/!\ Chapitre 34 - 1 /!\

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  Les lieux étaient étrangement bruyants pour un monument désert. Karel n’avait jamais vu cela de sa vie, ni ses compagnons de route. Le couloir était étroit et bas de plafond, ce qui rendait l’ambiance encore plus oppressante. Les pièces étranges et dentelées autour d’eux bougeaient de manière régulière. Elles étaient de toutes tailles, s’emboîtant les unes dans les autres comme si elles étaient vivantes.

« C’est… glauque. » songea Karel, mal à l’aise.

  Tout cet amas de ferraille en mouvement leur donnait l’impression qu’ils se feraient dévorer s’ils avaient le malheur de trop s’en rapprocher.

  Après avoir marché sur plusieurs mètres, rythmé par ces cliquetis incessants, le groupe atteignit une pièce plus vaste et plus haute de plafond. À l’image du reste, murs, plafond et sol étaient encombrés de ces mêmes pièces de machinerie complexe.

— Par le puissant Zmeï, ça empeste ! s’écria Aquilée en portant les mains à sa bouche.

— Du sang, révéla Whélos.

  Tous échangèrent un regard et examinèrent les lieux avec une certaine appréhension. Le sol n’était, en effet, pas tout à fait blanc. La surface était à la fois rosée et argentée. Lorsque Karel releva son pied, un léger bruit spongieux se fit entendre. Cela n’était pas sans lui rappeler un certain couloir interdit qu’il avait visité durant son enfance. Il déglutit. Il refusait de s’imaginer ce qui avait bien pu se passer entre ces murs.

— Ça devrait être par ici, nous sommes derrière les dents, je crois, se reprit Wil.
— Pouvons-nous avoir une description plus détaillée de cet orbe ? questionna Whélos.

— Assez gros, plutôt de cette taille, mima Wil avec ses mains. De couleur sombre, serti dans un support minimaliste dans les tons rouges et mauves.

  Chacun se mit au travail en prenant des directions différentes dans la pièce.

— Ah, et au fait, cette partie s’ouvre, indiqua Wil en désignant le mur de dents métalliques. Surveillez bien les mouvements de la pièce. Si ça bouge, trouvons aussitôt de quoi nous cacher.

— C’est… perturbant, remarqua Aquilée avec une grimace.

— Merci pour l’avertissement, mais ne perdons pas plus de temps ! pressa Lya. Cet endroit est vraiment effrayant !

  Whélos observa la pièce. Il avait certes beaucoup voyagé, mais il n’était jamais allé jusque chez les Avancés. Le chercheur regretta ce manque de curiosité : il aurait ainsi peut-être pu être plus proactif dans ce genre de machinerie à laquelle il ne connaissait rien. La Tribu de l’Eau s’y connaissait certes, mais pas autant que les Avancés. Sinon, Wil aurait déjà retrouvé son précieux trésor et n’aurait pas pris le temps d’examiner ce faux totem.

  Whélos repéra une zone un peu en retrait, dissimulée derrière une large vitre.

« Décidément, tous ces éléments juraient avec la façon de vivre des elfes. » analysa-t-il. « Il y a quelque chose de louche, c’est sûr. À quel moment ont-ils été en contact avec les Avancés ? »

  Il se dirigea vers cet espace cloisonné. Une fois sur place, Whélos s’immobilisa et se fit attentif au son des tambours résonnant de l’extérieur. Il prit deux minutes pour en analyser la fréquence et, une fois sûr de lui, envoya un violent coup de son bâton de voyage dans la vitre. Le chercheur retira prudemment chaque morceau de verre de manière à éviter de se blesser, jusqu’à se faufiler à l’intérieur de l’espace sans se blesser.

  Une fois à l’intérieur, il aperçut un large bureau.

« Vraiment bizarre. »

  Ces lieux devaient renfermer un terrible secret. Cela avait peut-être un lien avec leur quête. Il devait absolument vérifier cette hypothèse.

  Whélos fouilla la pièce sans perte de temps. Ces lieux ne semblaient pas avoir servi depuis longtemps. Il examina tous les tiroirs possibles. Au début, il ne trouva que des objets mécaniques et des outils divers. Dans un autre, il trouva des schémas d’invention de torture dépassant les limites de l’imagination. Whélos les délaissa, dégoûté et ouvrit le dernier tiroir. Il y trouva une liasse de papiers où il aperçut les mots « Dragons Fondateurs ».

  Whélos plissa le regard, soupçonneux : pourquoi le rapport y était-il écrit en langue commune, et non en elfique ? Cela lui confirmait alors une chose : les elfes noirs cachaient quelque chose de terrible, en lien avec un groupe peu scrupuleux d’Avancés.

  Il n’avait pas le temps de s’y attarder. Whélos chercha un sort jetable précis dans son sac, posa le haut de son bâton sur le document et jeta une pincée du sortilège dessus. Le rapport disparut et Whélos récupéra son grand bâton de voyage qu’il dépoussiéra pour chasser toute trace du sort. Il étudierait ces documents plus tard, et rangea le sort jetable dans sa sacoche.

***

  Karel commença son examen du côté de ce mur qui semblait pouvoir s’ouvrir à tout moment sans prévenir. Il remarqua d’étranges sillons dans le sol agrémentés de rouages qui bougeaient au milieu de fils de plusieurs couleurs différentes. Les sillons dessinaient une sorte de labyrinthe complexe. Même si Karel se concentrait, il ne parvenait pas était à trouver un chemin cohérent. Dans tous les cas, ces sillons menaient dans différentes directions. Tous les chemins rejoignaient le centre de la vaste pièce, où se trouvait une grande plaque métallique ronde profondément attachée au sol. Une forme pouvant correspondre à l’objet que recherchait Wil, d’après sa description.

« Ou une personne. » frissonna-t-il.

  Karel s’accroupit devant. Aucune prise. Même avec ses pouvoirs, il ne pourrait pas la déplacer. La plaque était bien ancrée dans le sol par ce système qu’il peinait à comprendre.

« Mais tous ces fils ne sont pas là pour rien. Le mécanisme pour débloquer cette plaque doit se trouver quelque part. »

  Un picotement se propagea sur son bras. Ne tenant plus, Karel défit une partie du bandage pour soulager cette démangeaison agaçante, mais il eut la surprise d’y redécouvrir de fins sillons argentés. Comme à la Tour du Vent et à Winror.

« Non… Ne me dites pas que vous êtes allié à ces gens depuis tout ce temps… »

  Son angoisse revint. Karel avait l’impression qu’un poing lui broyait le cœur chaque fois que la réalité lui confirmait qu’il avait bel et bien été élevé par un être sanguinaire, et qu’il risquait de suivre la même voie. Karel se souvenait de ce couloir sordide avec les tables de torture et les cadavres. Notamment celui qui était à la fois démembré et mutilé au fond d’un cachot, dont les murs étaient recouverts de sang jusqu’au plafond.

  Karel se releva et décida de suivre une des directions que ses compagnons n’étudiaient pas encore. Il dirigea son bras vers eux. La lueur de son bras faiblit. Lorsqu’il dirigea sa main vers la zone qu’ils n’avaient pas encore inspecté, les sillons argentés redoublèrent d’intensité.

« Qu’est-ce que vous m’avez encore caché ? » se demanda-t-il, les dents serrées par la colère et la peine. « Quelles sont vos intentions ? »

  Karel prit la direction que lui indiquait la magie dans son bras. Les sillons remontèrent jusqu’à son coude.

  Il arriva dans un coin plus sombre, loin des objets qui émettaient de la lumière. Son bras le démangea de plus en plus et les lignes argentées atteignirent son épaule. Karel s’approcha d’un pas prudent. Le malaise grandit au creux de ses entrailles. Son instinct essayait de le prévenir de quelque chose. Il se figea d’effroi lorsqu’il se retrouva face à un cadavre attaché à une table ensanglantée avec des outils tranchants posés avec soin sur un autre meuble. La main sur la bouche et l’autre sur son cœur battant, Karel ne put s’empêcher de reculer d’un pas alors que son imagination s’emballait sur ce qu’avait pu subir ce cadavre à peine quelques heures plus tôt. L’odeur du sang lui attaqua les narines avec violence.

  Sa tête rougie par le sang pendait lamentablement contre son torse, prête à tomber si on ne lui tranchait pas la gorge. Un œil était exorbité, l’autre orbite vide. Son corps nu était percé de partout comme si de nombreux pieux l’avaient éventré. Ses chairs étaient explosées et son corps en parti brûlé.

  Réprimant la nausée, Karel se força à avancer, attentif aux réactions étranges de ces sillons argentés sur son bras. Tout pour se détourner de ce macabre spectacle. Même si se retrouver à moins d’un mètre d’un cadavre encore fumant lui était très perturbant. Cet œil exorbité lui rappelait le serviteur de Serymar qui avait trouvé la mort à ses pieds. Karel frissonna de terreur, alors que ce qu’il niait avec désespoir s’imposait à lui : il avait été élevé par un être sanguinaire qui l’avait élevé pour que Karel serve ses desseins.

  Karel tomba sur la paroi délimitant la pièce. Ce mur était dépourvu d’objets métalliques et de fils de couleurs. Des peintures de sang le recouvraient et une petite alcôve était dissimulée par un tissu sale.

  Karel voulut détourner son regard, mais un détail attira son attention. Tirant un bout de sa manche pour se couvrir le nez, il s’approcha et regarda les dessins avec plus d’attention. Peut-être que la solution à leur problème s’y trouvait. Il regarda de plus près les esquisses et la surprise le saisit. Les peintures représentaient les elfes torturant leurs victimes. Aucune n’était détaillée, sauf une, sur laquelle d’autres couleurs avaient été ajoutées. Karel refusait de savoir comment les elfes avaient obtenu ces autres couleurs.

  Le Sorcier fut frappé par l’expression de la victime peinte. Un adolescent à la peau cendrée et aux longs cheveux noirs. Le plus impressionnant restait son regard, trop adulte pour un adolescent. Karel se figea quand il se rendit compte que ces yeux, il les reconnaîtrait n’importe où. Les mêmes que ceux de Serymar.

  Son sang s’embrasa soudain et pulsa jusque dans ses oreilles, comme si quelque chose tentait de prendre le dessus sur sa personne. Les sillons d’argent longèrent sa gorge. Karel ressentit une colère terrible le posséder et la panique le gagna. Cette rancœur n’était pas la sienne.

« Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui m’arrive ? »

  Sa main sillonnée d’argent trembla alors qu’il luttait pour en garder le contrôle. Il n’y parvint pas. Karel inspira pour recouvrer un peu de sang-froid et décida de se laisser guider par cette étrange magie qui prenait possession de son corps. Sa main fébrile s’approcha du tissu sale. Karel hésita, redoutant ce qu’il pourrait y trouver derrière.

« Je me fais des idées. Cette cavité est parfaite pour dissimuler des objets aussi précieux que l’orbe de Wil. Je ne vais quand même pas y trouver des morceaux de cadavre… »

  Ces lieux le rendaient paranoïaque. Karel chercha à s’en convaincre. Il préférait se ranger dans cette case peu flatteuse qu’attester une réalité terrifiante. Et surtout, freiner son imagination morbide.

  Plus il approcha ses doigts du tissu sale et plus son sang palpita dans ses veines. D’un geste vif, Karel arracha le tissu. Les sillons d’argent s’intensifièrent de plus belle et un élan douloureux le paralysa. La même qu’il avait ressentie lorsque Serymar lui avait imposé cette transfusion sanguine. Karel découvrit avec horreur un large récipient comportant un liquide visqueux argenté qui brillait de concert avec les sillons de son bras. Son cœur s’accéléra et des vertiges le saisirent.

  Karel recula vivement et réprima un vif haut-le-cœur, choqué. Tout se mélangeait dans son esprit. Il avait du mal à faire le tri entre ses pensées raisonnées et celles provoquées par l’appréhension.

  Il ne connaissait qu’une seule personne sur Weylor qui disposait de ce sang étrange : celui qui lui avait tout appris autrefois. Du sang de Dragon.

« Qu’est-ce que ça veut dire ?! »

  Son sang battit encore plus fort et ses vertiges redoublèrent. Le monde tourna autour de lui, il flancha et l’odeur de sang s’intensifia de plus belle comme s’il s’y noyait.

Suite ===>

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