Chapitre 35

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  Karel émergea. Il pouvait à peine bouger. Pas étonnant lorsque l’on était ficelé à un poteau en plein centre d’une habitation rudimentaire.

— La situation ne pouvait pas être pire ! s’écria rageusement Wil.

— Je… Je suis désolée, répondit Aquilée, le regard sombre.

— Eh ! Ce n’est certainement pas de ta faute ! défendit Lya. Ça aurait pu fonctionner si ce type n’était pas intervenu ! Alors arrête de t’en vouloir !

— Il faut absolument que je rentre chez moi ! se lamenta le marin.

— Ce n’est pas en ressassant que nous allons nous en sortir, intervint Whélos. Je sais que la situation est très compliquée, mais ce n’est pas en nous laissant aller que ça va régler les choses. Nous semblons bénéficier d’un peu de répit. Profitons-en pour trouver une solution tous ensemble.

  Karel acheva de rassembler ses souvenirs. Il regrettait de ne pas être en mesure de participer à la conversation. Son sentiment d’isolement l’étouffa.

« Ceci dit, ce n’est pas comme si j’avais des idées… » relativisa-t-il.

— Ce peuple est plus dangereux que ce que l’on pense, reprit Whélos. J’en veux pour preuve leurs moyens Avancés. Ce totem renfermait un secret très dangereux, qui allait bien au-delà du plaisir à torturer des innocents. Je pense que cet homme à l’œil rouge qui nous a arrêté y est pour quelque chose.

— Comment peux-tu en être aussi sûr ? questionna Wil.

— Je vous promets que je vous donnerai des réponses. Mais pas ici. Je crains les oreilles indiscrètes. De toute façon, le savoir maintenant ne nous aidera pas à nous échapper.

  L’elfe gourou entra dans la hutte et leur jeta un regard mauvais.

— Je me disais bien que notre idole réagissait étrangement, hier soir. Vous avez osé la souiller. Vous mourrez tous.

  Il se plaça sur le côté et écarta le rideau de la hutte pour laisser entrer une autre personne. Karel et ses compagnons frissonnèrent. Le pas de cet être était lourd comme l’annonce d’une sentence prochaine. Il était si grand que son ombre les recouvrit tous. Ils se glacèrent lorsqu’ils aperçurent sa main droite artificielle, constituée de métaux dorés. L’homme porta les mains vers sa large capuche et se découvrit la tête.

  Karel aurait lâché le même gémissement d’effroi de ses compagnons s’il avait été doté d’une voix.

  L’homme aux cheveux blancs était d’un âge respectable, mais la lueur de son œil unique et glacial était vide du moindre sentiment. Un quart de son crâne était remplacé par une plaque de métal, maintenant un intense œil rouge sans pupille ni iris. Un œil sans âme qui les fixait comme s’il était capable d’absorber leurs âmes. Karel n’osait imaginer ce que cet homme cachait sous sa longue cape de voyage. Sa main mécanique lui donnait déjà une vague idée. Jamais, dans ses pires cauchemars, il n’aurait pu imaginer pareil individu. Son œil vide était perturbant.

  Karel frissonna davantage lorsque ce regard dénué d’âme se posa sur lui.

— Toi… Tu as un corps intéressant, dis-moi.

  Sans prévenir, il lui saisit rudement son bras tout juste guéri par sa main mécanique. Karel crispa la mâchoire de douleur. Les doigts de métal s’enfonçaient dans sa chair comme s’ils voulaient lui broyer le bras. Les bordures des pièces lui cisaillaient la peau sans cérémonie. La prise se resserra davantage. Karel se crispa et son souffle lui échappa.

« Il va me sectionner la main ! » s’affola-t-il.

  Il entendit à peine ses amis se révolter de ce traitement. La souffrance lui paralysait ses pensées.

— C’est bien ce que je pensais, siffla l’homme. Cette blessure est profonde et pourtant, tu n’en souffres pas comme tu le devrais. J’oserai même avancer que tu l’as eue récemment.

  Karel le toisa avec animosité. Il se méfia d’autant plus lorsqu’un mauvais sourire flotta sur les lèvres de l’étrange homme qui le relâcha.

— Il n’a donc pas disparu. Il est encore quelque part. Ce qu’il t’a donné m’appartient. Ce n’est pas quelque chose pour un gamin de ta trempe, crois-moi. Je ferais en sorte de le récupérer.

« Bon sang, mais de quoi est-ce qu’il parle ? »

— Où est-il ? lui demanda l’homme.

  Karel défia son regard.

« Faîtes ce que vous souhaitez de moi. Quoique vous me fassiez, je ne pourrai vous satisfaire, même si je connaissais votre réponse ! »

— Je vois. On joue les fortes têtes ? Comme c’est dommage. Il va falloir que je t’arrache les réponses par moi-même.

— Que comptez-vous faire ?! assena Lya pour gagner du temps.

  L’homme sortit une lame longue de sa manche et fixa Karel avec une lueur malsaine dans le regard. Karel sentit la pointe de la lame piquer sa gorge. Un seul geste et il mourrait. Son corps sursauta avec brusquerie lorsqu’une décharge électrique parcourut sa gorge sous les protestations de ses amis qu’il entendit à peine.

  Choqué, le souffle court, Karel jeta un regard haineux envers l’homme qui rétracta sa lame métallique.

— L’Enfant de la Prophétie, observa-t-il d’une voix sinistre. Il ne t’a donc pas tué.

  Un son non harmonieux. Un timbre oscillant entre son organique et métallique. Une voix à faire froid dans le dos.

— Toi aussi, les Dragons t’ont lésé. J’ai déjà conçu le moyen de te guérir. Je peux te donner une voix.

  Le choc paralysa Karel, envahi par le trouble. Si une part de lui-même lui hurlait de ne pas se laisser bercer par les paroles de leur interlocuteur, l’autre réveillait un espoir enfoui depuis plusieurs années au fin fond de son être. Une voix, rien qu’à lui. Enfin le moyen inespéré de s’extirper de sa prison spirituelle. Il ignorait comment ce prodige pouvait se réaliser, mais cet homme voyait au travers de son œil vide. Ses membres mécaniques fonctionnaient comme s’ils étaient faits de chairs. Il le croyait.

— Laissez mon frère tranquille ! gronda Lya d’un ton féroce.

— Tais-toi, pêcheresse ! hurla l’elfe en la giflant.

  Karel bougea avec rage, mais les liens étaient trop serrés. Il maudit ces disques de métal enfoncés dans sa chair. S’il avait pu utiliser la magie, il aurait certainement brisé les os de l’elfe. Lya serra les dents et darda un regard flamboyant vers son agresseur, le défiant de recommencer.

— Je vais te tuer la première ! s’écria l’elfe.

  La main de l’homme à l’œil rouge retint son sceptre d’une poigne ferme. Le gourou se débattit et lui répondit par une expression choquée.

— Œil-de-Sang ! Nous ne pouvons pas laisser ces profanateurs en vie plus longtemps ! Ils doivent payer pour ce qu’ils ont fait ! Voler la magie de notre totem vaut la peine de mort !

— Voler la magie ? explosa Wil. C’est vous qui m’avez attaqué et pillé ! Cet orbe m’appartient !

— Ces vermines méritent de payer, tempéra Œil-de-Sang. Mais ils sont liés à la Prophétie. Des mesures particulières s’imposent. À part le jeune homme de la mer, ils possèdent tous des dons draconiques. Des tests s’imposent. Le Chemin de la Mort sera parfait pour cette expérience.

— Ça s’annonce sympathique ! railla Wil, dépité.

  Œil-de-Sang l’ignora.

— Vous affronterez demain quelques-uns de nos guerriers au bout d’un chemin. Si vous mourrez, alors vous ne vaudrez rien. Si vous parvenez au sommet mais que vous perdez le combat, vos vies appartiendront à l’arme ultime.

— J’aimerai négocier certaines choses, dans ce cas, intervint Whélos. Si nous perdons, vous gagnez cinq vies à sacrifier. C’est quand même une belle compensation pour votre idole. Si nous gagnons, vous nous rendez l’orbe noir et nous laissez repartir librement sans nous poursuivre.

— Espèce de misérables ! fulmina le gourou.

— Vous êtes largement gagnants dans cette affaire ! tempêta Whélos avec colère. Nous ne connaissons pas votre terrain, ni les pièges que vous allez nous tendre ! Nous accorder la liberté et cet orbe n’est rien en comparaison !

  De rage, l’elfe voulut le frapper, mais son geste se suspendit à un centimètre du visage de Whélos.

— J’accepte ces conditions, intervint Œil-de-Sang, ferme.

  Le gourou le fixa avec incompréhension.

— On ne peut pas faire ça ! Ce jeune homme est la clé pour obtenir le Pouvoir Universel !

— Justement, répliqua Œil-de-Sang en fixant Karel. Demain, à l’aube, je verrai ce que vous valez.

  Il toisa Karel.

— J’ai passé plusieurs années pour confectionner ta future voix. Je veux être certain que tu le mérites.

  Il s’éloigna de son pas lent jusque vers l’entrée de la tenture.

— Demain, à l’aube. Si vous perdez, vous serez exécutés et l’Enfant de la Prophétie sacrifié à l’arme ultime.

  Il disparut. Le gourou jeta un regard empli de haine aux prisonniers avant de disparaître lui aussi. Chacun poussa un soupir de soulagement.

— Bon, au moins, nous avons peut-être une chance, fit Aquilée. Mais de quoi est-ce qu’ils parlaient ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Pouvoir Universel ? Quel lien cela a avec Karel ?

  Le concerné détourna le regard et fixa l’entrée de la hutte. Les regards pesaient sur lui. Une boule de frustration grandissait au creux de son ventre. Karel avait envie de craquer et serra la mâchoire. Trop de choses s’étaient déroulées, il était déboussolé, et ils étaient en danger de mort. Et son ancien mentor avait des liens avec ces monstres. Il n’en revenait pas de cette terrifiante découverte.

« Partout où je vais, il semble y avoir une trace de vous… pourquoi ? Qui est ce type qui en a après vous ? »

  Karel ne voyait pas Serymar se soumettre à qui que ce soit. Le dénommé Œil-de-Sang avait fait quelques allusions sur le fait qu’il lui appartenait. Ils étaient donc ennemis. Même si Karel redoutait Serymar, ce constat le soulagea un peu.

« Seraient-ce… ses souvenirs, que j’ai subi dans cette horreur de monstre mécanique ? Était-ce lui que j’ai entendu implorer de mourir ? C’est impossible… »

  Son cœur se serra. Toute cette souffrance qu’il avait ressentie lui était insupportable. Karel songeait que cette histoire de Prophétie semblait cacher quelque chose de plus vaste qu’une simple quête de sauvetage. Les Dragons n’avaient pas tout dit, probablement pour ne pas alerter leurs cibles. Ils devaient absolument en savoir plus. À condition de s’en sortir vivant.

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