Chapitre 28[F]

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  100 ans plus tôt.




  Serymar apprécia le contact de la couverture du livre entre ses mains. Combien d’années n’avait-il plus eu l’occasion d’en toucher un ? Les tours des Dragons n’en disposaient pas. Cela faisait donc un peu plus d’un siècle qu’il n’avait plus eu l’occasion de lire une seule ligne. Aussi savourait-il ce luxe obtenu avec les échanges de Syriana à la capitale. Dans sa jeunesse, il avait passé des heures à éplucher les nombreux livres que Valkor lui amenait pour tuer le temps. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait bien, l’esprit plongé dans les lignes du volume entre ses mains. Il oubliait un tant soit peu sa situation. Il parvenait à occulter qu’il vivait dans une ruine où tout était délabré. Son histoire.

  Des pas le tirèrent de sa torpeur. Cette présence aussi, il l’avait presque oubliée l’espace de quelques instants.

— Eh bien ! J’ignorai que vous pouviez avoir autre chose qu’une expression sérieuse sur le visage, s’amusa Syriana.

  Serymar ne répondit pas et referma le livre. Le premier d’une longue série. Syriana déposa quelque chose sur la table sous ses yeux. Lorsqu’elle retira sa main délicate, Serymar aperçut un étui en cuir, parfait pour accrocher une arme. Il interrogea Syriana du regard.

— Un cadeau, lui expliqua-t-elle. Pour me tolérer et pour m’avoir protégée dans la capitale.

— Qu’est-ce que cela signifie ? se méfia Serymar.

  Ce genre de chose n’était jamais gratuit. Sa vie lui avait appris qu’une offrande était toujours issu d’un sacrifice, généralement le sien. Que lui voulait-elle ? Syriana le regarda droit dans les yeux.

— Rien de spécial. À part à briser la glace. Pour dire merci, surtout.

  Serymar resta silencieux et la sonda. Mais il ne parvenait pas à déceler les intentions de la jeune femme. Sa méfiance augmenta.

— Je n’ai aucune intention de vous nuire, reprit Syriana. Ce n’est pas grand-chose, juste une petite attention que j’espérais agréable.

— Pourquoi fais-tu ça ?

  Syriana le regarda avec tristesse.

— Désolée de ma maladresse… Mais si nous sommes voués à partager le même toit, j’apprécierai de vous connaître un peu plus.

  Serymar lui jeta un regard venimeux. Cette fois, il ne se ferait pas avoir. Il avait appris très tôt que si une personne s’intéressait à lui, ce n’était que pour des intentions néfastes.

— Apprendre à se connaître ne signifie pas toujours vouloir nuire à l’autre, soupira Syriana.

  Elle se tut face au silence et à l’expression de son interlocuteur. Il avait beau la regarder avec cette lueur assassine, elle n’en éprouvait aucune crainte. Elle planta ses yeux verts dans les siens.

— Décidément… Est-ce si difficile d’accepter de faire confiance à quelqu’un ?

— Ça n’est pas difficile. C’est dangereux. Il y a une différence claire entre les deux, répondit Serymar avec froideur.

  L’expression de Syriana se mua en une expression agacée, contrariée de se confronter à un mur. Serymar se leva et s’éloigna.

— Vous avez beau vous taire, votre corps parle à votre place. Vous êtes bien plus expressif que ce que vous pensez.

  Serymar s’arrêta et lui jeta un regard glacial.

— Tu n’es pas obligée de faire tout ça. Je ne veux rien de toi.

  Alors qu’un lourd silence tombait entre eux, Syriana le provoqua en s’approchant de lui. Serymar se raidit et soutint son regard.

— En fait, je crois que je sais quel est votre problème, déclara Syriana.

— Et qu’est-ce que tu crois savoir ?

  Syriana ne se démonta pas. Son expression devint assurée.

— Si vous êtes incapable de passer à autre chose, c’est parce que vous êtes perdu et seul. Vous n’avez rien d’autre sur quoi vous raccrocher. Vous n’avez appris que la haine et la violence. La loi du plus fort. Toute votre vie, vous n’avez fait que survivre à toutes ces tentatives de mort sur votre personne avant même que vous commettiez votre premier geste pour mériter autant de haine. Vous êtes incapable de me faire confiance parce que vous ne savez pas où cela va vous mener.

  Serymar lui jeta un regard chargé de colère. Il lutta contre son impatience et cette envie de l’étrangler. Syriana ne laissa encore moins impressionner.

— Vous êtes convaincu que je vous trahirai tôt ou tard. Vous avez peur de vous tromper de voie. Vous n’êtes qu’une âme errante qui ne sait pas pourquoi elle est venue au monde. Le seul but que l’on vous a donné, c’est de survivre. Vous redoutez qu’en me faisant confiance, vous n’ayez plus d’objectif à poursuivre. Alors vous vous raccrochez au seul dont vous disposez, à savoir cette vengeance ridicule contre vos ennemis.

  Il sentit son être se geler. Il ne parvenait qu’à soutenir son regard en se murant derrière sa colère en serrant les poings pour se retenir de l’envoyer contre le mur. Il n’était plus une bête sauvage. Et elle en profitait.

— Et pourquoi ferais-je ça ? lui jeta Serymar, glacial.

— Pour vous sentir vivant et avoir une raison d’exister. Mais vous vous mentez, car vous n’avez pas encore trouvé la force d’affronter cette réalité. À part ça, vous n’avez rien !

« Tais-toi… »

  Syriana lui offrit une expression entendue et plongea ses yeux dans les siens.

— Vous êtes convaincu que si vous perdez votre objectif actuel… Vous n’aurez plus aucune raison de vivre.

  Ils se toisèrent pendant de longues minutes. Aucun ne souhaitait baisser le regard le premier. La loi du plus fort, toujours. Serymar la regarda avec une lueur glaciale dans les yeux.

« Comment le sais-tu ? Comment ?! Tu n’as aucun pouvoir, tu ne peux pas lire dans les esprits ! »

  Syriana le provoqua avec un sourire.

— Je vous l’ai dit. Vous vous exprimez beaucoup plus que ce que vous croyez. « Il suffit d’observer ». Et je vous ai dit que je savais observer les gens.

  Serymar contint sa rage. Il voulait lui hurler dessus et lui faire définitivement peur. Mais ça serait stupide.

  Pourquoi ne parvenait-il pas à la dominer ? Ses griffes percèrent sa chair. Hors de question de céder à l’envie de la massacrer. S’il faisait ça, il ne vaudrait alors pas mieux que tous ses détracteurs. La loi du plus fort, oui. Mais pas n’importe comment. Syriana ne lui avait pas donné une raison valable de la tuer.

  Il se rendait compte à quel point l’art de la conversation n’était pas du tout son fort. Encore un point faible sur lequel il devrait remédier.

— Éloigne-toi de moi immédiatement. Et cesse donc de m’approcher sans que je te l’autorise, lui ordonna-t-il, glacial.

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