Chapitre 43[F]

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  100 ans plus tôt.




  Enfin. Après plusieurs jours de travail, il était temps de voir sa création fonctionnait. Serymar replaça la brique du mur à sa place initiale, dissimulant le système d’acheminement de chaleur. Un système dont une partie était enterrée sous terre et qui rejoignait les profondeurs des volcans endormis. Le Mage avait agrémenté le système par des cristaux ensorcelés qu’il avait découvert dans une galerie cachée quelque part dans les Monts. Pour le reste, il avait développé un réseau de conduit partant de la colonne de cheminée principale de la demeure.

  Il recula d’un pas et exécuta des signes complexes et précis avec ses doigts. Son pouvoir afflua, pulsa dans ses veines jusqu’à ses doigts. Un sceau complexe et incandescent se forma sur le mur et se fondit à l’intérieur. Serymar posa une paume contre le mur et usa de ses sens pour vérifier ce qui se passait à l’intérieur du mur. Après de longues minutes, une petite variation de chaleur monta. La satisfaction s’empara de lui. Ce premier essai était encourageant. Il souhaitait rendre les lieux confortables pour Syriana qui ne tenait pas les gros écarts de température. La région n’avait plus aucun arbre pour tenir les lieux au frais l’été et les hivers devaient être devenus difficiles. Si lui-même était résistant aux conditions difficiles, il admettait volontiers qu’avoir un habitat agréable en n’importe quelle saison était un luxe appréciable. Depuis qu’il y avait goûté sous la protection de Valkor, Serymar avait décidé que la vie sauvage, à laquelle il était pourtant habitué, ne lui convenait plus.

  Il décida de s’arrêter là. De nombreuses tensions musculaires le raidit lorsqu’il se redressa, après avoir travaillé d’arrache-pied depuis plusieurs jours. Il se pencherait sur les autres améliorations plus tard. La serre improvisée commençait déjà à donner quelques résultats satisfaisants. Bientôt, ils pourraient vivre presque en parfaite autarcie et éviter de se risquer hors des Monts de la Mort.

  Serymar s’aida du mur pour se relever. Sa jambe l’élançait et il lui en faudrait peu pour qu’elle ne le porte plus pendant plusieurs heures. Quand ce n’était pas plusieurs jours.

  Syriana avait tendance à se sentir un peu mal, ces derniers temps. Il espérait que ces premières commodités l’aideraient à aller mieux. Il tenta de la localiser avec ses pouvoirs. Une fois trouvée, il se téléporta.

  Lorsqu’il apparut dans l’une des pièces de la demeure, il fut surpris d’y retrouver la jeune femme avachie sur la table, sur le point de chuter de sa chaise. Devant elle, plusieurs ustensiles sur lesquels elle devait travailler, désormais en désordre devant elle.

  Serymar s’approcha d’elle, souleva une mèche de son front : elle était pâle. Il se mordit la lèvre inférieure, pris de culpabilité. Syriana subissait-elle les séquelles de tout ce qu’il lui avait fait subir ?

« Comment peux-tu m’aimer, Syriana ? Comment puis-je me rattraper ? »

  Il la ramassa dans ses bras en ignorant les protestations de sa jambe qui ne tardait pas à le lâcher. Il se téléporta dans ce qui leur servait désormais de chambre.

  Serymar allongea Syriana avec précaution. Il s’assit sur le rebord et tendit une main vers son front, sans la toucher. Il ferma les yeux et déplaça sa paume au-dessus de son corps, toujours sans la contacter. Il usa de ses pouvoirs pour détecter un éventuel mal en elle, une moindre souche de maladie qu’il pourrait éradiquer avec ses connaissances. Il s’arrêta à mi-chemin et rouvrit les yeux. Serymar retira sa main et lâcha un soupir. Il décida d’attendre que Syriana revienne à elle.

  Cela prit un long moment. Lorsqu’il l’entendit se réveiller, il redressa le dos. Il ne la regarda pas.

— Tu dois t’arrêter, à présent, Syriana, lui ordonna-t-il.

  Elle se redressa de manière à se retrouver assise et le fixa.

— Qu’est-ce tu racontes ? Tu en fais tant. J’ignore pourquoi j’ai faibli à ce point. Ça va aller. Bientôt, le champ que tu as fait nous donnera de la nourriture, et j’irai mieux, crois-moi !

— Tu es enceinte, annonça Serymar sans détour pour couper court à toute négociation possible. Depuis trois semaines, je dirai.

  Un silence accueillit sa réponse. Serymar garda résolument le regard droit devant lui, mais resta calme.

  Lorsqu’il l’avait examinée, il avait été surpris de ressentir un semblant de présence dans le corps même de Syriana. Encore faible, mais le doute n’avait pas sa place. Il ne s’était pas attendu à ça.

  Si les hybrides existaient, Serymar avait toujours supposé, au vu de la manière dont il avait été conçu et de ses origines, être stérile. Ce sujet ne lui avait procuré ni joie ni peine, trop occupé à survivre pour songer à quoi faire de sa vie. Serymar avait toujours été convaincu qu’il n’aurait droit à aucun bonheur, au vu de la vie qu’il menait. Il avait donc accepté cette fatalité comme quelque chose de normal. Il n’avait donc aucun avis sur cette question.

  Syriana se montra émue.

— C’est…

— C’est un problème.

  Le regard de la jeune femme pesa sur lui. Lourd. Il soupira. Il s’y attendait. Il avait l’habitude de cette incompréhension de la part des gens lorsqu’il parlait.

— Ce n’est pas ce que j’allais dire, répliqua Syriana, déçue.

  Serymar inspira et la regarda dans les yeux. Sans animosité, sans reproche.

— Syriana, fit-il d’un ton posé. Nous n’avons pas les moyens matériels pour nous occuper de ton cas. Cela pourrait s’avérer dangereux et tu pourrais en mourir, avec ton enfant. La magie ne fait pas tout et je n’ai aucun pouvoir de guérison comme Crystal. Je peux tout juste apaiser la douleur et réparer les chairs. Je te rappelle que nous sommes deux fugitifs et nous ne pouvons pas nous permettre de prendre soin de toi ailleurs. Ça serait beaucoup trop risqué.

  Il marqua une courte pause, en espérant avoir dissipé tout malentendu.

— De plus… Je ne te cache pas que je redoute les séquelles de mon sang dans cette histoire. Il pourrait en résulter des conséquences désastreuses. Je ne souhaite pas que ton enfant vive la moindre parcelle de ma vie d’avant. Je ne le supporterai pas. Il va falloir être très prudents, Syriana. Et cacher son existence aux yeux du monde. Il n’est pas encore prêt pour des personnes comme nous. Je suis navré. Tant que mon ennemi vivra, nous ne pourrons pas nous le permettre.

  Syriana ne répondit pas tout de suite. Un silence gênant s’installa entre eux. Elle le sonda un long moment et, contre toute attente, lui offrit un léger sourire.

— Je comprends mieux. J’ai cru pendant un instant que tu allais m’imposer quelque chose d’horrible.

— Jamais, Syriana, assura Serymar. Ce n’est pas quelque chose que je me permettrais. C’est ton corps. C’est toi qui vas endurer. C’est donc à toi de décider.

— Comment arrives-tu à être aussi détaché ? questionna-t-elle, intriguée. Même un non-humain n’est pas indifférent à ce genre de surprise.

— Navré si ma réaction te déçoit. Je n’ai jamais appris à me comporter comme il le fallait à ce genre de situation. Je n’ai appris qu’à me battre de toutes les façons possibles et à survivre. Ce qui n’est pas grand-chose d’intéressant, je l’admets.

  À nouveau, elle le décontenança avec son sourire. Il l’interrogea du regard. Ne lui en voulait-elle pas ? Il ne comprenait pas.

— Je me suis fourvoyée, répondit-elle à ses questions silencieuses. Je suis désolée d’avoir douté. En réalité, tu es anxieux, et tu as déjà commencé à réfléchir à une solution. Cela me touche beaucoup.

  Elle se rapprocha de lui, se pressa contre son corps et l’entoura de ses bras.

— C’est certes inattendu, mais je me sens heureuse. Tellement heureuse ! Nous allons certainement devoir affronter des difficultés, oui, mais… Dans le fond, est-ce ce qui importe ? Pour ma part, j’apprécie ce cadeau. Je ne sais pas si je suis prête à affronter ça. Mais je vais m’y préparer, comme je le pourrai. Je sais que tu feras tout pour cela se passe le mieux possible.

  Serymar hésita et posa une main dans le dos de la jeune femme. Son visage s’assombrit.

— J’ignore si je pourrai parvenir à quelque chose, Syriana. Je ne sais… que donner la mort. À l’inverse de toi.

— J’ai confiance. Tu t’es déjà montré capable d’apprendre n’importe quelle compétence et à la maîtriser. Tu sais garder la tête froide en beaucoup de circonstance. Tu sauras m’aider, j’en suis certaine !

  Il préféra se taire. Par moment, il se sentait épuisé de toujours devoir réfléchir, sans cesse, pour survivre. Il se surprit à envier les ignorants, de temps à autre, et à songer qu’il se sentirait moins écrasé par le poids des soucis s’il était né idiot.

  Perdu dans ses pensées, il se concentra sur la présence apaisante de Syriana contre lui. Son dos sous ses doigts, son corps contre le sien, ses cheveux qui lui chatouillaient le menton. Les battements de son cœur dans sa poitrine, contre lui. Enfin, ses pensées cessèrent de tourbillonner sans savoir comment s’organiser. Une envie de l’embrasser se laisser aller à ses étreintes l’envahit, mais il ne bougea pas, garda ses envies pour lui.

  Syriana se dégagea avec douceur et le regarda dans les yeux. Il y lut une joie indescriptible qui illuminait son visage et intensifiaient l’éclat de ses yeux émeraude.

— Est-ce que tu te rends compte ? lui fit-elle. Nous avons tout perdu. Tout nous a été arraché, jusqu’à l’espoir lui-même. Nous errions sans but précis. Aujourd’hui, nous avons enfin un véritable objectif ! Une porte vers un avenir bien plus doux que nos passés respectifs et notre présent morne. Nous allons enfin prendre un nouveau départ ! Loin des regards, dans ces lieux que tout le monde évite. Nous allons enfin goûter à une vie normale, comme n’importe qui ! Tout ce qui nous a été interdit, nous allons enfin pouvoir le vivre ! Peu importe, désormais, si le monde refuse de nous faire une place. Nous nous la ferons ici-même, loin de tous, avec nos seules règles !

  Elle l’enlaça.

— Peu importe les difficultés, acheva-t-elle, émue et déterminée. Je me battrai pour obtenir cet avenir. Jusqu’au bout.

  Serymar fut incapable de décrire le sentiment qui l’assaillait à cette déclaration. Syriana plongea son regard intense dans les siens. Sa joie était contagieuse. Sans parler de son sourire. Si ses appréhensions ne disparurent pas, Serymar se sentit un peu plus détendu. Son esprit tendait à croire que ces prochaines difficultés ne seraient rien en comparaison de ce qu’ils avaient enduré.

« Eh bien… pourquoi pas. »

  Son expression changea. Il appréciait cette sérénité qu’elle lui procurait. Son expression se fit plus douce.

— Tu n’as pas tort. Ce combat pour cet avenir en vaut la peine.

  Radieuse, elle se jeta à son cou et l’embrassa avec force. Il la prit dans ses bras et se délecta de ce doux élan qu’elle lui accordait.

  Cette sensation si agréable et pourtant si récente. Cette voie lui plaisait bien mieux que celle qu’il avait toujours suivie. Il se fit la promesse de tout faire pour préserver cet avenir, cette vie avec elle. Loin de tous. Effacés de tous les esprits. Dans leur univers, sans rien demander à qui que ce soit. Syriana avait raison. Cet enfant symbolisait leur espoir de se bâtir un avenir qui valait la peine d’être vécu en abandonnant leurs passés derrière eux.

  Il rompit le baiser, lui prit sa tête entre ses longues mains blanches et colla son front contre le sien en la regardant droit dans les yeux.

— Syriana. Je t’aime.

  Jamais il n’aurait pensé prononcer ces mots de sa vie.

— Moi aussi. Si tu savais, lui souffla-t-elle.

  Il succomba encore à son large sourire envoûtant. Syriana l’attira à elle et scella ses lèvres sur les siennes en portant les mains à sa ceinture. Une fois encore, Serymar la laissa percer ses barrières et la poussa avec douceur pour l’allonger sur le dos tandis que sa tunique glissait de ses épaules. Il frissonna de plaisir sous ses caresses à même sa peau, lui prit une main dans laquelle leurs doigts s’entremêlèrent pendant qu’il explorait sa gorge gracile.

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