Chapitre 47[F] - 1
Capitale de Kyrma, 100 ans plus tôt.
L’eau claire coula sur ses mains et, avec des mouvements sûrs et précis de ses doigts, Serymar acheva d’effacer la moindre trace de sang restante. Ceci fait, il pointa son index sur le tas de bandage souillé à ses pieds. Il lui suffit d’une étincelle pour le réduire en cendres.
Des pas dans son dos. Ne disposant plus de bandages pour cacher ses mains, Serymar les dissimula sous les longues manches de sa tunique, réajusta son demi-masque et rabattit la large capuche de sa cape noire sur sa tête.
— Rares sont les personnes à rester aussi maîtresses d’elles-mêmes lors de ces interventions. J’ai encore du mal à croire qu’il s’agissait d’une première fois pour vous.
Serymar se tourna vers son interlocuteur dans un geste lent : un humain d’un âge mûr, aux cheveux blancs.
— Les choses sont pourtant telles que je vous l’ai dit : j’ai eu la meilleure des maîtres pour la théorie, mais cette dernière n’est rien sans pratique. Vous aviez besoin d’une personne avec suffisamment de connaissances pour vous assister. Une sage décision. Cette intervention est toujours périlleuse de ce côté du pays. J’avais besoin d’une personne compétente pour m’enseigner. Il s’agit pour moi d’un simple échange.
Il pensait à Crystal, à qui il devait toutes ses connaissances dans le domaine de la nature vivante et médical. Toutefois, mieux valait rester vague pour ne pas attirer l’attention. Tourné ainsi, Serymar pouvait se faire passer pour une personne aveuglée par son admiration, mais en restant sur la vérité.
Cela faisait environ quatre mois que Syriana était enceinte. Elle était si malade que Serymar n’avait pu la quitter pendant tout ce temps. Cela ne faisait que quelques semaines qu’elle commençait à se sentir un peu mieux. Il avait donc pu quitter les Monts avec moins d’inquiétude. La seule solution qu’il avait trouvée pour respecter la volonté de sa bien-aimée, à savoir un moyen de les aider sans tuer quelqu’un, avait été d’apprendre par lui-même comment aider Syriana dans les prochains mois. Au vu de leur situation, ils ne pouvaient se permettre de faire venir qui que ce soit. Ils devaient restés cachés de tous.
— Il est en effet plutôt sage d’assurer ses gestes sur ce genre d’intervention, approuva médecin.
— Je vais prendre congé, maintenant, annonça Serymar.
— Très bien. Je vous remercie pour votre aide. Êtes-vous certain de ne pas être intéressé de travailler pour moi ? Vos pouvoirs me seraient bien utiles. Grâce à eux, cette patiente n’a pas eu à souffrir, et tout s’est bien passé.
— Ma décision n’a pas changée, et veuillez me croire, cela vaut mieux pour vous. Les gens de cette époque ne sont pas encore aussi conscients que vous des choses.
Le médecin le regarda derrière ses lunettes.
— Ce point de vue est logique. Mais vous savez, au bout d’un moment, il faut savoir prendre des risques pour faire avancer les choses, et les faire évoluer. Nous ne disposons pas de la science Avancée, ici. Mes propres connaissances paraissent bien rudimentaires à côté des leurs. Mais certaines personnes, comme vous, sont capables de maîtriser la magie. Avec ce genre d’assistance, notre médecine pourrait rivaliser avec celle des Avancés, et moins de gens mourraient lors d’une intervention délicate. Les médecins Avancés seraient un peu moins surchargés de personnes à sauver.
— Votre objectif est noble et je le respecte, sincèrement, répondit Serymar après quelques secondes de réflexion. Bien que je ne puisse contre-argumenter cette notion de risque à prendre et à assumer pour faire évoluer les mentalités, sachez que je dispose d’excellentes raisons de refuser de continuer à vous assister. Mon avis tend à dire qu’il est encore trop tôt pour ce genre de projet, et qu’il vaut mieux pour vous de trouver une autre personne qui ait ces mêmes capacités magiques que j’ai dû déployer, que moi. Il serait dommage que vous mouriez trop tôt à cause de personnes qui refusent cette voie d’évolution que vous proposez.
Le silence tomba entre eux. Dans le fond, Serymar ressentait de la satisfaction à l’idée qu’il existait ce genre de personne sur Weylor. Malgré cette malédiction, le bon en ce pays n’avait pas disparu. Des gens continuaient encore à se battre pour leurs nobles idéaux, et ce malgré les menaces perpétrées par Œil-de-Sang, qui influençait cette tyrannie sans se révéler. Pas encore.
— Il vaut mieux attendre que ce groupe de personne faiblisse et que vous vous éleviez au meilleur moment, reprit-il. S’ils vous éliminent avant, vous n’aurez plus aucune chance de proposer ce projet et de laisser les mentalités y adhérer. En attendant, continuez à développer votre art. Vous aurez de moins en moins besoin de magie pour vous aider. Peut-être que vos connaissances n’atteindront jamais le niveau d’efficacité des Avancés, mais elles amélioreront grandement la vie des mortels.
— Mh. Vous devez faire partie de ces espèces qui vivent très longtemps pour énoncer de telles paroles, releva le médecin. Bien que vos paroles ne soient pas dénuées de sens, vous ne pouvez donc pas vraiment comprendre la frustration de ne pas voir l’accomplissement de ses projets. Un souhait dérisoire et puéril, je le reconnais, mais qui peut justement pousser à l’empressement.
Serymar analysa ces paroles.
— À vrai dire… Je suis un peu en mesure de le comprendre.
Il repensait à tout ce temps qu’il avait perdu entre la vie et la mort. Un siècle.
— Il est temps pour moi de partir. Si vous souhaitez préserver votre vie plus longtemps, veuillez ne pas de me retenir ni de me retrouver. Surtout, essayez de m’oublier.
— Je me demande quelle est la nature de la chose qui vous poursuit, pour bénéficier de telles recommandations, nota le médecin, ses doigts jouant avec sa courte barbe blanche.
— Une force qui va au-delà de tout ce que l’on peut imaginer, et qui est fort dangereuse pour l’avenir. Or, vos compétences se doivent de se perpétuer dans le futur. Votre vie a de la valeur, il faut la préserver.
Il s’éloigna, s’immobilisa, et revint vers l’homme en lui tendant une bourse sur laquelle était attachée un message roulé.
— Il est risqué pour moi d’envoyer cette missive moi-même. Puis-je compter sur vous pour la confier à un membre de la Tribu du Vent ?
Le médecin prit le paquet dans sa main.
— Bien sûr. Ayez l’esprit tranquille. Quelle destination dois-je transmettre ?
— Le quartier pauvre de Winror. Il y a un jeune chasseur là-bas qui a du mérite.
— Ça sera fait. Merci pour votre aide.
Serymar hésita. Il détourna le regard.
— Non… C’est moi qui vous suis redevable. D’avoir appris à ces mains à soutenir la vie au lieu de l’annihiler.
Il se volatilisa sur ces mots.
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