Chapitre 46 - 1

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  Le temps était idéal. Accompagné de Lya et Aquilée, Karel étala un plan que leur avait fourni Wil. Il jeta un œil critique à l’état du mat.

— On ne peut pas raccrocher une aussi grosse voile avec une structure dans cet état, releva Lya.

« Je m’en charge. »

  Karel sortit un des glands de sa poche qu’il avait ramassé chez les elfes noirs et la coinça entre les entailles du mât massacré à coups de hache. Il recula, frôla le manche de son épée dans son dos et tendit l’autre main vers la graine. Cette dernière germa comme si de nombreux serpents sortaient de leurs œufs et s’enroulèrent autour du mât imposant. Karel les épaissit, les entremêla et les poussa jusqu’au bout de leur croissance. Bientôt, les lianes se changèrent en écorce épaisse qui vint effacer la moindre trace de saccage, et solidifia la structure.

— Génial ! s’écria Aquilée. Ça résistera aux pires tempêtes ! C’est joli, en plus !

  Elle s’approcha avec la voile, longue de plusieurs mètres. Whélos n’avait pas regardé à la dépense pour leur fournir tout le nécessaire depuis Pershkin.

« Comme quoi, il ne faut jamais se fier aux apparences. » songea Karel.

  Le chercheur les avait tous surpris lors de leur affrontement avec les elfes. Whélos avait beaucoup plus de ressource que ce que son apparence de voyageur modeste laissait supposer. Tel quel, personne ne pouvait se douter qu’il avait passé une partie de sa vie à travailler au palais de Kyrma. Son savoir impressionnant en magie en aurait fait un des Mages les plus redoutables de Weylor s’il n’était pas un Sans-Pouvoir. Peut-être même aurait-il pu égaler le très haut niveau de Valkor et de Serymar.

— Lya, tu m’aides ? demanda Aquilée.

— Bien sûr, mais on va mettre un moment avant de monter là-haut !

  Aquilée étira un large sourire.

— J’ai une bien meilleure idée que monter cette échelle de cordes. Que dirais-tu de… voler ?

  Le visage de Lya s’illumina.

— Tu peux vraiment faire ça ? Ça serait génial ! J’en suis !

  Elle se tourna vers son frère avec une expression espiègle.

— Ça va, pas trop jaloux ? le nargua-t-elle.

« Complètement jaloux. » sourit Karel avec un rictus silencieux. « Profite, chanceuse ! »

  Lya l’embrassa sur la joue et se tint prête, cordages et une partie de la voile dans les mains. Outre cette envie puérile, le choix restait logique : Lya était la plus agile pour marcher sur le gréement sans tomber.

  Aquilée tendit son bras vers elle et Lya se retrouva propulsée à plusieurs mètres de hauteurs, dans un cri de joie. Enfin sur le gréement, Aquilée invoqua ses ailes et la rejoignit en un battement, une autre partie de la voile dans les mains.

  Depuis sa position, Karel les guida par des gestes où et comment accrocher la voile en fonction du plan fourni par Wil.

  Après les événements difficiles et ses doutes, l’apaisement l’envahit. Karel se rendait compte qu’il prenait grand plaisir à participer aux travaux du vaisseau comme si de rien n’était. Depuis qu’ils s’étaient tous mis au travail, sa mutité ne s’était plus imposée entre les autres et lui-même. Si différence s’effaçait, et cette fois, il était dans le monde réel. Rien de ce qu’il vivait là ne s’effondrerait du jour au lendemain comme aux Monts de la Mort, lorsqu’il était enfant. Il vivait, sans compromis, sans conditions pour se faire accepter. Et cela lui plaisait.




***




  Chacun s’était réuni dans la pièce principale sous le pont du navire. Wil déballa l’orbe du sac de toile.

— J’arrive, murmura-t-il pour lui-même. Tenez-bon, attendez-moi.

  Il revint à la réalité et se dirigea vers la machine en deux parties connectées à de nombreux tuyaux que Karel avait remarqué à son réveil. Wil plaça l’orbe au milieu et recula. Une aura magique mauve et bordeaux s’émana du cœur sombre, activant de nombreux éléments de machinerie du navire. Le groupe sursauta en regardant autour d’eux : comme chez les elfes, ils eurent le sentiment de voir une créature ressusciter après un long sommeil. Mais au contraire du totem, le vaisseau n’inspirait aucun malaise.

— Merveilleux ! commenta Whélos, les yeux brillants. Je ne pensais jamais avoir un jour la possibilité de contempler cette merveille d’aussi près ! Mêler magie et… Comment as-tu nommé cette science, déjà, Wil ?

  Le soulagement était visible sur le visage du marin, en voyant que le cœur de son navire n’avait pas été endommagé.

— « Mécanique ». Bon, c’est un peu plus compliqué que ça, mais pour vous simplifier les choses, on va résumer ça comme ça.

— Comment est-ce que ça fonctionne, exactement ? interrogea Whélos, enthousiaste.

  Wil se déplaça et modifia la position d’une vanne.

— Le cœur est ce qui permet d’alimenter le navire en énergie. Je ne peux pas vous en expliquer la fabrication. Déjà, parce qu’il s’agit d’un secret bien gardé chez nous et que de toute façon, je ne sais pas comment on les fabrique. Je sais juste que cette énergie est naturelle. Le pouvoir des Dragons imprègne chaque parcelle de Weylor, il existe donc quelques endroits, très difficiles à trouver, dont leur magie déborde. La source d’énergie qui émane de cet orbe provient de l’une de ces sources, d’où l’intérêt de ces malades à nous les voler.

  Wil vérifia une constante sur un autre élément du navire. Un écran rond protégé par du verre, avec une aiguille et des chiffres à l’intérieur.

— Après, comment nos ancêtres sont parvenus à cristalliser cette ressource magique, je n’en sais rien, reprit-il une fois satisfait. En tout cas, ça n’a aucune conséquence sur l’eau, et c’est le plus important.

  Il se déplaça de nouveau vers un autre panneau de commandes et déplaça certaines manettes de leur position initiale.

— Le navire avance grâce à l’eau. Pour simplifier, c’est un peu le même principe que les roues à aube. Toute la machinerie complexe que j’ai réparé depuis deux jours est très performante, mais produit une forte chaleur, surtout dans un lieu aussi enfermé. L’eau fait donc avancer le navire et maintient la machinerie à une température normale.

  En voyant les expressions de ses compagnons, Wil se gratta la tête.

— Un peu comme une fontaine, vous voyez ?

— Pas vraiment non, s’excusa Lya. Qu’est-ce que c’est ?

— C’est vrai, vous n’êtes vraiment pas influencés par les Avancés, se souvint Wil.

  Il se déplaça encore vers un panneau comportant plusieurs cadrans et jauges qu’il vérifia un à un.

— Je vous montrerai. Il y en a, sur notre île. Tu verras, c’est magnifique.

  Après avoir vérifié ses compteurs, il se dirigea vers l’échelle métallique.

— En gros, ça fonctionne par roulement. L’eau rentre et ressort jusqu’à ce que l’on désactive le navire. Imaginez que vous tirez l’eau d’un puits, sauf que vous n’avez pas besoin de vous casser le dos pour ça, une machine le fait à votre place, puis retourne l’eau dans le puits. Venez, aidez-moi à larguer les amarres !

« Les quoi ? »

  Karel risqua un œil en direction de ses comparses, mais à leur tête, il comprit qu’ils étaient aussi perdus que lui.

  Au silence qui régna soudain, Wil s’immobilisa sur le premier barreau de l’échelle. Il se tourna vers eux, l’expression d’abord désolée et gênée.

— Ça vous dirait de me donner un coup de main pour détacher le navire de la rive, s’il vous plaît ?

— À tes ordres, capitaine ! répondit Aquilée avec un sourire.

  Wil le lui rendit et quitta la pièce par la trappe. Il courut aussitôt vers le gaillard d’arrière jusqu’à la barre en forme de roue. Karel et les autres se précipitèrent vers les garde-corps pour détacher le navire.

  Enfin, le vaisseau s’éloigna. Karel était fasciné. Il n’était pas le seul : Lya, Aquilée et Whélos ne cachaient pas leur excitation. Les navires de la Tribu de l’Eau avaient une belle réputation sur Weylor et n’avaient jamais cessé d’enflammer les imaginations pendant des siècles. En voir un d’aussi près, mieux, en découvrir le fonctionnement, était un privilège. Karel devait admettre qu’il n’était pas peu fier d’avoir pu participer à ses réparations avec l’aide de ses compagnons.

  La grande voile principale avait été remplacée et réinstallée, le mat réparé et solidifié. Ils avaient tous travaillé sans relâche pendant deux jours, sous les directives de Wil qui s’était principalement occupé de la machinerie. Karel glissa sa main sur le bastingage en bois. Quels autres secrets renfermait ce vaisseau ? Il en était sûr, Wil ne leur avait pas tout montré

  Le sol trembla, les entrailles du navire vrombissaient. Karel était impressionné. Il avait le sentiment de se retrouver sur le dos d’une créature géante et majestueuse. À ses yeux, il s’agissait d’une autre forme de magie. Une magie qui pouvait s’apprendre même par les Sans-Pouvoirs.

  Le navire pivota en direction de la mer, provoquant des remous dans l’eau. Le groupe rejoignit Wil sur le gaillard d’arrière, mais le jeune homme ne leur demanda aucune aide. Tous remarquèrent à quel point le Sorcier de l’Eau était à l’aise et dans son élément. Il barrait le navire comme s’il avait fait ça toute sa vie et manipulait d’autres leviers disposés à côté de lui.

  L’euphorie retomba soudain lorsqu’ils virent l’état de la mer : démontée. Tout le monde se tourna vers Wil qui devenait blême.



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