuite, tu penses que nous prendrions le risque de t’aider à récupérer ton trésor ? Non ! Nous sommes quatre contre un, il aurait été plus avantageux de t’immobiliser direct que de t’aider ! Je ne sais pas, c’était plutôt évident à deviner, non ?!

— N’empêche, pourquoi risquer justement votre vie pour moi ?

— Nous te l’avons dit, intervint Aquilée. Nous aussi, nous sommes coincés, et nous avons besoin d’aller sur Hydroshca. C’est une question de vie ou de mort. Nous ne te demandons pas de faire plus. Juste… juste ça.

— Ah oui, cette soi-disant histoire d’enrayer la malédiction de Némésis. J’ai failli oublier !

— Aquilée, chère enfant, je pense qu’une petite démonstration s’impose, suggéra Whélos.

  Karel jeta un regard inquiet à Whélos : était-ce réellement raisonnable ?

— Ne t’en fais pas, rassura Whélos. Tu viens d’utiliser ta magie et ils sont tant obnubilés par leur cérémonie sacrée de ce soir qu’ils ne semblent pas y avoir fait attention, aussi discret que tu te sois montré. Ensuite, la magie qui est implantée dans ces murs est un sort d’emprisonnement : il ne laisse passer aucune autre magie au travers.

  Il regarda le marin droit dans les yeux.

— Dis-moi, mon jeune ami, ne crois-tu pas que c’est plutôt nous qui avons plus à perdre, dans l’histoire ? Comment sais-tu que le cœur de ton navire est ici, à l’intérieur de ce monstre de métal vivant ? Qu’est-ce qui nous garantit que toi, tu ne nous mentirais pas, par exemple, mh ?

— Parce que je ne suis pas comme ça ! s’insurgea le concerné.

  Aquilée activa sa vision draconique. Inutile de sortir les ailes, l’espace était trop étroit. L’effet fut immédiat : la surprise se lut sur le visage de leur interlocuteur, tandis qu’Aquilée se dépêcha de redevenir normale. Le marin changea complètement d’attitude et se gratta l’arrière de la tête. Un geste qui semblait nerveux.

— Ah oui, donc vous êtes vraiment sérieux… C’est donc vous qui êtes à l’origine de la paix retrouvée sur la Forêt du Vent.

  Il marqua un court silence. Cette preuve était indéniable.

— Bon, d’accord.

  Il fit un pas dans le hall. Les murs étaient d’un blanc immaculé et toute la pièce était recouverte d’enchevêtrement de rouages, de pistons et de tuyaux en tout genre qui s’activaient comme des organes vivants.

— Je ne suis pas ingénieur et cette statue est trop complexe pour moi, mais mes connaissances en mécanique m’ont permis de comprendre un peu ce truc. Cette monstruosité a besoin de magie pour fonctionner, comme l’a vu le chercheur. Il dispose d’un système permettant d’avaler certains objets. Ces crétins pensent sûrement que cette statue mécanique est vivante, mais en réalité, le fonctionnement est assez similaire à nos inventions : un mélange de magie et de mécanique. La magie contenue dans l’orbe est ce qui alimente en énergie toute cette machinerie. C’est pour ça qu’ils me l’ont volé. Mon cas n’est pas isolé, d’autres de ma Tribu ont été victimes de ce genre d’attaque. Ils en sont morts.

— Tu n’as vraiment aucun moyen d’en fabriquer un autre ? questionna Aquilée.

— Non. Il nous faut des matériaux vraiment spécifiques, dont la plupart proviennent des contrées des Avancés. Je n’ai vraiment pas le temps d’entamer un tel voyage.

  La tristesse assombrit son visage.

— Un peu comme vous. Une question de vie ou de mort.

— Comment pouvons-nous t’aider ? s’enquit Whélos. Ne sait-on jamais, dis-nous ton problème.

— Ma mère est mourante, grimaça le marin. Je suis venu ici pour chercher un docteur et des médicaments, à la base. On dirait qu’il est écrit que ma quête sera vaine… La mer est devenue infranchissable avec la malédiction de Némésis !

— Je pourrai peut-être y faire quelque chose, lui assura Whélos. Tu me décriras ses symptômes plus tard, et si jamais c’est hors de mes compétences, crois-moi que je te trouverai quelqu’un. Mes voyages ont été très nombreux, j’ai croisé beaucoup de gens. Le temps nous est compté. Remettons donc cette discussion à plus tard et occupons-nous du plus urgent : allons récupérer le cœur de ton navire.

  Le Sorcier de l’Eau acquiesça. Alors qu’ils commençaient à avancer, Lya se rapprocha de lui.

— Au fait…

— Wil. Je m’appelle Wil. Ça sera plus simple. Dis, tu m’as fait mal, tout à l’heure, tu me dois des excuses, non ?

— D’accord… Eh bien, Wil, non, je ne m’excuserai pas car je n’ai aucune raison valable de le faire, répliqua Lya avec froideur. Si je te reprends à rabaisser mon frère, je te le ferai de nouveau regretter. Pour ta gouverne, sache que s’il ne t’a pas répondu, c’est tout simplement parce qu’il ne le peut pas. Et cela n’a absolument aucun rapport avec de l’hésitation ou autre chose dans le genre. S’il le voulait, mon frère aurait très bien pu t’envoyer valser avec ses pouvoirs.
— Ça n’existe pas, de telles personnes…

— Eh bien si, justement. Alors que je ne t’y reprenne plus. Sinon, je te cognerai jusqu’à ce que tu comprennes !

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