Chapitre 44* - 1

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  Monts de la Mort, 25 ans plus tôt.




  Elma était assise sur son lit désormais dédié. Sa séparation avec les bandits était encore trop récente, elle ne parvenait pas à s’apaiser, en dépit de tous ses efforts. Elle en faisait des cauchemars toutes les nuits. Voyant ses traits épuisés par le manque de sommeil, Serymar avait décidé d’intervenir.

— Allez-vous… utiliser la magie ? demanda-t-elle avec crainte.

— Non.

— Mais…

— Il faut arrêter de compter sur la magie pour tout, s’impatienta Serymar, bien que restant calme et posé. Elle n’est pas la solution au moindre problème. La mémoire est un organe fragile. Je risquerai de t’anéantir définitivement. De plus, cela ne ferait que repousser le problème. Je te l’ai dit : toi seule est à même de te guérir.

— Mais je n’y arrive pas !

  Elma ressentait les prémices de la folie la menacer. Cela avait beau faire trois semaines qu’elle était sous sa protection, elle revivait encore sa vie d’avant en boucle comme si elle y était encore.

— Inutile de me sortir de telles évidences, je ne serais pas ici, autrement.

  Un court silence tomba entre eux. Elma n’osait pas le regarder. Il se tenait pourtant à distance, appuyé contre un meuble survivant, les bras croisés.

— Pour commencer, tu dois accepter que je m’approche de toi, expliqua-t-il posément.

  La jeune fille déglutit.

— Puis-je savoir… ce que vous comptez faire ?

— Sans confiance, je ne peux rien faire, Elma. Et mon aide restera inefficace. C’est ton choix. La jeune fille hésita un long moment.

— Allez-y, céda-t-elle. Vous aviez promis de ne rien me faire subir qui s’apparenterait à tout ça.

  Il ne répondit pas et déplaça une chaise derrière le lit d’Elma, de manière à se retrouver derrière.

— Allonge-toi.

  Tremblante, Elma se fit violence pour obéir et s’allongea sur le dos.

— Respire. Lentement. Ferme les yeux. Et concentre-toi uniquement sur ton souffle pour le moment.

  Elma obéit, pas certaine de surpasser ses tourments sans magie. Après quelques essais, elle frissonna lorsqu’elle sentit les doigts de son interlocuteur se poser de chaque côté de ses tempes.

— Maintenant, focalise ton esprit uniquement sur ces points de contact et ressens-les. Continue de respirer lentement. Prends ton temps. Jusqu’à ce que ces images cessent de te tourmenter.




***


  Dans sa main, cette araignée mécanique, sur laquelle était suspendue des lambeaux de chair. Du sang s’écoulait des pattes sans discontinuer, l’enveloppant toute entière. Elma eut beau secouer la main pour se débarrasser de cette chose, l’objet resta collé sur sa paume. Le sang s’épaissit autour d’elle et l’emprisonna jusqu’à la priver d’air. Elle hurla de terreur.

  Elma se débattit avec sa couverture et acheva de se réveiller quand son corps chuta sur le sol. Elle mit de longues secondes avant de retrouver ses repères. Lorsqu’elle ouvrit enfin les yeux, elle aperçut ses mains trembler. Elma s’adossa contre le rebord de son lit, restant à même le sol et s’efforça de reprendre ses esprits. Difficile, quand elle devait subir les séquelles de tels souvenirs. Ceux de Syriana n’étaient pas mieux que ceux de Serymar. Elma en vint à se demander ce que le prochain souvenir lui réserverait. Elle soupira : cette quête se révélait bien plus difficile que prévu. Mais elle refusa de céder : elle devait aider Karel, d’une manière ou d’une autre. Elle trouverait comment lui transmettre ce qu’elle savait, une fois qu’elle en saurait plus sur la situation donnée.

  Un frisson glacial la paralysa. Elle ressentait comme une présence. Elma se glaça d’horreur, n’osant pas relever la tête : était-ce Serymar ? Une larme roula sur sa joue.

« Suis-je si inutile ? Vais-je finir par mourir en restant une personne inutile, qui n’aura fait que voler les précieux moments d’une autre femme avec son fils de manière forcée ? »

  Surprise de n’avoir toujours aucune réaction ni parole, Elma prit son courage à deux mains pour relever la tête de ses genoux. Son cœur manqua plusieurs battements au spectacle qui s’offrit à elle et la figea.

  Une silhouette éthérée la fixait avec intensité. La forme d’une femme avec de sublimes yeux verts, de longs cheveux châtains cascadant jusqu’à ses reins.

— S… Syriana ? hasarda Elma.

  Comment cela se faisait-il ? L’esprit lui offrit un tendre sourire. Elma se sentit étrange. C’était comme si quelque chose l’appelait et résonnait avec son âme. L’angoisse la saisit quand elle aperçut une lumière blanche au niveau de son cœur.

  Elma crut percevoir de la confusion sur les traits délicats de Syriana, comme si elle souhaitait lui dire quelque chose, mais sans y parvenir. Elle réduisit soudain la distance entre elles deux et Elma fut captivée par son regard. Il était si intense qu’elle doutait presque que ce regard appartenait à une morte. L’apparition posa avec douceur ses mains sur les tempes d’Elma et l’amena à toucher son front du sien. Les ténèbres l’enveloppèrent et Elma s’effondra sur le sol.

***

  Lorsque sa conscience revint, elle fut étonnée de ne pas se retrouver dans sa petite chambre. Sous ses mains, une surface immaculée. Elma releva la tête : tout, autour d’elle, était si blanc qu’elle avait du mal à percevoir les limites de cet étrange espace. Y en avait-il, d’ailleurs ?

  Elma sursauta lorsqu’elle vit, quelques mètres plus loin, la silhouette gracile de Syriana. Elle l’observait avec une curiosité certaine dans le regard. Elma ne lui en tint par rigueur, elle-même incapable de s’empêcher de faire la même chose. Si elle exceptait les cheveux bien plus longs que les siens et la lueur différente dans son regard, cette femme lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Les mêmes yeux. Les mêmes cheveux. Les mêmes traits de visage. Le même type de physique, quoi qu’Elma était un peu plus musclée, de par les tâches physiques qu’elle pratiquait depuis son plus jeune âge.

  Leurs manières et leurs façons de se tenir semblaient aussi différer : Elma ayant reçu une éducation plus rustique, ses mouvements étaient moins grâcieux que ceux de Syriana. Elle se mouvait comme une personne issue d’un haut rang social. Sa peau ne comportait aucune aspérité trahissant un travail à la dure dans sa vie passée. Pourtant, Syriana était vêtue d’une longue robe simple et ne portait aucun ornement quelconque. Sa tenue était plus raffinée que celle d’Elma mais rien d’extravagant. Sa longue ceinture de soie verte comme les prairies sur sa robe turquoise ajoutait encore de l’élégance à ses airs de princesse de contes de fées. Tout l’inverse d’Elma, vêtue d’une robe de domestique dans les mêmes tons de couleur que Syriana. Aucunes tâches de rousseurs clairs et éparses n’apparaissait sur son visage fin.

— Qui es-tu ? résonna une voix douce dans ses oreilles.

  Elma fut incapable de répondre. Elle avait du mal à comprendre ce qui se passait. Au moins parvint-elle à relever le regard vers son interlocutrice.

— Impossible ! balbutia-t-elle. Votre âme a été emportée par Illuyankas depuis longtemps ! Comment êtes-vous venue jusqu’à moi ?

  Le visage de Syriana se déforma par une gêne évidente.

— Pour être honnête, je comptais sur toi pour me le dire. Mais c’est étrange… Tu es une Sans-Pouvoir. Même…

  Elle hésita.

— Même « lui » n’était pas capable d’invoquer des âmes défuntes, hormis dans les rêves. Et je ne l’ai plus jamais revu… Mais ceci explique aussi pourquoi je ne parvenais pas à communiquer avec toi dans le monde vivant.

— Vous parlez du Maître ?

  Syriana l’interrogea du regard.

— S… Serymar, s’empressa de rajouter Elma pour clarifier.

  Cela lui faisait drôle de prononcer son nom. Cela lui donnait l’impression de lui manquer de respect, et ce malgré les mots violents qu’il avait eus envers elle à ce sujet. La tristesse l’envahit à ce souvenir. Elle commençait à comprendre le réel fond de sa pensée.

— Je… tenta Elma. J’ignore beaucoup de choses. Mais la situation est grave.

  L’expression de Syriana s’assombrit.

— Ainsi… la situation des Dragons ne s’est toujours pas arrangée.

— N’êtes-vous pas au courant, dans le monde des morts ? s’étonna Elma.

— Non, en effet. Illuyankas nous protège. Nous sommes coupés de tout et dépossédés du souvenir de notre mort lorsque celle-ci est intervenue prématurément. C’est pour éviter de devenir des esprits vengeurs. Je crains de ne pouvoir répondre à toutes tes questions, même si je le souhaiterai.

  Elma estima qu’elle devait se montrer prudente. Elle ignorait ce qui avait causé cette rencontre soudaine, à part le lien qui semblait la rattacher à Syriana. D’après ses lettres et du peu qu’Elma en savait, il semblait y avoir eu un terrible malentendu entre elle et Serymar. Elma jugea plus prudent, pour le moment, d’éviter d’évoquer le souvenir de cette enfant née de leur union. Elle ignorait quels souvenirs les Dragons avaient retiré. Si elle commettait la moindre erreur, l’esprit de Syriana se briserait et serait damnée. Hors de la protection du Dragon, elle devenait vulnérable.

  Syriana afficha soudain une mine à la fois réjouie et soulagée, comme si une révélation l’avait frappée.

— Je me souviens d’une chose merveilleuse… Nous nous ressemblons tellement ! Serais-tu ma fille, Aëlys ?

  Elma faillit lui répondre avec son impulsivité habituelle mais au vu de ses doutes, elle se ravisa. Elle ne se voyait pourtant pas mentir à Syriana.

— Absolument pas, s’empressa-t-elle de corriger. Je suis humaine à part entière. J’ai seulement été la disciple de Serymar jusqu’à devenir sa… collaboratrice. Je suis désolée, Syriana, mais j’ignore ce qu’est devenue votre fille. J’aurais aimé en savoir plus, vraiment.

  L’allégresse s’effaça du visage de son interlocutrice, remplacée par une expression gênée et déçue, comme prise de regrets.

— Je vois… pardonne ma confusion.

— Quels souvenirs en avez-vous ? interrogea Elma avec prudence.

  Au moins, cela lui éviterait de commettre une maladresse.

— J’ignore ce qu’elle est devenue, admit Syriana. Les Dragons m’ont effacé ce souvenir. Je me souviens seulement l’avoir portée et désirée. Je me souviens qu’elle était la représentation de nos espoirs à tous les deux.

— Et… quels étaient vos espoirs ? questionna doucement Elma.

Suite ===>

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