Chapitre 49*

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  Debout devant une fenêtre, Serymar aperçut enfin Uriel, quelque part sur les plaines sombres. Sa vision pouvait aller loin. Il ne se gêna donc pas pour l’espionner, impatient de lui rappeler certaines règles. Serymar vérifia qu’Uriel n’avait pas été suivi. Vu le démon qu’il avait déterré en piégeant le groupe de Karel, la prudence était de mise.

  Elma était dehors. Serymar se crispa en voyant Uriel l’intercepter. Elma restait calme en apparence. Il soupira.

« Elma… il va falloir travailler encore un peu là-dessus. »

  Ne pas montrer la moindre appréhension. Uriel semblait insister sur quelque chose, et Elma refusait.

« Où allait-elle ? »

  Soit à l’arbre ressuscité de Karel, soit vers la tombe d’Enorën, comme souvent. Enfin, Uriel s’éloigna d’elle. Quel avait pu être leur sujet de conversation ?

  Après de longues minutes, il entendit les pas d’Uriel à l’intérieur. Il se téléporta dans le hall à quelques mètres de lui.

— Maître, me voilà de retour.

— Je t’attendais.

  Il observa un silence, fixa Uriel qui se figea, méfiant. À raison. Serymar le dévisagea avec férocité et effectua un rapide mouvement de la main qui jeta Uriel au sol sans ménagement. Il étouffa une exclamation de surprise. Serymar le rejoignit, se pencha et le ramassa par le col et le plaqua avec force contre le mur.

— Rappelle-moi la mission que je t’avais donnée, le menaça-t-il.

— Suivre Karel, obéit Uriel, hésitant. Être vos yeux et vos oreilles. Veiller au bon déroulement de la Prophétie.

  Il se débattit. Serymar le relâcha.

— Et c’est ce que j’ai fait ! plaida-t-il. Je les ai menés à Phényxia ! J’ai même trouvé le moyen de leur fournir un de nos navires !

— C’était toi qui devais les conduire à la Tour de l’Eau, rappela froidement Serymar. Phényxia et Œil-de-Sang n’étaient pas encore censés savoir ce que je tramais ! Aussi, je considère ta mission comme un échec. Tu es porteur de magie, je t’avais équipé de sorts jetables pour t’aider dans cette tâche. Même les Sans-Pouvoirs qui me servent ont toujours été cent fois plus efficaces que toi dans chaque mission que j’ai pu leur donner !

  Serymar s’éloigna du Sorcier. Il n’imaginait pas les ressources qu’il avait dû déployer pour rétablir une connexion avec Karel et pour créer des sorts de protection en urgence.

— J’aimerai que vous respectiez votre part, osa lui rappeler Uriel. Vous m’aviez promis la puissance.

— Seulement à condition que tu remplisses ta propre part, ce qui n’a pas été le cas. Ensuite…

  Il fixa Uriel avec un regard mauvais.

— Si tu penses que la puissance, c’est avoir des pouvoirs capables de créer des catastrophes et de devenir invincible, alors tu es bien loin du compte. Tu deviens là, à mes yeux, un imbécile dénué de réflexion.

  Uriel se crispa.

— Karel avait parfaitement compris sans même que je n’ai eu à le lui expliquer, l’acheva Serymar. Il n’avait même pas dix ans quand il en a pris conscience. Tu as la trentaine, il serait peut-être temps de commencer à utiliser ta tête au lieu de te comporter comme un adolescent frustré.

  Uriel serra les poings.

— Encore cette réflexion, gronda-t-il.

  Serymar en ressentit une satisfaction malsaine.

— Si mes remarques t’agacent, fais en sorte de ne plus les mériter. Que les choses soient claires, puisqu’il faut te réexpliquer les choses comme à un demeuré : je ne t’ai jamais promis la puissance. Seulement de maîtriser des sorts du niveau d’un Mage dans le cadre de tes pouvoirs. Ce qui est très différent. Ne me prête surtout pas des engagements que je n’ai jamais énoncé, ou tu risques de le regretter.

  Uriel ne répondit pas, tendu. En quoi Karel était-il meilleur que lui ?

— Tu étais censé les accompagner au moins jusqu’à la Tour de Némésis, lui reprocha Serymar. Mais l’imbécile que tu es s’est trahi à peine après les avoir rejoints.

  Uriel ne tint plus.

— Et qu’aurait-il fallu que je fasse, avec cette Mage de Winror qui m’avait percé à jour ? Je ne pouvais quand même pas dire la vérité à Karel !

  Serymar le fixa.

— C’est précisément ce que tu aurais dû faire.

  Uriel le considéra avec étonnement. Serymar leva les yeux au ciel. Encore une évidence que lui seul semblait voir. Il contint son agacement.

— J’ai appris à Karel à réfléchir comme moi. Et même sans ça, il me connaît assez pour savoir comment je peux fonctionner. Il sait que toute personne sous mes ordres ne peut se dérober aisément, sauf si je le décide ou si la personne meurt. Lui dire la plus stricte vérité aurait levé le doute entre vous et tel que je le connais, il se serait mis en tête cette idée idiote de t’aider à m’échapper. Comme tu lui as menti, il n’a pas cessé de se méfier de toi. Lui dire la vérité aurait au moins endormi sa méfiance pendant un temps.

— De toute façon, ils se sont échappés, tenta Uriel. Vos plans ne sont pas en échec.

  À peine prononça-t-il le dernier mot qu’il se heurta à nouveau contre le mur. Le bras tendu, Serymar le toisait, les yeux flamboyant de colère.

— Je te demande pardon ? fulmina-t-il.

  Uriel tomba sur le sol et tituba, sonné. Maladroitement, il tenta de rester debout.

— Avec tes idioties, au contraire, mes projets se retrouvent chamboulés. Tu as attiré sur nous l’attention d’un être pire que moi. Ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’il ne lance une attaque ici-même.

— Je… je ne comprends pas ce qui vous lie, balbutia Uriel.

— Ça ne te regarde pas, répondit sèchement Serymar. Tu vas repartir tout de suite. Il semble qu’ils aient trouvé quelque chose d’important à l’intérieur de ce totem. Tu vas me la rapporter.

— Puis-je au moins avoir un indice sur ce dont il s’agit ? grimaça Uriel.

— Si je savais de quoi il s’agissait, je te l’aurais décrit clairement, imbécile. Cela t’arrive, d’utiliser ta tête, ou tu le fais exprès ? s’agaça Serymar.

  Comme les tours, impossible d’espionner ce qui se passait à l’intérieur. Serymar avait vu le groupe fuir et se faire capturer. L’associé du Messager des Dragons s’était montré par la suite trop flegmatique. Les impressions de Serymar s’étaient vues confirmées lorsqu’Œil-de-Sang avait ordonné une fouille au corps, contrarié. Le chercheur avait trouvé quelque chose d’important.

  Uriel n’enchaîna pas, jouant sur la prudence.

— Je veux aussi que tu détournes l’attention de notre ennemi du chemin de Karel, ajouta Serymar. Sans l’attirer sur toi. Phényxia est à ta recherche, utilise cette situation à ton avantage. Si tu réussis… là seulement, j’envisagerai de te donner ce que tu es venu chercher.

  Peut-être parviendrait-il à gagner un peu de temps en utilisant Uriel comme leurre. Dans tous les cas, son ennemi remonterait jusqu’à lui, ça, Serymar le savait. Œil-de-Sang voulait aussi utiliser Karel. Il était parvenu à semer le doute dans l’esprit du jeune homme, un doute qui pourrait s’avérer dangereux. La seule solution était de brouiller les pistes pour détourner l’attention d’Œil-de-Sang de Karel. Serymar aurait le temps d’intercepter son ancien Apprenti le premier et au moment opportun pour prendre son ennemi par surprise. Dans la théorie où ce plan fonctionnerait.

  Il se redressa et toisa Uriel.

— Tu as manqué ta chance. Si tu avais mieux agi, tu aurais pu accéder à la Tour de Némésis, au lieu de cet autre garçon. Tu aurais obtenu un don de sa part. Si, lorsque je te donne l’occasion d’obtenir ce que tu souhaites, du moins en partie, et que tu ne la saisis pas, ne viens surtout pas te plaindre auprès de moi en m’accusant soi-disant de ne pas respecter ma parole.

  Le choc décomposa le visage d’Uriel. Il se rembrunit, comprenant les conséquences de son échec. Son expression s’assombrit au vu de la teneur dangereuse de sa nouvelle mission. Il estimait que c’était hors de son niveau, mais il n’allait pas refuser un nouveau test pour obtenir ce qu’il souhaitait. Il se redressa et inclina la tête.

— Je… je pars immédiatement.

— Une dernière chose, Uriel.

  Le Sorcier ne répondit pas et frissonna face à l’expression menaçante de Serymar.

— Notre accord ne t’autorise en rien à t’en prendre d’une quelconque manière à mes serviteurs, et encore moins à les traiter comme tu le fais. Tu n’es pas au-dessus d’eux, et ils n’obéissent qu’à mes seuls ordres. Ose te permettre encore une seule fois ce comportement et notre accord sera rompu. Ai-je besoin de te rappeler ce qui arrive, dans ce cas précis ?

— Non, Maître. J’ai parfaitement compris.

— Hors de ma vue. Immédiatement.

  Uriel ne se le fit pas dire deux fois. Serymar attendit de longues minutes jusqu’à l’entendre s’éloigner suffisamment. Il disparut.

  Il rejoignit une pièce où était assis Orën, derrière une table pour étudier quelques paperasses, concentré. Il se rendit enfin compte de la présence de Serymar.

— Il n’y a pas d’anomalie à déplorer, Maître, l’informa-t-il. Nos stocks nous permettront de tenir encore plusieurs mois. Enfin, si le Sorcier veut bien se tenir tranquille et cesse de considérer que tout lui est dû de par son statut de Sorcier.

  Une expression visible de dégoût déformait ses traits. Serymar comprenait ce sentiment.

— Uriel n’a pas connu la misère comme nous tous ici, expliqua-t-il avec patience. Et encore moins le fait d’avoir été considéré comme un sous-être. Il est né avec le privilège d’avoir le droit de vivre comme n’importe qui. Il ne peut pas comprendre.

— Karel n’a jamais été comme ça avec nous ! rétorqua Orën.

— Elma et moi l’avons élevé en ce sens. J’ai remis Uriel à la place qui lui revient. Oublie-le pour l’instant, j’ai une mission importante pour toi.

  Orën se montra attentif. Serymar s’appuya avec nonchalance contre un meuble.

— Je veux que tu ailles à la capitale et que tu te fournisses en documentation sur la technologie Avancée. Tout ce que tu pourras trouver, et plus particulièrement sur ce qui concerne leur science étrange. Si tu peux aussi trouver quelque ferraille qu’ils aiment tant utiliser pour leur science, prends-les, j’en aurais besoin pour quelques expériences. Reviens absolument dans une semaine, jour pour jour.

— Très bien, Maître, je ne vous décevrai pas.

  Serymar effectua un geste de la main : des vivres et quelques objets apparurent sur la table sous les yeux d’Orën, parmi lesquels quelques sorts jetables. Un petit cristal y avait été glissé. Orën interrogea du regard.

— Juste au cas où, expliqua Serymar. La situation est devenue plus risquée que d’habitude. Si jamais tu te fais repérer ou capturer, utilise ce cristal pour sceller tes souvenirs d’ici, il se détruira de lui-même ensuite. Je lèverai le sort lorsque nous t’aurons récupéré, si cette situation doit arriver.

— Très bien, Maître.

— Tu disposes aussi d’un sortilège te permettant d’envoyer des objets sur une zone proche d’ici. Ainsi, tu pourras voyager léger et rapidement, sans éveiller quelques attentions.

  Son homme de main ramassa toutes les affaires qu’il rangea dans un sac de voyage.

— Je pars immédiatement.

— Parfait.

  Sur ces mots, Serymar le téléporta le plus loin possible d’ici d’un simple mouvement de la main pour lui faire gagner le plus de temps possible.

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