Chapitre 44* - 2

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  Syriana la regarda avec gravité.

— Elle portait notre espoir d’un avenir meilleur, loin de tout le chaos engendré par cette malédiction. Une chance de devenir ce que nous souhaitions, de découvrir qui nous étions réellement. D’effacer le passé et… de tout recommencer à zéro.

  Elma fit signe qu’elle comprenait. Elle-même l’avait désiré en acceptant de travailler pour le Mage : se rebâtir, se connaître, avancer. Tout se passait bien jusqu’au jour où la Prophétie fut annoncée. À partir de ce moment-là, ses serviteurs avaient découvert les pires facettes de Serymar. Les premières rébellions s’étaient alors manifestées.

  Son sentiment de révolte l’envahit plus fort encore. Ainsi, Serymar avait vraiment eu un enfant.

« Comment avez-vous osé arracher Karel à sa véritable famille, alors que vous auriez perpétré un véritable massacre si quelqu’un aurait osé toucher ne serait-ce qu’un cheveu de votre fille ! »

— Tu trembles de colère… Pourquoi ? demanda Syriana.

  Elma se força à desserrer les poings et fixa Syriana dans les yeux.

— Syriana. Comme je vous l’ai dit, la situation est grave. J’ai besoin de savoir ce qui s’est passé. Serymar a commis l’irréparable ! Il y a environ 20 ans, il a enlevé un enfant, devenu adulte aujourd’hui, que nous avons élevé ensemble. Ce jeune homme court un grave danger ! Vous avez désiré un enfant. Vous me comprenez, n’est-ce pas ?

  Syriana resta figée par le choc. En voyant sa tête, Elma en était certaine, si elle avait été vivante, elle se serait certainement mise à pleurer.

— Il… il y a une explication à cela, n’est-ce pas ? lui demanda-t-elle, la voix hésitante.

— Oui, confirma elma. Quelques temps avant, les Dragons annoncèrent une Prophétie. Serymar s’est démené pour en connaître le contenu, mais il ne l’a jamais partagé avec qui que ce soit. Pas même moi. Tout ce que je sais, c’est qu’il s’agirait d’une condamnation à mort à son égard. Comme il a fréquenté les Dragons dans le passé, il a considéré ça comme une autre trahison de leur part. En un sens, je peux comprendre qu’il refuse d’accepter ce sort sans rien faire. De l’autre, j’ai du mal à comprendre pourquoi cela l’a autant affecté. Dans tous les cas, je suis certaine qu’il aurait pu trouver une solution sans commettre ce crime !

  Il aurait pu prendre la famille ensemble et leur expliquer la situation ensuite. Si Elma était capable d’y penser, pourquoi pas Serymar ?

— Oui, je le pense aussi, plussoya Syriana. Quand je vivais avec lui, j’essayais de le lui faire comprendre. J’essayais de le pousser à trouver des solutions autres que toute cette violence qui lui était aussi naturelle que respirer. Nous nous querellions souvent à ce sujet.

  La tristesse et la culpabilité voilèrent son regard.

— Je… je suis désolée, il semble que j’ai failli à cette tâche. J’aimerai tant le rencontrer à nouveau pour le guider. Pardon, pour ce qu’il a dû te faire endurer, ajouta-t-elle en baissant la tête.

  Elma osa faire un pas vers elle et la saisir par ses épaules.

— Syriana, je vous en prie, ne vous laissez pas aller au regret, je m’en voudrais de vous arracher du sanctuaire d’Illuyankas. Ce n’est pas de votre faute. Vous êtes morte. Vous ne l’avez pas choisi. Le Maître a dû basculer à nouveau dans ses pires travers à partir de là. J’ignore comment nous retrouver de nouveau ici et de combien de temps je dispose encore. Alors s’il vous plaît, aidez-moi.

  Syriana essaya de reprendre son calme et se redressa. La détermination brillait dans son regard intense.

— Bien sûr. Je ferais de mon mieux. Demande-moi ce que tu veux savoir.

  Elma la relâcha.

— J’ai de bonnes raisons de croire que je pourrai deviner ses intentions envers Karel – le garçon qu’il a enlevé – si je connaissais votre histoire. Je dois savoir ce qui s’est passé entre vous et autour de vous. Si j’obtiens cette réponse, je pourrais essayer de raisonner le Maître et lui montrer une autre voie. Ainsi, je pourrais les sauver tous les deux.

  Syriana resta silencieuse. Elma la laissa à ses réflexions.

— Tu… malgré ce qu’il a fait, tu es donc attachée à Serymar ? lui demanda-t-elle en la dévisageant. Es-tu vraiment sa collaboratrice ?

— Bien sûr ! Je vous assure, notre relation n’a rien de commun avec la vôtre !

  Elma marqua une pause, le temps de chasser le léger malaise qui l’avait envahie.

— Disons qu’il m’a sauvé la vie, autrefois. Il m’a énormément appris et même contribué à faire de moi ce que je suis aujourd’hui. Pour tout cela, j’estime qu’il est temps que je lui rende la pareille, même s’il ne l’exige pas de moi, clarifia-t-elle.

  Syriana la fixa et afficha un doux sourire.

— Je suis morte, Elma. J’ai accepté depuis longtemps cette séparation forcée, bien qu’avec l’aide des Dragons. Malgré leurs différends, ils ont eu la bonté de laisser intact mes sentiments pour lui. Pour être honnête, je suis même déçue, même si cela ne m’étonne pas de sa part.

  Elma la regarda avec surprise.

— Comment ça, « déçue » ?

— J’ai toujours souhaité qu’il parvienne à se reconstruire et trouve la paix, fut-ce sans moi, sans replonger dans ses travers, expliqua Syriana. Au vu de ce que je comprends, ce n’est toujours pas le cas. Il n’est donc jamais passé à autre chose, et je trouve cela terrible.

  Elma se sentit touchée par tant d’amour sincère. Syriana lui accorda un regard empli de bienveillance.

— Je suis heureuse de savoir qu’il ait une collaboratrice telle que toi à ses côtés.

  Elle s’éloigna de quelques pas.

— Nous ne sommes pas physiquement ici, Elma. Quelque chose a déclenché ce rapprochement entre nos deux esprits, nos deux âmes.

— Ce qui signifie ?

— Je ne peux t’expliquer. Les morts ne peuvent parler. Encore moins avec les souvenirs effacés. Mais…

  Syriana fixa un point quelque part dans cette étendue immaculée.

— Je peux te montrer, mais sans t’y accompagner. Si je le fais, mon âme se fera consumer par mes ressentiments et… nous savons déjà suffisamment ce que cela fait, d’avoir un esprit malmené. Je ne veux pas finir comme ça. J’ignore si mon histoire pourra t’aider, mais c’est tout ce dont je dispose, ici. Mes souvenirs. Mes tourments. Es-tu vraiment prête à cela ?

  Elma hésita. Elle avait assez vu d’horreurs comme ça. Elle soupira. Sa quête de vérité ne se ferait pas sans heurts. Les poings fermés, le regard déterminé, elle fit face à Syriana.

— Allez-y. Je suis prête. J’irais jusqu’au bout. Montre-moi ce que vous avez.

— Je dois aussi te préciser que je ne peux maîtriser ce que tu verras, prévint Syriana. J’ignore ce à quoi tu assisteras.

— Peu importe. Cela pourra toujours m’aider à comprendre certaines choses.

  Syriana ne répondit pas et leva gracieusement un bras dans une direction. Une porte sombre apparut, recouvert d’un voile gris. Le malaise s’empara d’Elma. S’immiscer autant dans la vie d’autrui était gênant, surtout couplé à la crainte de ce qu’elle pourrait y découvrir. Mais elle repensa à Karel. Elma avança d’un pas résolu vers le portail.

— Je… je suis vraiment désolée, Syriana.

  L’esprit lui adressa un léger sourire.

— Ces souvenirs m’ont été enlevés par les Dragons pour que je puisse reposer en paix. Cela signifie qu’ils sont mauvais. Je serais incapable de te dire à quel point ils sont personnels ou non. Ne t’en fais pas pour moi. Si nos âmes résonnent avec une telle ampleur, ce doit être pour une bonne raison. Cela me suffit à te faire confiance. Si cela peut aider d’une quelconque façon à aider ce garçon et Serymar, alors j’en suis.

  Elma rassembla son courage pour enfin se retrouver à la hauteur du portail. Elle s’immobilisa, inspira, puis le traversa.

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