Chapitre 40 - 2*

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  Le décor changea et elle se retrouva brutalement au niveau de la porte du bureau de Serymar. À la différence près que la pièce était vide et poussiéreuse. Il n’y avait que la longue table en bois rustique qu’il utilisait et deux chaises renversées qui avaient connu des jours meilleurs. Tout était recouvert d’une épaisse couche de poussière et de cendre, tel un tableau apocalyptique.

  Elma sursauta lorsqu’elle aperçut Serymar à quelques mètres d’elle : son regard agressif reflétait sans équivoque le désir de tuer la personne face à lui. Elle. Ou presque.

  La jeune femme trouva ce sentiment étrange. Était-ce donc ce que pouvait ressentir Serymar lorsqu’il pénétrait dans la mémoire des autres ?

« Il n’a pas l’air bien… » s’inquiéta-t-elle.

  Elma ressentit une méfiance qui ne lui appartenait pas. Elle comprit qu’elle vivait l’instant du point de vue de Syriana. Serymar l’attaqua. Syriana effectua un mouvement brusque en lâchant un cri de frayeur, pour échapper à la dague qui alla se planter dans l’encadrement de la porte, juste à l’endroit où elle se tenait une seconde plus tôt.

  Le cœur battant, Syriana rouvrit les yeux et le cœur d’Elma devint douloureux lorsqu’elle vit Serymar s’écrouler sur le sol, pris d’un violent malaise vagal. Il resta inerte, pâle comme la mort, baignant dans son sang qui s’étala sur le sol.

« Maître… » pleura Elma en pensées.

  La jeune femme souhaita lui porter secours, mais le corps dans lequel elle était resta figé. Elma se rappela qu’elle était dans un souvenir et qu’elle était incapable d’y interférer. Les sentiments de Syriana l’envahirent : crainte de se faire encore attaquer, hésitation. Ses sentiments se heurtèrent à ceux d’Elma et sa frustration grandit à l’idée de ne pouvoir venir en aide à son protecteur. Une peur l’envahit, bien à elle cette fois : elle redoutait de le voir mourir.

  Elma se vit bouger après de longues secondes. Les souvenirs de Syriana envahirent son esprit : le visage cruel de l’homme qui semblait l’avoir envoyée ici en la désignant comme étant sa sœur. Il la prenait par le bas du visage, enfonçait ses doigts dans sa mâchoire.

  « Tu le suivras et tu l’achèveras. Ne t’en fais pas, c’est tout à fait à ta portée. Tu nous signaleras ensuite votre position précise. Notre Maître te pardonnera et tu pourras retrouver ton ancienne vie… à condition que tu te tiennes tranquille, cette fois. Je ne pourrais pas rattraper tes absurdités une seconde fois, chère sœur. Il est plus que temps que tu te donnes à un homme pour te remettre dans le droit chemin, et enfin devenir une femme respectable ! Ta beauté est grande, il sera facile de te trouver quelqu’un. »

  Syriana ravala ses larmes de colère et de désespoir en se mordant la joue. Elle se gratta distraitement la brûlure sur son bras, dissimulé sous sa manche. Si elle retournait en arrière, elle se ferait tuer. Les mots de son frère n’étaient qu’une façade. Sans les Dragons, l’anarchie la plus obscure régnait. Elma en savait quelque chose, elle aussi.

  Enfin, Elma se vit approcher de Serymar. Les mains de Syriana lui arrachèrent sa cape sombre qu’elle jeta plus loin. Elle défit la partie supérieure de ses vêtements imbibés de sang et retira les bandages de du torse du blessé, dégorgeant de tant de sang qu’ils étaient désormais inutiles.

  Ses mains se tâchèrent de liquide poisseux et argenté, mais Syriana n’en eu cure. Elma eut un haut-le-cœur lorsqu’elle découvrit, en même temps que celle qu’elle habitait, la cause de l’état de Serymar : une immense blessure béante dans son dos, ouvert de son épaule droite jusqu’à sa hanche gauche. Le dégoût se mêla à la surprise : Elma aperçut avec horreur cette araignée mécanique que Syriana avait caché avec ses écrits. L’objet était fixé dans les lambeaux de muscles et s’activait grâce à son sang qui se faisait aspirer par les huit pattes.

  Elma aurait souhaité fermer les yeux. Elle ne le put. Dans ce souvenir, elle était à la place de Syriana. Elle revivait donc l’instant comme elle. Cette dernière ressentit une rage sourde à la vue de cette chose. Elle ne comprenait pas que l’on puisse créer de choses pareilles.

« Vous êtes comme moi. » entendit Elma dans son esprit. « Un objet. Esclave des caprices d’autrui. »

— Désolée… je risque d’approfondir encore cette blessure, s’excusa Syriana.

  Elle prit son courage à deux mains et arracha l’araignée avec toute la force dont elle était capable. Syriana pariait sur les capacités de régénération exceptionnelles du blessé, celles-là même que son frère et sa secte vantaient. Il n’aurait jamais pu arriver jusqu’ici, autrement.

  Syriana dût forcer, mais la famine ne l’aida pas. Elle puisa dans les tréfonds de sa volonté et parvint enfin à arracher l’objet infâme en gémissant d’effort. Des lésions supplémentaires s’ajoutèrent à celles déjà présentes. Syriana regarda avec dégoût l’araignée infâme et s’empressa de le dissimuler. Elle ignorait comment détruire un tel objet, et les conséquences que cela aurait si elle y touchait. Avec les Avancés, on ne savait jamais. Inutile d’être connaisseur pour deviner que cet objet n’avait rien à faire dans un corps de chair.

— Tenez-bon… qui que vous soyez, souffla-t-elle.

  Tout s’effaça et Elma réintégra brutalement son corps. À peine en eut-elle conscience qu’une violente nausée l’envahit. Elle se jeta par-dessus d’une bassine d’eau servant à la toilette dans laquelle elle rendit tous ses repas de la journée.

  Enfin, lorsqu’elle cessa de s’étouffer, ses jambes se dérobèrent et Elma se retrouva à même le sol, adossée contre son lit, haletante, tremblante. Elle se recroquevilla soudain et plaqua violemment ses mains sur ses lèvres pour s’empêcher de hurler. Durant de longues secondes, Elma lutta contre sa propre mémoire qui exprimait ce besoin intense d’extérioriser tout ce qu’elle venait de vivre et sa terreur.

« À quoi servait cette monstruosité ? »

  Dans tous les cas, cela prouvait que Syriana avait trahi ses geôliers.

  Elma jeta un regard de dégoût à l’araignée mécanique, bien plus propre que dans le souvenir. Serymar était-il au courant de son existence ?

« Probablement pas… »

  Elma n’osait imaginer sa souffrance lors de cette énième torture qu’il avait subie. La douleur devait être telle qu’il n’avait pu se rendre compte qu’on lui avait implanté cette chose effroyable. Elma frissonna lorsqu’elle réalisa la véritable signification des mots de Serymar.




« Comment pourrai-je utiliser des appareillages qui furent autrefois testés sur moi ? »




  Elma se sentit honteuse en se rendant compte de ce dont elle l’avait accusé ce jour-là sous le coup de la colère. Le verrou qu’il avait placé sur la porte menant aux anciens cachots, combiné au fait qu’il n’avait jamais réhabilité ces lieux sordides, étaient des faits plutôt clairs quant à son point de vue sur ces procédés barbares.

  Elma eut envie de détruire sur-le-champ l’araignée, mais lutta contre cette envie impulsive : si Syriana ne l’avait pas fait, ce devait bien être pour une bonne raison. Elle avait redouté un pouvoir de traçage ou de quelque chose dans le genre, qui pourrait se déclencher selon une action donnée. Ce qui expliquait certainement pourquoi Syriana avait été envoyée ici. Elma n’y voyait que cette logique.

  Avoir vécu le souvenir comme si elle était à la place de Syriana confirmait les dires de Serymar : Elma lui était bel et bien reliée. La jeune femme se doutait que ce lien devait aller plus loin qu’une simple ressemblance physique troublante et certains traits de caractère. Ces caractéristiques n’en étaient que les conséquences.

  Un détail sur le corps de l’araignée attira l’attention d’Elma. Un symbole y était gravé, composé d’un crâne hideux couronné d’ailes de dragon.

  L’araignée semblait parfaitement inactive désormais. Elma frissonna.

— Dois-je… lui dire la vérité ?

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