Chapitre 45* - 2

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  Soudain, Elma fut à nouveau transportée ailleurs. Elle ferma les yeux et se laissa le temps de s’en remettre. Pour ce faire, elle se souvint d’une méthode que Serymar lui avait donné, dans ses premiers jours de vie commune avec lui.

  Elle respira en focalisant son esprit sur un point imaginaire et attendit patiemment que son corps cesse de trembler. Elle se répéta qu’elle n’avait pas été touchée.

  Enfin, elle ouvrit les yeux et se redressa. Elle se trouvait dans un lieu beaucoup plus calme. Elma essuya ses larmes. Elle étudia son nouvel environnement : toujours pas de zone immaculée, et l’esprit de Syriana encore absent.

  Craintive, la jeune femme avança d’un pas mal assuré, ayant l’impression de se faire éprouver son courage un peu plus à chaque fois. Elle finit par découvrir son âme jumelle plusieurs mètres plus loin.

— Syriana ! appela-t-elle, soulagée. Vous voilà enf…

  Elle se coupa net en s’apercevant que la jeune femme ne semblait pas la voir. Elma était donc bel et bien dans un autre souvenir. Elle étudia Syriana en face d’elle : le visage fermé, semblant se faire la plus discrète possible. Elma ressentit une colère intense vibrer en elle. Lorsqu’elle fixa Syriana, elle aperçut avec surprise un couteau à lame large dans l’une de ses mains. Ses yeux verts étincelaient d’une lueur où se mélangeaient crainte, détermination et résignation. Elma se figea d’horreur.

  Si elle comprenait cette haine, elle ne pouvait pas cautionner cela. D’un autre côté, elle ne pouvait s’empêcher d’admirer la ténacité de la femme qui se tenait à quelques mètres d’elle. Dans cette même situation, Elma avait abandonné. En même temps, dans ce souvenir, Syriana était une adulte et non une adolescente brisée trop tôt. Jamais Elma n’aurait cru découvrir ce genre de personne derrière l’apparence délicate de Syriana.

  Elle commençait à comprendre sur quel genre de terrain commun Syriana et Serymar s’étaient retrouvés, et ainsi éprouver une attirance : leur volonté farouche à se battre pour obtenir leur liberté, à n’importe quel prix, même s’ils devaient briser leurs âmes pour cela. Ils ne reculaient devant rien. À la différence près que Syriana n’avait pas été élevée dans la violence depuis son plus jeune âge.

  Elma le comprit à sa position, qui démontrait une inexpérience dans le domaine défensif. La jeune femme n’était pas une combattante, mais Serymar lui avait appris quelques mouvements pour lui permettre de fuir et de contenir un danger immédiat.

  Elma retint son souffle, le cœur battant et mal à l’aise à l’idée de ne pas pouvoir prévenir Syriana qu’elle courait à sa perte. Au travers du mur contre lequel était appuyée, des éclats de voix fusaient.

— Retrouvez-moi l’expérience, ordonna l’homme de métal.

— Ne vous en faites pas, assura une autre voix. Il ne peut aller bien loin. Nous avons réussi à lui installer le lien avec la machine. Dès que nous l’aurons, il sera prêt à fusionner avec elle et sa volonté sera la vôtre. L’opération a été bien trop chaotique. Nos hommes sont sur ses traces.

— Je l’espère pour vous, gronda l’homme à l’œil rouge. On m’a plutôt rapporté qu’il s’est dérobé de nos regards malgré cette blessure censée l’immobiliser ! Comment expliquez-vous cela ? Retrouvez-le.

  Elma vit de la confusion passer sur les traits de Syriana. Elle plissa le regard, de colère. Et y céda.

  Dans un cri de rage, elle se jeta sur l’homme aux membres bioniques et décrivit un brusque mouvement pour lui planter le couteau quelque part dans son torse. Elma hoqueta lorsqu’elle vit son agresseur la saisir via sa main mécanique, arrachant un cri de souffrance à Syriana, dont le couteau tomba de ses mains et atterrit sur le sol dans un tintement métallique.

— Lâchez-moi ! cria-t-elle.

  L’homme la jeta sans ménagement sur le sol. Syriana chercha à se relever mais lâcha un cri d’horreur lorsque les doigts de métal s’allongèrent jusqu’à se planter dans le sol contre son corps, de manière à l’immobiliser.

  Elma frissonna de terreur lorsqu’elle vit l’expression glaçante de son interlocuteur.

— Il est grand temps de te mater. Cela te passera l’envie de te retourner contre moi, et de t’enfuir ! Tu en sais désormais trop. Tu ne peux plus prétendre à la moindre liberté, désormais. Tu viens de perdre tous tes privilèges à mes côtés. À part celui de me satisfaire, sous peine de mourir, annonça-t-il en resserrant sa prise.

— JAMAIS je ne vous appartiendrais ! hurla Syriana en réprimant un gémissement de douleur.

  L’homme de métal fit signe à son acolyte qui s’éloigna, et revint rapidement avec un fer chauffé à blanc au bout d’un tisonnier. Elma et Syriana blêmirent en même temps. Elma ne put empêcher son corps de se jeter par réflexe sur lui pour lui arracher son arme. Le désespoir la meurtrit lorsque ses mains passèrent au travers de l’homme de main.

— Non ! Pas ça, non ! implora-t-elle.

  Le chef de secte écarta brutalement un bras de Syriana qui se débattit. Les doigts mécaniques la maintinrent immobile.

  Un hurlement déchirant résonna sur les lieux. Elma se boucha les oreilles en fermant de nouveau les yeux, à nouveau en larmes. Elle s’écroula sous l’intensité de cette douleur qui ne lui appartenait pourtant pas, mais qu’elle ressentit comme si elle était la suppliciée.

— Désormais, tu m’appartiens, conclut froidement l’homme à l’œil de verre. Tu perds ton statut de personne. Tu es une marquée, et donc une esclave. Mon esclave. Cela signifie que si tu me désobéis encore, tu rejoindras les Dragons bien plus tôt que prévu. Garde bien cela en tête… Esclave.

  Haletante, blême, Syriana, les traits déformés par la souffrance et les larmes, n’eut plus la force de se rebeller.

— Ramenez-là dans mes quartiers.

— Syriana… pleura Elma.

  Si elle avait pu être là, sans doute aurait-elle pris la jeune femme dans ses bras. Elle n’aurait certes pas pu sauver sa situation, mais elle aurait au moins pu lui dire ces mots, ces mêmes mots qu’elle-même avait désespéré d’entendre dans sa propre situation : « Courage, Syriana. Vous n’êtes plus seule. Je suis là. »

  Ses yeux se posèrent sur la marque et elle hoqueta de surprise : un symbole d’une tête de mort mécanisée, dotée d’ailes de dragon. Comme sur l’araignée mécanique. Au moment où Syriana fut portée par quelqu’un, le décor changea à nouveau.

  Elma se retrouva de nouveau dans les quartiers de l’homme à l’œil rouge. Elle frissonna de terreur et se plaqua dos contre la porte, tremblante. Sa main chercha désespérément la poignée, en espérant se réveiller.

  À quelques mètres d’elle, Syriana faisait face à son bourreau. La jeune femme frissonna lorsqu’il passa un doigt le long de son bras. Syriana resta immobile, mais Elma ne manqua pas de remarquer son frisson de dégoût.

  Elma perçut l’intensité de son regard : la peur, mêlée à sa détermination, la frappa. Syriana avait de nouveau préparé quelque chose à l’intention de son interlocuteur. Elle rassemblait son courage, comme si était sur le point de franchir un point de non-retour.

— Par les Dragons, Syriana… se lamenta Elma. Ne me dîtes pas que vous avez brisé votre âme pour tenter de vous libérer !

  Syriana se dégagea d’un geste brusque de cette étreinte odieuse.

— Je vous INTERDIS de me toucher ! hurla-t-elle.

  Elle se retourna vivement et jeta dans la figure de son geôlier une boule de fer qu’elle avait caché dans son poing fermé. La boule explosa, souffla les murs de la pièce et brûla tout. L’homme de fer hurla d’agonie et Elma trembla lorsqu’elle aperçut des éléments mécaniques et du sang s’éjecter de part en part de la pièce. Syriana en profita pour s’enfuir, passant au travers d’Elma, figée d’horreur.

  Le souvenir s’effaça aussitôt pour l’amener sur un décor extérieur, où elle vit Syriana faire face à son frère. Ce dernier lui tendit la main.

— Ma chère sœur. Viens avec moi. Je connais le moyen de te libérer.

  Syriana frappa sa main pour la rejeter.

— Comment pourrais-je à nouveau te croire ? jeta-t-elle avec colère. C’est toi qui m’as vendue à ce type, en me faisant croire qu’il protégeait les victimes d’injustices ! Qu’il me protégerait de ces fous qui tyrannisent le bas peuple !

— Tu n’as pas le choix, Syriana. Vu l’état dans lequel a été retrouvé Maître Œil-de-Sang… Il est au seuil de la mort. Tu t’es condamnée. L’organisation va te tuer ! C’est de ta faute. Tout ça parce que tu n’as pas su te tenir tranquille ! À ses côtés, tu aurais été la femme la plus puissante du pays, plus jamais personne ne t’aurait entravée ! Était-ce si difficile que ça, de te soumettre à Œil-de-Sang pour en payer le prix ?

  Syriana le foudroya du regard.

— J’ai fait une erreur, reprit son frère. Malheureusement, l’organisation ne te lâchera jamais. Je ne veux pas te voir mourir, Syriana. Pour ça, tu peux me croire.

  Syriana se mura dans sa posture glaciale. Sa vie était anéantie. Ses espoirs de se reconstruire brisés. Que pouvait-elle encore se faire arracher ?

— Je t’en supplie. Tu n’auras aucun repos si tu ne m’écoutes pas.

— …quelle est donc ta solution ? le questionna Syriana, acerbe.

— Le Maître donne une énorme récompense pour quiconque parviendra à capturer la créature. Mais il est puissant. Si tu pouvais…

— Non. J’ai déjà du sang sur les mains. Je ne recommencerai pas.

— Tu es vraiment stupide ! s’emporta son frère. Cette créature n’a pas d’âme ! Tu veux la vérité ? La voilà ! Il s’agit d’un monstre créé par le Maître lui-même, dans le but de faire fonctionner son arme ultime ! Ce monstre ne vaut aucune considération, ce n’est même pas une personne ! Même un animal a bien plus de valeur que cette expérience !

  Syriana hoqueta de surprise en même temps qu’Elma. Elle serra soudain les poings de rage. Serymar avait certes beaucoup de choses à se reprocher, mais elle ne tolérait pas que l’on insulte d’une quelconque manière l’homme qu’elle avait décidé de servir.

— Je vous aurais déjà crevé les yeux si j’avais pu être en face de vous ! gronda Elma, remontée. Je vous aurais traîné aux pieds du Maître pour qu’il vous achève !

— Il compte éliminer tous les Sorciers, Mages, Apprentis et non-humains de la surface de Weylor, révéla le frère. Afin d’uniformiser le pays, que chacun soit identique et ait droit à la même chose. Est-ce vraiment ce que tu veux ?

— De quel côté es-tu ? Tu l’as rejoint, pourtant.

— J’étais désespéré, Syriana, comme toi. Et comme toi, j’ai commis l’irréparable. Je t’en prie. Fais ce que je te dis. Et tu vivras. J’essaierai de gagner du temps pour toi, en attendant.

  Syriana resta silencieuse un long moment.

— Que dois-je faire pour empêcher cette ignominie ?

— Tuer ce monstre. Ou au moins, l’affaiblir. Fais-le comme si tu voulais le tuer. Grâce à l’appareil que nous lui avons installé, tu pourras l’utiliser pour signaler votre position précise. Je reviendrai te chercher et nous préciserons bien que c’est toi qui es à l’origine de cet exploit. Le monstre mort, Œil-de-Sang ne pourra pas accomplir ses projets.

  Syriana se mordit la lèvre. Son cœur se meurtrissait.

— Très bien. Je le ferais. Ma vie, contre la sienne.

— Non… non ! gémit Elma.

  Tout redevint noir. L’esprit d’Elma s’engourdit et les limbes ténébreux l’emportèrent.




***



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