Chapitre 36 - 1

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  Le corps engourdi par ses entraves, Karel en ressentit la souffrance jusque dans son sommeil. L’épuisement l’emporta, implacable. Au moins, son esprit devint plus silencieux.

  Il se retrouva dans une large zone vide. Peu à peu, cet espace prit des couleurs. Au fil des secondes, d’immenses plaines sombres apparurent, figées dans le temps. Karel se retrouva rapidement devant un grand arbre majestueux familier. L’herbe poussait à ses pieds et des pétales roses et blanches voletèrent, offrant un contraste saisissant avec les plaines sombres et infinies alentours. Karel perçut un mouvement non loin de lui et se figea.

  Un petit garçon exprimait son allégresse en faisant voler le tas de pétales à ses pieds, avant de partir et de disparaître dans la plaine. Nostalgique, Karel sur immédiatement où ce petit garçon allait. Son cœur se comprima.

« Non… C’est dangereux. Seuls des manipulateurs t’attendent, là-bas. »

  Les mots d’Œil-de-Sang résonnèrent dans son esprit. L’étau autour de son cœur se resserra, impitoyable. Karel regarda avec tristesse la direction que sa version enfant avait pris. Pourquoi un rire n’avait-il pu résonner dans les plaines, ce jour-là ?

« Une vie illusoire où ce handicap n’existait pas. Ou une vie réelle où il existe et dans lequel je n’ai pas ma place. Quel était le meilleur choix ? »

  Le jeune homme se demanda pourquoi il était là. Voilà de nombreuses années qu’il n’avait plus rêvé des lieux dans lesquels il avait grandi. Pourquoi maintenant ? La méfiance s’empara de son être. Avec toute la tension qu’il subissait depuis Sheyral, pourquoi ce rêve n’était-il pas plus agité que ça ? D’habitude, il dormait assez mal à cause de la quantité astronomique de pensées non exprimées qu’il accumulait. Les cauchemars étaient très récurrents depuis douze ans.

« Pourquoi tout est si calme, alors que l’angoisse m’étreint ? Nous sommes menacés de mort… »

  Karel sursauta en percevant une présence. Par réflexe, il posa la main sur son artéfact dans son dos, mais sa main se referma sur du vide. Comme il était dans un rêve, il se concentra pour l’imaginer. Rien ne vint.

— Par les Dragons… Qu’est-ce que tu as grandi ! gémit une voix émue. Tu es magnifique. Quel bonheur de te revoir !

  Karel se retourna vivement en direction de la voix et se figea de surprise. Devant lui se tenait la femme qui l’avait élevé avec Serymar. Elle le regardait avec une vive émotion, ses yeux verts étaient embués, elle semblait sur le point de s’effondrer. Karel ne bougea pas. Il ne savait pas comment se positionner. Il se trouvait dans un rêve contrôlé, exactement comme dans la forêt du vent. Sa méfiance et son angoisse augmentèrent alors qu’il devinait l’identité de l’auteur derrière ce prodige.

  Par réflexe, il recula d’un pas. Une ombre passa sur le visage de la femme qui baissa la tête. Elle aussi, lui avait menti. L’idée que ses sourires avaient aussi été faux le meurtrissait.

— Si tu savais comme je suis très sincèrement désolée pour ce que j’ai fait… même si cela ne rattrapera jamais ce qui a été. Ne t’en fais pas je… je comprends. Ce que tu ressens est tout à fait légitime.

  Karel se sentit étranglé par une peine qu’il avait refoulée pendant des années. Il savait qu’il n’aurait pu s’empêcher de pleurer dans la réalité. La femme releva la tête dans sa direction et le regarda avec tristesse.

— Normalement, ça devait être le Maître. Mais il savait que, même en songe, tu serais sourd et hostile à la moindre de ses paroles.

  La colère s’empara de son esprit déjà confus. C’était donc bien ce qu’il pensait. Une manipulation, d’un niveau de magie qu’il était extrêmement difficile de maîtriser. Encore. Il serra les poings.

— Peu importe.

  Elle fit un pas et le fixa avec intensité.

— Tu dois m’écouter, même si tu n’as aucune raison de le faire. Il en va de ta vie, Karel, et de celle de tes amis. Demain, les elfes vous défieront dans un parcours semé de dangers mortels. Ils feront tout pour vous empêcher d’arriver au bout. L’affrontement final se déroulement au sommet de leur mont sacré. Là… ils essaieront de vous tuer.

  Karel ne répondit rien. Que signifiait ce message ? Cela confirmait bel et bien que Serymar avait des liens avec les elfes noirs.

— Je n’ai pas beaucoup de temps, le sort ne tiendra pas très longtemps. Alors écoute-moi bien : ils vous laisseront choisir un chemin. Prenez celui de droite.

  Karel resta de marbre, ignorant comment réagir. Elle afficha une attitude hésitante et le remords assombrit à nouveau ses yeux émeraude.

— Karel, nous sommes dans un songe. Dans ton esprit. Je… Tu… Tu peux faire entendre tes pensées comme si tu parlais avec une vraie voix.

  Karel mit un moment avant de se décider. Il en avait assez de ressentir des choses contradictoires en même temps. Cela l’épuisait autant que ça le détruisait à petit feu, année après année. Dans le fond, il ne pouvait pas s’empêcher de ressentir de la colère. Tout ça ne changeait rien la déchirure qu’avait subi sa famille. Lya et ses parents restaient condamnés à vivre avec cette souffrance injuste. Karel ne se sentait pas encore prêt à pardonner. Encore moins avec tous ces non-dits et les manipulations de Serymar.

  Néanmoins, il avait rêvé ce moment toute sa vie. Pouvait-il vraiment parler ? Y arriverait-il seulement ? Karel n’avait jamais appris à former les mots autrement que par des signes et par des échos de pensées. Il ignorait comment manipuler les muscles de sa mâchoire pour ce faire, quels organes stimuler. Mais son interlocutrice avait dit qu’il pouvait faire entendre ses pensées. Alors il imagina sa pensée.

— À… quel point es-tu impliquée dans cette affaire ?

  Une voix résonna, chaude, apaisante. La surprise le figea et acheva de lui donner le vertige. Cette voix, c’était la sienne. Pour la première fois de sa vie, il l’entendait hors de son être malgré ses lèvres scellées. S’il n’était pas dans un songe, il en aurait pleuré d’émotions. Une voix. Sans contrepartie comme Œil-de-Sang lui avait imposé. Karel était presque tenté de demander à ne jamais quitter ce faux songe. Terminé, le monde où il était pointé du doigt. Il serait loin de tout ça. À nouveau.

  Il n’avait pu s’empêcher de parler par signes par pur réflexe, comme Lya.

« Non… Je ne peux pas l’abandonner. Pas encore. » culpabilisa-t-il. « Elle a encore besoin de moi. »

  La femme le regarda avec beaucoup d’émotions, une main sur le cœur. Des larmes ruisselèrent sur ses joues.

— Nous avons beau être dans un songe… Quel bonheur de pouvoir entendre le son de ta voix, Karel ! Elle est exactement comme je l’imaginais.

  Elle essuya ses larmes d’un revers de main.

— Pour te répondre… mon implication s’est limitée à prendre soin de toi, je peux te l’assurer. J’ignore ce qu’il te veut, Karel, je suis vraiment désolée. Je ne t’apprends rien en t’affirmant que Serymar est quelqu’un de très secret.

  Le décor commença à se brouiller. Karel fixa la femme d’un regard indéchiffrable, ne sachant pas comment se positionner par rapport à elle. S’il était en colère, la culpabilité l’étouffait. Était-il si immature ? Sa colère n’était-elle pas légitime, pourtant ?

— N’oublie pas, insista-t-elle d’un ton implorant. Choisissez le chemin de droite. C’est une question de vie ou de mort !

— …j’aimerai connaître le nom de celle qui s’est occupée de moi.

  La femme le regarda, saisie d’émotion.

— Elma. Je t’en supplie, Karel, pour cette fois, mets tes appréhensions de côté. Suis ce conseil. Il semble bien les connaître.

  Elle disparut en même temps que tout le reste. Karel se retrouva à nouveau dans la tourmente de ses pensées en pagaille.

***

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