Chapitre 48* - 1
« Mon frère est de retour dans ma vie. »
Elma frissonna.
« Serymar s’est absenté depuis quelques semaines, pour nous protéger, Aëlys et moi, et acquérir des compétences adéquates pour me permettre de donner la vie ici-même. Ne pas craindre la vue du sang est un sacré avantage, dans ce genre de cas. »
« Aëlys… »
Elma avait déjà vu ce nom, associé au symbole d’une rose blanche.
« Serymar avait entouré deux dates sur ce calendrier, comme pour calculer un temps à sa disposition. La première devait être le jour où ils ont su que Syriana était enceinte. L’autre… plusieurs jours étaient entourés, je m’en souviens. Il supposait qu’Aëlys verrait le jour à ce moment-là, mais il ignorait quand précisément. Par les Dragons… qu’est-il arrivé à cette petite et à Syriana ? »
Elma frissonna lorsque les mots de Serymar lui revinrent en mémoire.
« Sais-tu comment cela se termine, généralement, Elma ? »
— Par la Mort elle-même… murmura-t-elle, la voix blanche. Oh non, ne me dites pas que vous avez perdu confiance en Syriana !
Elma manqua de défaillir. Quand Serymar avait assassiné ses anciens serviteurs qui l’avaient trahi, lorsque Karel était enfant. Après le carnage, il était venu la voir et avait eu une attitude étrange, lorsqu’Elma lui avait demandé s’il serait capable de la tuer aussi froidement si elle le décevait de cette manière.
« Disons… Que j’eus déjà l’occasion de le faire une seule fois. Ce fut… fort déplaisant. J’apprécierai que tu ne m’obliges pas à réitérer cette expérience. »
Elma étouffa une exclamation d’horreur. Ses doigts tremblèrent, les larmes brûlèrent le coin de ses yeux.
— Par les Dragons, dîtes-moi que vous n’avez pas fait ça…
Avait-il parlé de Syriana, ce jour-là ?
— Non… Vous deviez avoir une raison… n’est-ce pas ? Vous ne pouvez pas être ce genre de monstre !
Tremblante, Elma vit une dernière feuille. Son cœur se morcela. L’écriture était à nouveau nerveuse. Des tâches rendaient la le papier transparent, comme si des larmes y avaient été versés.
« Je suis tellement désolée. Je regrette. J’ignorai qui tu étais, mais j’étais bel et bien là pour t’assassiner. Leur assurer que cette chose, qu’ils avaient implanté dans ta plaie, fonctionnait. Mais je me suis rétractée. Mes sentiments ont évolué au fil du temps : ils sont devenus profondément sincères, je te l’assure. Tout ce que je souhaitais, c’était de vivre cette vie que l’on m’avait interdite : celle de construire quelque chose avec Aëlys et toi. Mon frère menace ces plans.
Je veux seulement réussir l’exploit de donner la vie à Aëlys, de lui offrir la meilleure vie possible, cracher au monde entier que j’en étais aussi capable que tant d’autres… et soigner ton âme. Je t’en supplie, n’en doute pas. Je t’aime. »
Les mains tremblantes, Elma replia les feuillets avec soin et les rangea sous le matelas. Elle renifla et dût passer une main sur son visage pour essuyer ses larmes.
— Il faut que nous nous revoyions, Syriana.
Ses yeux brillèrent d’une détermination renouvelée : elle devait absolument jeter un œil à la Tombe de Cristal. Elma étant une Sans-Pouvoir, elle ne pouvait pas communiquer avec les esprits. Syriana avait dû la toucher pour mener leurs âmes dans ce lieu spirituel, où elles avaient pu échanger. Comment y revenir ?
Elma sorti de sa robe l’écaille ensorcelé avec son sang et fixa les vieilles lettres devant elle.
— Syriana. Je vous en prie, dîtes-moi comment ouvrir la Tombe de Cristal ! Revenez à moi !
L’écaille luit d’une lueur argentée. Elma l’apposa sur les lettres. Comme elle l’avait supposé, de lourds vertiges la prirent et sa conscience s’évapora.
Elle se retrouva à nouveau dans cet espace immaculé, parsemé de portes grises voilées. Syriana se tenait à quelques mètres en face d’elle. Elma se figea un instant, ignorant comment réagir : l’esprit de Syriana ne semblait pas encore l’avoir vue, la main était posée sur son ventre plat. Elle sursauta et se précipita pour la rejoindre.
— Elma ! s’écria-t-elle. J’étais inquiète ! Je ne t’ai pas vue ressortir de mes souvenirs ! Tu n’es pas blessée ?
L’émotion gagna la jeune femme. Elle ne s’était pas attendue à autant de sollicitude. Elle se raidit quand Syriana la prit dans ses bras, surprise.
— Je suis désolée, ça a dû être terrible !
L’inquiétude figea Elma.
— Je croyais que vous ne vous en souveniez plus ?
Syriana s’écarta d’elle et la regarda droit dans les yeux.
— C’est le cas. Un mort ne peut reposer en paix si la souffrance l’étreint. Il s’agit juste là de mes propres conclusions. Et d’ailleurs je…
Elle hésita.
— Qu’y a-t-il ? l’encouragea Elma en lui prenant les mains.
Syriana lui adressa une expression contrite.
— Je n’ai aucun souvenir de mon accouchement non-plus. Peut-être suis-je morte à ce moment-là ? En donnant la vie ?
— Je l’ignore, Syriana. Si ce souvenir vous a aussi été enlevé, c’est qu’il pourrait troubler votre repos plus qu’il ne l’est déjà en ce moment.
— Maintenant que tu le dis, c’est vrai que c’est étrange.
Syriana recula et se laissa aller à ses réflexions.
— En temps normal, il nous aurait été impossible de nous rencontrer. Cela signifie donc que mon âme n’a pas été libéré de mon corps. Il est donc encore quelque part.
Elma blêmit alors que les conclusions se révélaient à elle. Les moments de mélancolie de Serymar, quand il s’absentait.
— S’il vous plaît, Syriana, aidez-moi. Je crois que je sais où se trouve votre corps. J’ignore pourquoi Serymar n’a pas eu cette décence envers vous. Je suis prête à parier que la réponse se trouve dans cette galerie. Vous devez m’aider à y entrer !
Son âme jumelle la dévisagea avec une expression désolée.
— Comment ?
Elma prit quelques secondes pour réfléchir. Quelques années plus tôt, elle était seulement parvenue à ouvrir la tombe. La clé était Aëlys.
— Syriana. Comment avez-vous choisi le prénom de votre fille ?
Ce moment ne devait pas être un mauvais souvenir. Elle devait donc le posséder encore. Elma s’approcha de son âme jumelle.
— Montrez-moi.
Syriana assentit. Elma était touchée par tant de confiance. Toutes deux avaient un objectif commun. Peut-être qu’en le réalisant, Syriana rejoindrait enfin le monde d’Illuyankas pour y être en sécurité.
— Bien sûr. Celui-là, je le peux.
— Je suis vraiment désolée de m’immiscer comme ça, s’excusa Elma.
Syriana lui sourit pour toute réponse, prit ses mains et l’entraîna dans son sillage. Les voiles sinistres disparurent et Elma eut l’impression de traverser un vortex de souvenirs, à l’image de ceux associés au veux calendrier. Elma ne lâcha pas Syriana jusqu’à ce que le décor se fige enfin.
***
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