Chapitre 42

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  Après s’être rhabillé, Karel sortit de la pièce et se retrouva dans ce qui devait être la pièce centrale du navire. Il se figea, impressionné par tant de machinerie. En dehors de cette horreur de totem, c’était la première fois qu’il voyait une machinerie Avancée.

  La pièce était longue et desservait deux autres portes en plus de celle d’où il venait, sur laquelle il était appuyé. Du sol au plafond, de nombreux éléments mécaniques figés. Karel se rapprocha du fond de la pièce : une machine étrange s’y trouvait, scindée en deux parties : une descendant du plafond, l’autre se dressant à partir du sol, comme une sorte de piéddestal. Au milieu, un espace, semblant destiné à y accueillir quelque chose. Juste derrière, encore de nombreux rouages et chaînes dans un mélange complexe que Karel était incapable de comprendre, à part que cette cavité avait l’air profonde et peut-être même dangereuse pour qui y tomberait. En attestait la présence d’un garde-fou en fer forgé qui en barrait l’accès.

  Pourtant, des jambes dépassaient du dessous de cet amas métallique, là où une partie du garde-fou était ouverte. Wil. Ce dernier s’extirpa et se releva.

— Ah, ça y est, enfin debout ? s’enquit-il. Comment tu te sens ?

  Karel ne sut comment réagir. Wil capta son malaise et se gratta l’arrière de la tête.

— Je suis vraiment désolé pour mon mauvais comportement à ton égard. J’étais paniqué, énervé, et… désespéré. Je t’assure que je ne suis pas comme ça, normalement. Je sais que ça ne justifie pas cet acharnement, mais, euh… excuse-moi. C’était vraiment indigne de ma part. Pardon.

  Il lui tendit la main. Karel esquissa un léger sourire et répondit à son geste.

— Vous avez beaucoup fait pour moi, déjà, reprit Wil en le relâchant. Mais je suis vraiment désolé, ma situation est urgente. Une fois que mes affaires seront réglées, je vous le promets, je vous emmènerai où vous voulez.

  Karel essaya de lui faire signe que ce n’était rien, que c’était normal. Il se ravisa. Wil ne pouvait pas encore le comprendre.

— Au fait… Vu l’état de la mer, nous ne pouvons pas partir comme ça. Il faut effectuer des réparations. Heureusement, j’ai échoué proche du port de Pershkin, nous avons donc pu trouver quelques pièces de rechange. C’est Whélos qui a tout payé.

  Wil aperçut l’expression étonnée de Karel.

— Ouais, moi aussi, j’ai été surpris qu’il possède autant d’argent… quand on lui a posé la question, il nous a parlé d’un ancien poste en tant qu’assistant du Messager des Dragons, il y a un peu plus de vingt ans, un truc comme ça, et qu’il était, à ce qui paraît, très bien payé. En tout cas, je comprends mieux comment il parvient à obtenir les sorts jetables les plus compliqués à fabriquer, et du coup, les plus chers ! Vu qu’il s’est fait fouiller par les elfes, je pense qu’il nous cache encore d’autres surprises, ce vieux renard.

  Karel fit signe qu’il avait compris l’histoire. Wil perçut son malaise.

— Tu sais, je ne connais peut-être pas, encore, la langue des signes que tu utilises, mais n’oublie pas d’où je suis originaire. Je suis marin, et dans ce milieu, nous utilisons aussi des signes pour communiquer. Ils sont peut-être un peu différents des tiens, mais tu peux essayer, peut-être que je comprendrais. Tu me d… euh, me montreras ?

  Un court silence suspendit leur conversation. Karel fut surpris de voir Wil passer de la gêne à une expression espiègle et lui donna un petit coup dans l’épaule.

— Quelle idée, aussi, de naître muet, franchement ! Avoue, tu l’as fait exprès pour nous compliquer la vie ?

« Si seulement. » songea Karel avec un faible sourire.

  Il n’avait pas la tête à plaisanter en ce moment, mais appréciait la tentative.

— Les filles sont là-haut, si tu veux aller les rassurer, indiqua Wil. Et si tu es en état, un coup de main ne sera pas de trop !

  Karel assentit. Wil forma un cercle avec son pouce et son index et leva les autres doigts en l’air.

— Chez moi, on utilise ce signe pour dire que « tout va bien », ou répondre à l’affirmative sous l’eau.

  Karel l’imita et effectua une rotation vers le bas de son poignet.

— Eh, mais c’est presque pareil ! s’écria Wil avec enthousiasme. C’est génial, ça ! Nous pourrons peut-être nous comprendre, finalement !

« Merci, Wil. »

  Karel le laissa retourner à son travail et avisa l’échelle métallique qui semblait mener au dehors. Il l’escalada et se retrouva sur le pont, long d’au moins quinze mètres et plutôt large. Le jeune homme se demanda comment Wil avait pu conduire un engin de cette taille.

  Au milieu du pont, un haut pilier cylindrique en bois se dressait, supportant des voiles, à présent déchirées par endroits.

  Karel regarda de tous les côtés et aperçut du côté de la proue la silhouette de sa sœur, dos à lui, avachie sur le bastingage. Son cœur se serra à cette vue.

  Lentement, il marcha dans sa direction. Lorsqu’il fut à deux mètres derrière elle, Lya ne se rendit pas compte de sa présence. Karel hésita instant et décida de se placer dans son dos. Il apposa son index et son majeur reliés sur son épaule. Elle sursauta et Karel se reçut un coup dans le nez qui le fit reculer. Voilà qui lui apprendrait à la surprendre avec un lien télépathique !

  Il croisa le regard Lya, choquée. Karel se redressa et lui adressa un salut maladroit de la main avec un petit sourire idiot.

— Par les Dragons, Karel !

  Elle se jeta dans ses bras et l’étreignit avec force. Le visage enfoui contre lui, il l’entendit pleurer.

— J’ai cru t’avoir perdu ! sanglota-t-elle. Quand j’ai vu tout ce sang, je… je…

  Karel l’étreignit avec tendresse en caressant ses cheveux. Il instaura un lien télépathique.

— Je suis là, Lya. C’est fini, maintenant.

— D… désolée… je… je ne peux pas… m’arrêter, hoqueta-t-elle sous le coup de l’émotion.

— Ce n’est pas grave. Ça ne me dérange pas. Je suis là pour ça. Pardon de t’avoir fait peur.

  Karel attendit patiemment que sa petite sœur se remette de ses émotions. Sa main glissa dans ses longs cheveux roux cuivrés et l’invita à s’asseoir à même le sol avec lui. Comme lorsqu’ils étaient enfants et adolescents, Lya se blottit contre lui, les jambes repliées contre elle, le visage enfoui contre son épaule. Dans ces moments-là, Karel lui offrait toujours une étreinte réconfortante et rassurante en la serrant doucement dans ses bras, et attendait, son menton posé sur sa tête. Nul besoin de mots. Ils savaient se comprendre dans le silence, d’un seul regard.

  Ils restèrent encore pendant un moment ainsi. Enfin, Lya parvint à se calmer. Elle se redressa et essuya ses dernières larmes d’un revers de la main en détournant le regard.

— Désolée…

  Karel lui prit sa tête entre ses mains avec douceur et la regarda droit dans les yeux. Il lui rappela qu’elle n’avait pas à être désolée d’avoir des moments de faiblesse avec lui. Une fois certain qu’elle ait capté son message silencieux, il la relâcha.

— « Je vais bien », signa-t-il.

— D’accord. Merci.

  Elle lui offrit un petit sourire timide.

— Tu es le meilleur grand frère du monde.

  Karel fut pris d’un rictus silencieux que Lya partagea, à cet écho volontaire de leur enfance. Il l’embrassa sur le front.

« Et toi, la meilleure. Je t’adore. »



***




  Plus tard, tout le monde se retrouva dans la pièce principale. Wil étala plusieurs plans sur la table et invita chacun à regarder.

— Bon. Je pense que nous souhaitons tous partir au plus vite. Il va donc falloir m’aider à réparer le navire. Même si vous ne connaissez rien à cette technologie, ces plans devraient vous aider, ce sont des choses qui sont à votre portée. Moi, je vais continuer à m’occuper de la machinerie, parce qu’il faut vraiment s’y connaître.

— Faut-il acheter d’autres pièces spécifiques ? questionna Whélos. J’aimerai retourner en ville me fournir en médicaments pour ta mère. Je peux en profiter pour te fournir ce qu’il manque.

— J’ai fait l’inventaire, et les elfes ne m’avaient volé que l’orbe, répondit Wil. Ça devrait aller. Merci beaucoup pour ta générosité.

— Les elfes savaient donc ce qu’ils cherchaient, nota Aquilée.

— Oui, confirma Wil. Mais ne pensons plus à eux. J’ai assez perdu de temps comme ça. Alors voilà comment nous allons nous organiser, pendant que Whélos achète le nécessaire.

  Il distribua les tâches à chacun en leur expliquant précisément ce qu’il fallait faire en s’aidant des plans.

— Après réflexion, Whélos, j’aurais peut-être besoin de quelques pièces de rechange, demanda Wil au concerné. Je suis allé voir ce matin, la mer est tellement démontée qu’il va falloir que je renforce certaines parties du moteur et remplace quelques pièces encore.

— Très bien. Donne-moi les modèles, je verrai ce que je peux trouver, assenti Whélos en tendant la main.

— Attends, nous pouvons nous en occuper, intervint Lya. Karel et moi, nous nous y connaissons un petit peu dans le travail du métal. Selon l’état de tes pièces, nous pouvons peut-être te les réparer !

— Sérieusement, vous deux ? s’étonna Wil.

  Karel confirma et lui fit signe de leur montrer les éléments à réparer. S’ils les arrangeaient conformément à leur modèle d’origine, cela pourrait faire gagner du temps à Whélos et dans les réparations.

  Wil sortit une petite boîte dans lequel il avait placé les pièces défectueuses, consistant en un grand nombre de ces mêmes roues dentées de toutes tailles et de différentes formes qu’ils avaient pu voir chez les elfes noirs. Il y avait aussi une chaîne étrange et quelques petits tuyaux mécaniques.

— Si je vous dessine à quoi ils ressemblent initialement, ça vous ira ? questionna Wil.

— Oui, ça sera parfait ! confirma Lya. T’inquiète, on gère ! Et si tu as des chutes ou des pièces qui ne servent plus, ça sera d’autant mieux, ça nous permettra d’avoir de la matière à travailler.

— Es-tu vraiment capable de produire un feu aussi chaud ? s’étonna Wil.

— Non, mais avec l’aide d’Aquilée, ça ne sera pas un problème, répliqua gentiment Lya. Fais-nous confiance. Est-ce que l’on peut fouiller dans tes outils pour travailler ?

— C’est dans le compartiment dans ce mur, indiqua Wil en désignant une petite porte intégrée. Prenez ce qu’il vous faut. Je vais vous trier ce que vous pouvez faire fondre.

  Il en fut décidé ainsi. Whélos quitta le navire pendant quelques heures pour s’occuper des vivres, de tout ce qui pouvait concerner les soins et de refaire son stock de sorts jetables. Lya et Karel empruntèrent le matériel de Wil et improvisèrent un atelier avec ce qu’ils purent trouver, sur la terre ferme pour éviter le moindre incident. Phaïstos avait été un bon professeur.

  Avec l’aide d’Aquilée, Lya parvint à créer des flammes suffisamment intenses. Karel se chargea du maniement des pièces à refaire, muni d’un seau d’eau pour refroidir les différents éléments. Le travail fut long, intense et minutieux, et leur prit toute l’après-midi. Ils ne terminèrent que le soir arrivé.

  Whélos revint au même moment et rejoignit les quatre Sorciers dans la pièce principale juste sous le pont. Il s’installa avec eux autour de la table.

  Wil prit le temps d’examiner chacune des pièces.

— Eh ben ! C’est un travail d’orfèvre ! s’écria-t-il, impressionné. Merci, vous êtes géniaux ! Je vais pouvoir terminer les réparations demain !

  Lya sourit en guise de réponse. Elle jeta un œil sur l’anneau que lui avait offert son frère. Karel savait faire beaucoup de choses, et elle souhaitait en son for intérieur qu’il s’en rende compte un jour.

— Tant mieux, si ça va t’être utile, se contenta-t-elle de répondre.

— Et comment ! Demain, il faudra réparer le mât et les voiles. J’ai réparé la barre. La coque et la quille n’ont rien, par chance. Si tout va bien, nous pourrons mettre les voiles plus tôt que prévu !

— Ce domaine a vraiment un vocabulaire particulier, remarqua Aquilée. J’ai eu un peu de mal à te suivre sur certains points. Une barre ? Une quille ? À quoi cela correspond ?

  Wil se rendit compte que tous les visages partageaient son expression.

— Eh bien, au même titre que vous avez dû apprendre la langue des signes, je pense qu’il va falloir vous enseigner la composition d’un navire !

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