Chapitre 45* - 1

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  Elma regarda autour d’elle : Syriana avait disparu et elle se retrouvait dans l’obscurité. Elle soupira : elle espérait au moins que ces souvenirs ne se seraient pas aussi atroces que ceux Serymar.

— Je peux dire que j’en ai vu… ça devrait aller, tenta-t-elle de se rassurer.

  Elle déglutit et avança prudemment. Les lieux étaient sombres. Elle avait l’impression de marcher dans un couloir sans fin. Enfin, elle aperçut quelques lueurs orangées. Elma s’y dirigea. L’obscurité se désagrégea à mesure de ses pas. Lorsqu’elle s’approcha, des éclats de voix lui parvinrent. Une femme et un homme. Ou plutôt deux.

  Elma se força à avancer jusqu’à apercevoir des silhouettes. Trois personnes se trouvaient à quelques mètres d’elle. Elma étouffa une exclamation horrifiée en portant ses mains à sa bouche.

  L’un homme était très grand, plus que Serymar. Large d’épaules, il possédait des jambes de métal et un bras dans la même matière. Le plus impressionnant restait sa tête, aussi mutilée que le reste : un quart de son crâne était recouvert d’une plaque métallique soutenant un œil de verre rouge sans pupille rappelant le sang, comme une apparition des enfers.

  Autrefois, Elma avait été surprise de l’apparence de Serymar, mais elle n’était rien en comparaison de cet homme. Leur différence était de taille : Serymar restait une personne entièrement composé de chair et de sang. Cet homme aux membres de fer ne ressemblait plus à un être vivant. En cela, sa stature et son apparence étaient effroyables.

  Face à lui, un autre homme, plutôt jeune, les cheveux blonds et les mêmes yeux verts que Syriana. Elle se trouvait juste derrière lui, la tête basse.

  Le cœur d’Elma se serra. Cette attitude, elle la connaissait. La résignation. Ses traits étaient tirés, comme si elle avait accumulé plusieurs semaines de tension permanente. Comme si elle avait fui quelqu’un.

— Par les Dragons, Syriana… Vous aussi ?

  L’homme monstrueux claudiqua vers les deux jeunes gens.

— Bien. Tu as fait tout ce que je te disais. Tu peux rejoindre mes fidèles. Ainsi, tu obtiendras la vie éternelle, grinça-t-il de sa voix à la fois organique et artificielle.

  Il s’avança vers Syriana et Elma frissonna de colère lorsqu’elle le lui relever le visage de sa main mécanisée pour l’obliger à le regarder, comme on jaugerait un objet. Syriana lui envoya un regard noir de colère. Elle eut l’audace de se dégager et recula d’un pas.

— Mes excuses, mon frère n’a plus toutes ses facultés mentales, j’ignore s’il sera un bon fidèle à votre cause, cracha-t-elle, glaciale. Veuillez ignorer cet échange et me laisser partir.

  Son frère frappa sa sœur au visage, si fort qu’elle en perdit l’équilibre et s’effondra sur le sol dans une exclamation de douleur. Il la foudroya du regard.

— Comment oses-tu me faire honte ?! Tu n’en as pas suffisamment fait comme ça ? Rappelle-toi qui vient de te sauver la vie, de t’arracher des griffes de ce monstre ! Tu ignores à qui tu t’adresses !

  Il se retourna vers l’homme à l’œil de verre.

— Je vous ai amené ce qui a le plus de valeur pour moi. S’il vous plaît, tenez votre accord : anéantissez ces nobles qui s’en sont pris à elle ! Ils ne méritent pas leur place dans le monde que vous souhaitez construire !

  Le cœur serré et sachant qu’elle ne risquait rien, Elma s’approcha et s’accroupit après de Syriana. Elle regrettait de ne pas être là physiquement. Elle désirait tant l’aider à se relever. Pourtant, elle ne pouvait pas rester sans rien faire. En venant à ses côtés, Elma avait au moins le sentiment de pouvoir transmettre de la force à Syriana, qui serrait les poings, sonnée par la douleur. L’homme de métal s’avança. Elma frissonna et ne put s’empêcher de s’interposer entre son âme jumelle et l’homme.

— Il s’agit d’un spécimen intéressant, conclut la voix caverneuse de son interlocuteur. Parfaite pour servir notre noble cause, comme seules les femmes peuvent le faire. Très bien. Tu auras ce que tu veux.

  Un profond sentiment de révolte s’empara d’Elma, tant cette scène la ramenait dans son propre passé, lorsqu’elle-même fut vendue pour les mêmes raisons. Syriana se redressa sur ses mains.

— Je ne vous appartiendrais jamais ! cria Syriana avec fureur. Je n’aurais de cesse de me battre, tant que ma décision ne sera pas respectée !

  Le souvenir s’estompa. L’échos de la révolte de Syriana résonna dans le cœur d’Elma, tremblante d’émotions.

  Un autre portail voilé apparut. Elma y courut et s’y engouffra. Au bout de ces souvenirs, elle finirait certainement par rejoindre l’esprit de Syriana ou se réveillerait.

  Elma se retrouva dans une chambre et un frisson glacial la secoua. Elle en ferma les yeux. Elle refusait de voir ça.

  Mais ce monde spirituel était sans pitié. L’image s’imposa à elle-même. Tendue, Syriana se tenait au milieu de la pièce, les poings serrés pour lutter contre l’humiliation qu’elle subissait. Sa longue robe avait été troquée pour des vêtements minimalistes blancs ornés d’or. Un haut à bretelles laissait entrevoir les courbes de sa poitrine délicate, et un pagne reposait sur ses hanches, découvrant l’entièreté de ses longues jambes galbées. Vêtue comme un trophée, l’objet telle qu’elle était considérée. La rage l’animait. Syrina semblait s’y accrocher comme s’il s’agissait de ses seules chances de survie.

  L’homme à l’œil de verre plaqua impitoyablement Syriana contre un mur, elle fut sonnée.

  Elma se recroquevilla, les mains plaquées sur ses yeux. L’image du bandit qui la malmenait dans sa cellule, plusieurs années plus tôt, lui revint avec violence. Elle entendait Syriana hurler de rage et tenter de se défendre.

— Je n’ai pas peur de vous ! l’agressa-t-elle.

— Tu es à moi ! gronda l’homme à l’œil de verre. Il était temps que j’intervienne. Une beauté telle que la tienne ne peut se comporter de la sorte.

  Syriana hurla de douleur et de peur. Elma fit de même, ses pires craintes ressurgissant de la même manière qu’un volcan entrant en éruption soudaine. À nouveau, elle ressentit la sensation des coups, les doigts mal placés la torturer, ces caresses odieuses, cette langue dégoûtante qui se repaissait d’elle. Elle retrouva la sensation de ce corps se pressant contre le sien.

  Elma paniqua et chercha à se griffer comme pour arracher ces sensations sordides qui s’imprimèrent en elle en même temps que Syriana. Mais elle ne pouvait se blesser dans ce monde. Au milieu de ses hurlements de panique, des larmes roulèrent sur ses joues. Ici, Serymar ne pouvait la sauver.

  La jeune femme se souvint à quel point, dans ces moments effroyables, elle s’était enfermée en elle-même en cessant de lutter. En cette sombre période, c’était le seul moyen pour que cette torture cesse au plus vite, quitte à ce que son âme se brise plus encore. La pensée comme anesthésiée, aussi vide qu’une poupée avec lequel on jouait, encore et encore. En cet instant glaçant, Elma fut tentée de réitérer ce stratagème.




« Je connais ta douleur. C’est une bonne chose que tu réagisses. »




  Au moment où Elma fut sur le point de succomber, ces mots ressurgirent dans son esprit.

— Serymar… gémit-elle, recroquevillée sur le sol.




« Pour ce qui est du poison dans ta tête, toi seule est apte. J’ai confiance en ta volonté. »




  Ces mots résonnèrent dans son esprit, de manière salvatrice. Elma se rappela que se sceller en elle-même n’était pas la solution.

  Le cœur au bord des lèvres, Elma se força, comme le lui avait appris Serymar, à maîtriser ses émotions. Ces ressentis, certes identiques aux siens, ne lui appartenaient pas. La jeune femme commença à comprendre pourquoi les Dragons effaçaient les souvenirs douloureux des âmes qu’ils accueillaient. Lorsque Syriana lui en avait parlé, Elma avait eu du mal à saisir, et avait même commencé à douter des Dragons. Mais à présent elle trouvait ce procédé logique. Pour reposer en paix, il fallait être libéré de ses souffrances. Cette révélation la soulagea : un jour, Elma aussi finirait par être libérée de ses pires tourments. À condition que les Dragons lui accordent cette clémence. Serait-elle damnée pour avoir volé les moments précieux d’une autre femme avec son propre fils ? Devait-elle avoir honte d’avoir osé aimer Karel comme s’il s’agissait de son enfant ?

  En larmes, Elma tenta de réinvestir sa mémoire de ses propres souvenirs pour ne pas se laisser envahir par toute cette tourmente. Ainsi, l’image de Serymar s’imposa à elle, alors qu’elle n’était encore qu’une adolescente.




« Plus jamais, tu ne vivras cela. Je m’y engagerai personnellement. »




  Ces mots parvinrent à calmer sa crise de panique.




« Navré, Elma. De ne pas être venu à temps. »




— Maître… lâcha-t-elle dans un murmure.

  Des larmes ruisselèrent sur ses joues. Le jour où elle s’était engagée à ses côtés, l’adolescente brisée qu’elle était s’était jurée de devenir une femme digne de tout ce qu’il lui avait offert et qu’il la voit comme telle. Elma se souvint de la raison qui l’avait amenée ici : pour le sauver de lui-même. Parce qu’il lui avait sauvée la vie, soigné son âme et son corps, et plus encore. Elle devait lui ouvrir les yeux.



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