Chapitre 50

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Wil saisit un objet métallique en forme de cône relié à un tuyau plongeant dans le sol, proche de sa barre de navigation.

— Whélos ! Active le bouclier !

— Message reçu !

Un écran constitué de magie se déploya autour du navire, laissant la visibilité à son maximum.

Il ne pouvait pas abandonner. Sa famille l’attendait. L’île cachée de Wil était désormais inaccessible à cause de l’état de la mer. Ils devaient d’abord libérer le Dragon pour la rendre praticable. Cet énième retard n’arrangeait personne, mais la mer semblait refuser de laisser le passage.

Le navire s’éloigna de la rive. La ville portuaire se fit de plus en plus minuscule. Le pont tangua. Wil rééquilibra aussitôt le vaisseau et attendit que le port de Pershkin soit assez loin pour jeter un œil à ses cadrans. La profondeur était devenue suffisante pour montrer de quoi un navire de sa tribu était capable.

— Lya ! Déploie les stabilisateurs ! héla-t-il.

— Compris !

Elle se précipita vers un autre panneau de commande et tira sur les leviers correspondants : deux plateformes sortirent des côtés de la coque, vers le bas. Le navire rencontra une vague haute de plusieurs mètres au même moment, mais grâce au bouclier, le pont ne fut pas inondé et personne ne fut emporté.

Wil reprit son communicateur.

— Whélos, comment se comporte le cœur ?

— Il semble brûler dans deux auras magiques, une rouge brique et l’autre mauve. Est-ce normal ?

— C’est parfait. Avertis-moi si ce n’est plus le cas, c’est très important !

— Compte sur moi.

Wil raccrocha et retint la barre à roue de justesse lorsqu’une violente secousse ébranla le vaisseau. Ce dernier glissa sur une vague haute de plusieurs mètres et plongea à vive allure vers l’avant. Wil dût y mettre toute sa force pour maintenir la barre dans la bonne direction. La secousse passée, il se remit sur pieds et jeta un œil sur Karel à quelques pas de lui sur le gaillard d’arrière, entre deux leviers qu’il tenait avec force.

— Ça va ? Ça risque de secouer tout le long !

Le cœur battant mais concentré, Karel se redressa et hocha la tête pour signifier qu’il allait bien.

— Fais précisément comme je te l’ai appris et ça se passera bien ! l’encouragea Wil. Tribord !

Karel tira le levier concerné sans se ménager. Le stabilisateur droit bougea, rééquilibrant le navire. Wil compensa avec la barre.

Dire qu’il ne se sentait pas anxieux serait mentir. Mais il faisait confiance à Wil pour gérer la situation. À eux de l’aider au mieux. Karel se concentra sur le mouvement du pont sous ses pieds et manipula les leviers en fonction.

— Tu te débrouilles bien ! lui indiqua Wil. Continue, et on s’en sortira !

Aquilée, au sommet de la vigie, surveillait l’arrivée d’une mauvaise surprise, comme l’en avait informée Wil. Son pouvoir était bien inutile contre des vagues aussi fortes. En revanche, avec sa vue perçante héritée de Zmeï, Aquilée pouvait détecter un danger que Wil ne pouvait pas voir à l’avance.

Elle s’accrocha vivement à son support quand le bateau tangua de nouveau, le cœur battant. Une fois son équilibre retrouvé, Aquilée pâlit en voyant un récif rocheux. Elle arracha le communicateur à disposition.

— Wil ! Un récif de plusieurs mètres à gau…

— Bâbord ! corrigea Wil. À combien de distance ?

— Une vingtaine de mètre !

Wil raccrocha et porta son attention sur Lya.

— Lya ! Déploie la voile principale et dirige-là à tribord ! Vite ! Karel, dès que je te le dis, tu tires à fond sur les stabilisateurs pour les relever !

Lya tira sur les cordes pour contrôler le gréement et le vent s’engouffra dans la grande voile.

— Maintenant ! hurla Wil.

Karel souleva les leviers de toutes ses forces pendant que Wil tournait la barre à une vitesse folle. Au vu de la grimace sur son visage, Karel devina que malgré les performances de ce bateau, la lutte contre la mer s’avérait difficile.

Ils furent encore soulevés sur plusieurs mètres de hauteur et chutèrent à une vitesse vertigineuse. Le bouclier servait de garde-fou pour les non-habitués. Karel se raidit à la vue d’un récif rocheux se rapprocher, mais le navire l’évita de quelques mètres.

Wil continua de crier des ordres. Karel déploya de nouveau les larges ailerons pour rééquilibrer le vaisseau et les manipula, concentré sur les ordres à son intention.

— Wil ! cria Aquilée. Plusieurs rochers nous barrent la route vers l’île !

— Karel, tiens-moi la barre, s’il te plaît ! demanda Wil en tirant un levier de son panneau de commande pour ralentir drastiquement l’allure.

Karel s’exécuta et Wil lui désigna la boussole sur le panneau de contrôle.

— Maintiens le cap dans cette direction, d’accord ?

« Entendu. »

— Wil, cria la voix de Whélos au travers du communicateur. Le cœur flamboie au-delà de son réceptacle !

— Essaie de le stabiliser avec les leviers noirs ! conseilla Wil.

Il sauta du gaillard d’arrière, courut jusque vers le mât et se jeta sur une longue chaîne en donnant un coup de pied au levier à disposition. La chaîne emporta Wil jusqu’à la vigie. Karel était impressionné par tous les secrets que refermait ce bâtiment maritime.

Une fois au sommet auprès d’Aquilée, Wil étudia en un coup d’œil la situation.

— Dis, tu crois qu’avec tes pouvoirs de Dragon, tu serais capable de freiner le navire en créant une sorte de mur de vent ?

— Je ne sais pas, lui répondit Aquilée, gênée. Dans tous les cas, je ne pourrai pas faire quelque chose d’énorme. Ton bateau est si grand !

— C’est toujours bon à prendre ! répondit Wil en lui tapant l’épaule d’une manière encourageante. Fais ce que tu peux, mais ne prends pas de risques, d’accord ? Reste bien à l’intérieur du bouclier.

Aquilée lui répondit par un petit signe affirmatif de la tête. Tous deux descendirent de la vigie, Aquilée en volant, Wil en saisissant un long cordage jusqu’à atterrir avec agilité sur le pont juste à côté de Lya. Elle avait anticipé en rentrant les stabilisateurs. Wil plissa les sourcils. L’un des stabilisateurs ne répondait plus.

— Wil, c’est coincé ! lui confirma Lya. Qu’est-ce qui se passe ?

— Je gère, affirma le jeune homme en lui tendant une corde. Attache ça sur un point fixe, s’il te plaît, comme je te l’ai appris.

L’inquiétude figea Lya.

— Tu comptes plonger ? Même avec tes pouvoirs, tu risques de te faire tuer, Wil ! Il doit bien y avoir une autre solution !

— Je n’ai pas le temps d’y réfléchir. Ça va aller, assura Wil en nouant l’autre extrémité du cordage autour de sa propre taille. Je ne suis plus seul. Fais-moi confiance. Dès que tu arriveras à rapatrier le stabilisateur qui coince, remonte-moi !

— J’y compte bien ! Tu as intérêt à tenir parole !

Sur ces mots, elle fixa la corde. Wil vérifia et plongea à l’extérieur du bouclier. L’angoisse saisit chacun de ses passagers.

La corde se tendit rapidement en dépit de sa grande longueur. Les branchies de Wil s’agrandirent, ses yeux se recouvrirent d’une paupière transparente, ses pupilles s’adaptèrent aussitôt à la faible luminosité de sous la surface. Les palmes entre ses doigts et orteils grandirent et la semelle de ses spartiates se raccourcit sur le devant.

Wil nagea vers l’aileron qui bloquait. La force de l’eau l’empêcha de s’y accrocher et le repoussa. Wil insista et parvint à s’accrocher aux barres de métal qui dirigeaient le stabilisateur. Un bout de roche s’y était coincé.

Wil sortit son couteau de chasse et le planta dans le mécanisme pour déloger la pierre. Le stabilisateur se rétracta aussitôt. Wil relâcha le mécanisme et se laissa emporter en tenant la corde pour ne pas se blesser en cas de tension violente. Le remous était tel qu’il lui fallut plusieurs secondes pour se rendre compte qu’il se faisait remonter.

Karel fixait la mer avec appréhension. Wil avait beau être entraîné, les vagues étaient si violentes qu’il avait du mal à maintenir le cap. Whélos était remonté en hâte et secondait Lya pour aider le jeune homme. Karel poussa un soupir de soulagement et rectifia la trajectoire avec effort.

Aquilée était sur la proue, ailes déployées pour garder l’équilibre. À peine sorti de l’eau, Wil se détacha, reprit sa forme d’origine et se rua vers Karel pour reprendre le contrôle du vaisseau. Aquilée déploya son don draconique et flotta dans les airs. Elle créa un large mur de vent contre lequel le navire se heurta. Aquilée maintint son sort, même lorsqu’une nouvelle ligne de récif apparut devant eux.

Karel aida Wil à tourner la barre. À deux, ils parvinrent à lutter contre elle pour éviter les rochers.

— Whélos ! hurla Wil. Enclenche la commande d’urgence ! Vite !

Lya fut plus rapide. Elle se rua jusqu’à la trappe menant à la pièce principale, plongea à l’intérieur et se jeta aussitôt sur la commande du côté des machines. Un brusque soubresaut du navire la projeta à l’opposé de la pièce dans la longue table et les chaises.

Sur le pont, Whélos avait aussi perdu l’équilibre. Karel et Wil avait dû s’accrocher à la barre pour ne pas se retrouver éjectés.

Wil écrasa un bouton du panneau de commande et une extension en métal apparut depuis l’arrière du bateau, provoquant une autre expression de surprise chez ses passagers. Une plaque large, ronde et creuse se déploya d’un seul coup et freina brutalement le navire par la pression de l’eau qui s’y engouffra. Grâce à ce système et avec l’aide d’Aquilée, le navire arriva sans dommages vers la berge et s’immobilisa.

Le bouclier s’effaça. Aquilée annula son pouvoir et tomba à genoux sur le pont, essoufflée. Soulagé, Wil soupira en se laissant tomber sur le dos sur le plancher, les bras en croix.

— On est vivants…

Karel descendit du gaillard d’arrière, inquiet pour Lya. Whélos, qui était parti la chercher, apparut avec elle en la soutenant par la taille. Karel les rejoignit et aida Whélos à faire asseoir Lya.

— Ne t’inquiète pas, je vais bien. Je suis juste un peu sonnée. Dans quelques instants, ça ira mieux.

— Eh bien, commenta Whélos. J’espère que nos prochains voyages ne seront pas aussi mouvementés ! Je commence à être un peu âgé pour ce genre de chose. En tout cas, ces navires font honneur à leur réputation !

— « C’est grâce à Wil, il a été impressionnant », signa Karel.

— Oui, tu as raison, opina Whélos. Ces engins ne seraient rien sans des personnes sachant les utiliser. Wil a géré la situation d’une main de maître. J’espère au moins que ça lui aura redonné confiance en ses capacités.

— Ce n’est pas fini, gronda Lya en désignant du menton la mer.

Karel et Whélos suivirent son regard et aperçurent au loin la silhouette d’un Dragon qui s’éloignait.

— S’ils contrôlaient leurs pouvoirs, nous aurions déjà peut-être atteint l’île secrète de Wil et sauvé sa mère ! se révolta-t-elle. Nous n’aurions pas eu à changer nos plans et être obligés à courir ce risque sur sa vie !

Elle se releva.

— Réglons ça rapidement, d’accord ?

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