Chapitre 48*+[F] - 2

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  100 ans plus tôt.




  Depuis quelques temps, Serymar redécouvrait les vertus du silence. Installé dans un salon qu’il avait improvisé avec Syriana, il se laissait aller à ses pensées, assis sur un large fauteuil à côté de sa compagne qui laissait reposer sa tête contre son épaule. Il l’avait entourée d’un bras, sa main libre posée sur sa jambe. Il savourait la simplicité de l’instant. Pas de heurt. Pas de bruit. Pas de mouvement. Seulement eux deux. Ou plutôt trois.

  Comme si elle lisait en lui, Syriana lui prit la main pour la poser sur son ventre de quatre mois.

— Tu en as envie, lui susurra-t-elle.

  Il la remercia en pensées. Un léger sourire étira la commissure de ses lèvres alors que des sillons argentés apparurent sur sa main, pendant que ses sens plongeaient à l’intérieur du ventre de Syriana. Le bonheur l’envahit lorsqu’il ressentit cette petite présence comme si elle se tenait dans le creux de sa paume ouverte. Il aimait la ressentir, la percevoir, suivre d’aussi près son évolution jour après jour. Il sonda l’enfant en formation et s’amusa à lui frôler le pied qui se déroba aussitôt, lui arrachant un léger rire.

« Bonjour, toi. »

  Il se retira avec délicatesse pour ne prendre aucun risque. Lorsqu’il sortit de sa transe, Syriana le dévisageait. Il l’interrogea du regard.

— C’est la première fois que je t’entends rire.

— Puis-je savoir comment comptes-tu me coincer un jour avec ce moment de faiblesse ?

  Syriana lui vola un baiser et ses yeux pétillèrent.

— Ça t’apprendra à essayer de me tuer le jour de notre rencontre.

— Que faudrait-il que je fasse pour que ma reine me pardonne un jour ? ironisa Serymar.

— Ta dette sera longue, sourit Syriana. Très longue.

— Comme c’est… adorable.

  Elle rit. Serymar ne tint plus.

— Tu attends une fille.

  Syriana regarda son ventre avec émotion.

— Enfin, enfin nous le savons !

  La satisfaction le saisit d’avoir comblé l’impatience de Syriana. Quatre mois. Il se languissait autant qu’il redoutait les prochains mois. Ses calculs n’étaient qu’approximatifs.

— Qu’est-ce qui te préoccupe ?

  Rien ne semblait lui échapper.

— Le domaine de la gestation est plutôt complexe. Surtout en sachant qu’il est différent d’une espèce à une autre. Malgré toutes les théories possibles, tout et n’importe quoi peut arriver. C’est d’autant plus difficile pour moi qui suis un homme, qui ne ressent donc pas les changements en toi.

— Qu’est-ce que ça change ? s’étonna Syriana. C’est moi qui porte.

  Serymar soupira de résignation en observant à quel point ces connaissances étaient si peu développées même à cette époque.

— On ne soigne pas une femme comme on soigne un homme. Nos systèmes biologiques sont complètement différents. Vous n’êtes pas des copies de nous avec la fonction « donner la vie » en plus. C’est bien plus que ça. Le problème, et cela m’agace, c’est que je doute que cette logique rentre dans les mœurs un jour.

  Syriana laissa planer un silence.

— Il faut lui trouver un nom, fit-elle pour changer de sujet. Un nom qui aurait une signification, comme il est de coutume chez les non-humains.

— Elle est à moitié humaine, rappela Serymar. C’est toi qui endures, je n’ai donc pas mon mot à dire.

— On ne contrarie pas une femme enceinte, mon amour. Et je souhaite ton assistance.

  Serymar se tut, sachant d’avance qu’il ne gagnerait pas contre elle. Comme toujours. Ces derniers mois, il avait appris à lire dans les jeux de sa compagne. Ces caprices avaient pour but de le tirer de son introversion. Syriana lui signifiait que dans cette vie qu’ils cherchaient à se bâtir, son avis personnel comptait, désormais.

— Très bien, capitula Serymar. Dans ce cas, sache que ces noms ne sont pas donnés par hasard. Ils sont toujours liés à une raison quelconque, qu’elle soit anodine ou importante. J’aimerai que celui de notre fille fasse partie de la seconde catégorie.

  Syriana sourit en posant une main sur la sienne. Il détourna le regard mais ne se déroba pas. Ce contact, il ne pouvait plus s’en passer. Le seul qu’il ne redoutait pas.

— Rose, proposa-t-il. Navré de ne pas être plus inspiré. Mais… c’est celui qui me vient naturellement à l’esprit, quand je la frôle. Et j’apprécie la signification qui y est rattachée.

— Dois-je m’en étonner, de la part d’un demi-elfe ? plaisanta Syriana.

  Serymar retira sa main et se détourna, mal à l’aise. Syriana laissa échapper un rire devant son silence. Son bonheur enfla. Elle prit son visage pour le tourner vers elle.

— Apprends-moi cette fameuse signification. Je te dirai ensuite si ce nom me plaît.

  Serymar lui saisit la main pour l’écarter de son visage.

— Aussi belle qu’une rose, mais au caractère aussi acéré que les épines qui la protègent des intentions malveillantes, énonça-t-il.

  Leurs regards se rencontrèrent, le silence s’insinua, magique alors qu’ils se perdaient dans le regard de l’un et de l’autre.

— Comment dit-on « Rose » en ancien dragon ? demanda Syriana. C’est le dialecte que j’ai choisi.

— « Aë », murmura Serymar en se détournant.

  Il se perdit quelques secondes dans ses réflexions avant de la regarder à nouveau.

— « Ys » signifie blanc, la couleur du possible, d’une nouvelle page qui s’écrit. Cela représente bien ce qu’elle est pour nous : notre espoir d’avenir. Une rose blanche. Que penses-tu d’Aëlys ?

  Syriana irradia de bonheur.

— Ça me plait beaucoup ! Qu’il en soit ainsi !

  Serymar ne répondit rien, mais se laissa envahir par la bonne humeur contagieuse de sa compagne. Il se sentait toujours plus léger en sa présence, ce qui ne faisait que nourrir son attirance à son égard.

— S’il te plaît, traduis-moi la signification de Rose en Dragon ! quémanda Syriana.

— Quel intérêt ? demanda Serymar, perdu.

  Syriana le regarda avec une expression amusée.

— Tu es vraiment désespérant, mon amour, rit-elle.

— Ravi que mes incompréhensions du monde t’amusent.

— Ne le prends pas mal, sourit Syriana. J’aime beaucoup ce contraste chez toi. Tu es capable d’analyser et de réfléchir des heures sur des sujets complexes, alors que tu es incapable de comprendre des choses essentielles et plus simples. Cela me fascine.

  Serymar leva les yeux au ciel. Syriana l’embrassa su la joue.

— C’est juste pour mon plaisir personnel. Maintenant que tu as ta réponse, peux-tu me faire ce plaisir ?

  Serymar attira à lui un morceau de papier déchiré. Il inscrivit sur la face la phrase en langue commune. Sur le verso, l’équivalent en Dragon. Il tendit le papier à Syriana.

— Cela vous contente-t-il, ma chère Dame ?




***

  Elma se retrouva soudain dans cette étendue immaculée, les mains soutenues par Syriana en face d’elle.

— Je vous admire, annonça Elma.

  Les yeux de Syriana pétillèrent lorsqu’elle comprit l’allusion.

— J’avais très vite compris qu’en dépit de son envie de changer, il avait du mal à se défaire de son conditionnement violent. Ensuite… c’était amusant de le coincer comme ça. Comme je le lui avais signifié, c’était mérité. Je n’allais quand même pas oublier si facilement la manière dont il m’a traitée au début.

— Je l’avoue, c’était mérité, rit Elma.

— As-tu trouvé quelque chose ? s’enquit Syriana.

  Déboussolée, Elma prit quelques instants pour analyser ce qu’elle avait vu. Elle avait d’abord porté son attention sur la conversation, ce qui avait été une erreur. Elle avait immédiatement reconnu le vieux morceau de papier. Celui-là même qu’elle avait trouvée dans la pièce autrefois saccagée par Serymar. Elma déglutit. Cette salle était ce même salon improvisé il y a un siècle.

— Oui, répondit-elle en regardant Syriana. Malheureusement, il m’est risquée de retrouver cette inscription. Vous souvenez-vous de l’énoncé en Dragon ?

  À son grand soulagement, Syriana confirma d’un léger hochement de tête.

— Alors apprenez-le moi.

  Syriana se rapprocha d’elle et amena son front au sien. Lorsqu’elles se frôlèrent, Elma sursauta en ressentant une intrusion dans sa mémoire. La traduction en Dragon se grava dans son esprit comme si ce souvenir lui appartenait. Syriana s’éloigna et plongea ses yeux dans les siens.

— Elma. Je suis si heureuse et honorée de t’avoir rencontrée. Ne te sous-estime pas, tu vaux bien plus que tu ne le penses. Tu peux les sauver tous les deux.

  L’émotion saisit la jeune femme.

— Je… je suis loin de vous égaler !

  Syriana effectua un signe de négation de la tête et son doux visage lui offrit une expression bienveillante.

— Tu as un courage que je n’ai pas, Elma. Je n’ai pas su affronter mes problèmes. J’ai fait comme s’ils n’existaient plus et j’ai plongé dans la complaisance. Même si je n’ai plus mes souvenirs néfastes, il est évident que je suis morte pour cette raison. Je n’ai jamais osé dire à Serymar que j’étais là pour le tuer. Toi… toi, tu as ce courage rare d’assumer tes erreurs et d’y faire face.

— Comment… comment pouvez-vous en être aussi sûre ?

  Syriana lui offrit une expression désolée.

— En te transmettant mon souvenir, j’ai vu tout ce que tu avais traversé. Je ne le voulais pas, je suis désolée. C’est terrible, tout ce qui t’es arrivée. Je n’aurais jamais eu le quart de ton courage. Je n’aurais jamais eu la force d’avorter. Je n’aurais pas supporté d’être forcée d’endurer la douleur de mentir à un enfant pendant tant d’années. J’ai beau être en colère contre Serymar de vous avoir infligé ça, je me doute qu’il l’a fait parce qu’il s’est retrouvé dans une impasse. Il t’avait donnée la raison, quand il a enlevé ce garçon.

  Elle marqua un court silence et prit les mains d’Elma.

— S’il te plaît, ne fais pas la même erreur que moi. J’aurais dû lui faire confiance. J’aurais dû… j’aurais dû lui dire toute la vérité. Tu es la seule qui peut le faire. Je t’apprécie beaucoup et… je serais vraiment malheureuse si tu me rejoignais dans le monde des morts dans les prochains jours.

— Syriana…

— Dis-lui. Dis-lui tout.

  Elma sentit des larmes rouler sur ses joues.

— Comment puis-je vous appeler si j’ai encore besoin de vous ?

  Syriana la prit dans ses bras.

— Nous sommes issues de la même âme. Même si plus rien ne me retient ici, je serais toujours là, lui fit-elle en posant une main sur son cœur.

  Elma ne répondit rien. Elle en était incapable.

— Merci, ajouta Syriana. Merci, de me permettre de rattraper mes erreurs en te donnant toute l’aide possible. Prends soin de lui pour moi, s’il te plaît. Il est temps que tu rentres, maintenant. Il est dangereux pour un vivant de rester trop longtemps dans l’espace spirituel.

  Elle reprit les mains d’Elma pour la ramener. L’environnement se brouilla et son esprit se fit aspirer dans les limbes ténébreux.

— Tu n’es plus toute seule, Elma, entendit-elle résonner.

***

  Étendue sur son lit, Elma essuya ses larmes. Elle se revoyait cette femme radieuse et ce ventre arrondi. Elle voyait son esprit lui faire face et lui exprimer tout son soutien. Elma commençait à comprendre pourquoi Serymar s’était épris d’elle.

  Elma se redressa et releva la tête, ses yeux verts brillant de détermination.

— Merci Syriana. Je sais comment ouvrir la Tombe de Cristal, maintenant. Karel, tiens bon.

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